1—
N’y
a-t-il que du plaisir, dans l’écriture, ou t’est-il
déjà
arrivé
de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet
exercice ?
Écrire
un roman est un processus long —
un
an environ en moyenne, en ce qui me concerne —
pendant
lequel des dizaines d’émotions différentes, et souvent
complètement contradictoires, vous traversent l’esprit.
On est loin du fleuve tranquille, de la balade le nez au vent. Si le
plaisir de se mesurer à un projet excitant est incontestablement le
moteur principal qui pousse un auteur à s’enfermer
des centaines d’heures
durant devant un écran
en évitant
toute interférence avec l’extérieur,
on sait dès
que l’on
commence à coucher les premiers mots, que l’on
va en baver pour traquer les moindres incohérences dans l’intrigue,
dans le comportement des personnages, dans la logique de la
succession des événements.
En tout cas, si on ne s’en
doute pas au moment où
l’on
attaque son premier roman, on en est parfaitement conscient quand on
parvient enfin à bout de cet incroyable Everest qu’on
imaginait inaccessible jusque-là.
2—
Qu’est-ce
qui te pousse à écrire, finalement ?
Au
tout début, je pense qu’il
y avait une part de curiosité envers moi-même. En serai-je capable
ou pas ?
Est-ce que ça
tiendra la route ?
Est-ce que je pourrai espérer donner envie de lire mes histoires ?
Passé
le premier roman, un nouveau cap apparaît.
C’est
fait, on en a écrit un. On en est capable. Ce ne sera sûrement pas
le best-seller de l’année
—
il
vaut mieux tout de suite éviter de se leurrer dans ce domaine, même
s’il
y a parfois d’heureux
élus —
mais
cette question se pose plus. Vient alors la seconde, tout aussi
angoissante. Serai-je capable d’inventer
une autre histoire, une qui ne ressemble pas du tout à la
première ?
Et
là, pour moi, commence le vrai travail de l’écrivain. Celui de
créer un nouvel univers que celui qu’on
a déjà
construit.
De se réinventer.
Et
une fois ce nouvel obstacle franchi, l’écriture n’effraie
plus. Elle devient une compagne quotidienne, une amie intime qu’on
aime retrouver comme on l’a
laissée la veille, toujours prête
à
vous accueillir et à discuter avec vous, prête
à
écouter vos pensées, à vous aider à les organiser, à les rendre
plus lumineuses. Comme un piano attend les doigts, comme une toile
blanche appelle le pinceau.
On
ne peut tout simplement plus s’en
passer…
3—
Comme
on le constate aujourd’hui,
tout le monde écrit ou veut s’y
mettre. Sportifs, stars du show-biz, présentateurs télé,
journalistes, politiques, l’épicier, ta voisine... de plus, des
sites proposant des services d’auto-édition
pullulent sur le net. Ça
t’inspire
quoi ?
Le
« métier »
d’auteur
fait rêver beaucoup de monde. Certains s’imaginent
qu’ils
vont gagner facilement beaucoup d’argent,
de la renommée, voire un statut à part qui va leur permettre
d’accéder
à
un monde fermé au public, mais la plupart des gens qui écrivent le
font simplement pour eux, parce qu’ils
en ont besoin. Et que ce soit pour transmettre une mémoire
familiale, pour occuper une solitude ou pour se lancer un défi,
chaque projet a besoin de peu de choses. Du papier, un stylo, ou un
petit ordinateur. Et du temps. Beaucoup de temps. Sans oublier la
volonté. Je rencontre beaucoup de personnes en dédicace qui me
disent avoir envie de le faire. Peu d’entre
eux ont vraiment franchi le pas. Et encore moins se sont accrochés,
ont cherché à vaincre les inévitables échecs du débutant, et
c’est
bien dommage. Mais leur nombre est tout de même plutôt
encourageant. Ce n’est
pas demain que l’écriture mettra la clé sous la porte.
Quant
à l’auto-édition,
même
si je n’ai
pas d’expérience
personnelle dans ce domaine, je pense qu’elle
est bien plus intéressante pour un auteur débutant qu’un
mauvais contrat éditorial qui lui fait payer une participation à la
fabrication de ses livres.
4—
Le
numérique, le support d’internet,
les liseuses, les ebooks, les réseaux sociaux, sont une révolution
pour les auteurs et bousculent également le monde de l’édition.
Que penses-tu de ce changement ?
Je
n’ai
pas d’avis
vraiment tranché sur la question. L’important
est que les droits liés
à
la création de l’œuvre soient respectés, dans le numérique ou
le papier. Personnellement, je n’achète
pas de livres numériques, mais je reconnais que partir en vacances
avec une liseuse et un chargeur permet de voyager plus léger et de
profiter de son plaisir de lecteur sans se faire une luxation de
l’épaule. Alors si ça
plaît à
certains, pourquoi s’en
priver ?
Il faut vivre avec son temps. Le mien est juste resté au papier.
Cela dit, la liseuse me permet de faire lire mes manuscrits sans les
imprimer, et ça,
c’est
vraiment un progrès.
5—
Il
semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur
communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux,
prolongeant ainsi le travail de l’éditeur de façon
significative. Te sers-tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur
ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou
d’autres
auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?
Les
réseaux sont un formidable moyen de promotion d’un
auteur, c’est
une évidence.
J’évite
pourtant d’y
passer trop de temps, c’est
un gouffre si on se laisse aller. Et puis on dérive vite vers le
nombrilisme. Sur les réseaux, je ne parle donc que de livres, et des
événements
qui y sont liés. Salons, dédicaces, rencontres, parutions…
L’essentiel.
Je suis présent sur FB et Twitter. J’ai
laissé tomber tout le reste. Sur mon blog, j’aime
aussi partager mes coups de cœur de lecteur, car je suis toujours
bouquinophage. C’est
une maladie dont on ne guérit jamais…
6—
On
dit qu’en
25 ans, le nombre de livres publiés
a été
multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant
cette même
période.
Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ?
Être
visible ?
N’est-ce
pas décourageant pour les jeunes auteurs ?
Que leur dirais-tu ?
On
pense beaucoup au tirage quand on signe son premier contrat. On
focalise sur des chiffres, on rêve aux grands de ce monde et aux
millions de lecteurs qu’on
aura un jour, peut-être, comme untel dont tous les médias parlent,
qu’on
voit sur tous les plateaux de télévision…
La
réalité
est tout autre. La visibilité n’existe
qu’avec
un bon diffuseur/distributeur, au-delà de l’éditeur. Et quand on
est un jeune auteur, on est à quinze milles de ces
considérations-là.
Je
pense que quand on débute dans l’univers
de l’écriture, on ne doit pas se laisser impressionner par les
nombres. Si l’on
portait attention à la
quantité
phénoménale
de livres qui paraissent chaque année, on n’écrirait plus rien.
On n’oserait
plus rien écrire.
Le
plus important, c’est
le texte. L’histoire.
Les caractères. Un jeune auteur ne devrait penser qu’à ça.
Uniquement à ça. Parce que s’il
y a beaucoup de bons romans qui ne seront jamais édités,
il y en a peu de mauvais qui le sont.
Transpiration,
inspiration…
et
c’est
tout. Le pourcentage des deux dans le mélange
dépend
de chacun.
7—
Les
relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un
auteur, pourraient faire l’objet
d’une
psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu’en
penses-tu ?
Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.
À
travers mon parcours, sur bientôt
onze livres (dont 9 romans, 1 BD et 1 recueil de nouvelles), j’ai
rencontré et
signé
plusieurs éditeurs. Certains sont très
corrects — l’un
d’eux
est même devenu un ami —
tandis
que d’autres
ont des comportements de voyous. Ceux-là vous pressent comme un
citron (air connu) avant de vous jeter à la benne en vous crachant à
la figure que vous leur devez tout. Sans vous payer vos droits, ou
avec les forceps. Il faut faire attention où
l’on
met les pieds, mais ce n’est
pas facile à savoir avant qu’arrivent
les ennuis…
8—
J’ai
pensé
longtemps, et ma bibliothèque
s’en
ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les
coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les
armes, les crimes et la violence en général…
une
histoire de bonshommes. Aujourd’hui,
les femmes sont de plus en plus présentes dans l’univers
du polar. Grâce
au Trophée,
j’ai
pu me rendre compte qu’il
y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n’était pas
le cas il y a quelques décennies.
Quelles
réflexions cela t’inspire-t-il ?
À
quoi cela est-il dû, selon toi ?
En lis-tu et, si oui, lesquelles ?
Autrefois,
oui —
exceptée
notamment la reine Agatha —
le
polar était
un univers beaucoup plus masculin. Aujourd’hui,
les femmes portent très haut la puissance de leurs intrigues
démoniaques. Elles n’ont
rien à envier à leurs compagnons d’étagères.
Elles apportent un souffle à part, une dureté souvent
exceptionnelle, une optique différente qui vient ajouter à leurs
histoires une couleur inaccessible aux hommes. J’adore
cette autre vision du noir, cette violence qui ne pulse pas de la
même manière que la rage brute de la testostérone.
Sensualité,
manipulation, sentiments exacerbés, suspense haletant, elles
maîtrisent
toutes les ficelles et même bien plus. La touche de féminité
donne un accord plus aigu, une dureté minérale
et implacable. Elles ont cette élégance
incroyable de vous emmailloter dans leurs toiles jusqu’à vous
empêcher de respirer, mais sans cogner.
En
attendant de vous asséner le coup de grâce…
En
ce qui concerne le roman francophone, mes auteures préférées
sont des femmes aussi différentes que Claire Favan, Karine Giebel,
Ingrid Desjours, Sonja Delzongle, Barbara Abel (Belgique) ou
Chrystine Brouillet (Québec). Chaque roman de chacune d’entre
elles est un pur bonheur.
9—
Pourquoi
as-tu accepté de participer à ce
Trophée ?
J’ai
tout de suite trouvé sympathique l’idée
de faire se mesurer des auteurs édités
et des non édités.
Ça
apprend la remise en question aux premiers et donne aux seconds la
possibilité de faire connaître
leurs voix.
Un
jugement à l’aveugle
—
enfin
pas trop, hein…
– c’est
le meilleur moyen pour que le lecteur ne se laisse pas influencer par
une amitié particulière pour un auteur.
C’est
un peu le The
Voice de
la nouvelle.
Et
c’est
parfait comme ça.
LES
QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE
1—
Vie
professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces,
à
l’écriture
reste-t-il une place ?
Ce
n’est
pas toujours facile à gérer,
mais quand l’heure
passée
à
écrire chaque jour de semaine est inaliénable, on trouve toujours
le temps. J’écris peu le week-end, en général.
Les dédicaces sont chronophages, en librairie ou en salon, parfois
très loin de chez moi. Il faut aussi savoir garder de la
disponibilité pour la famille. Sinon, on devient vite un ours
infréquentable.
2—
A-t-on
encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?
Il
vaut mieux, oui, pour la cohérence de nos histoires. Mais c’est
indéniable que nos personnages nous collent suffisamment fort aux
semelles pour nous entraîner
dans leur noirceur. Et parfois, ça
fait flipper !
3—
La
rentrée
littéraire
approche. Un livre, ça
va, 560, où
est-ce
qu’on
va ?
Par
affinité, je limite mes lectures au polar, thriller, roman noir. Du
coup, la rentrée
littéraire
est pour moi un concept un peu abstrait. C’est
plus une chose à éviter en librairie qu’un
événement.
Il n’y
a plus de place sur les rayons, c’est
la période des stars de l’édition, des rouleaux compresseurs.
Mieux vaut passer au large et rencontrer les copains et les lecteurs
dans les salons. C’est
nettement plus sympa et plus productif.
4—
Le
dicton du jour :
À
la Saint-Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t’écoute.
À
la Saint-Glinglin, je revendrai les miens.
5—
Boire
ou écrire, faut-il choisir ?
À
cinq heures du mat’,
quand je me lève pour partir au travail, juste avant de commencer à
écrire dans le train —
ce
que j’appelle
mon bureau mobile —,
je ne consomme qu’un
seul carburant :
le jus d’orange,
et sans modération. Pour le reste, j’aime
garder les idées claires, et je ne me verrais pas concevoir une
intrigue avec le cerveau à la
dérive.
6—
La
littérature est le sel de la vie. Passe-moi le poivre.
Mon
poivre, c’est
le piano. Un nouveau challenge, un nouvel Everest à gravir.
À
55 ans, il était temps de m’y
mettre !
En
fait, c’est
comme l’écriture. De la difficulté, des phrases recommencées à
l’infini,
du temps passé à travailler, de l’obstination
pour accomplir ce qui paraît
à
première vue irréalisable. L’important,
c’est
de se fixer un but, et de s’y
tenir.
7—
Lire
aide à vivre. Et écrire ?
Écrire
est une projection de soi sur le monde. Ou bien l’inverse.
Les deux sont aussi vrais l’un
que l’autre.
Dans les deux cas, c’est
la vie elle-même qui se manifeste. Nous sommes des filtres à
émotions, à ressenti,
comme d’autres
isolent les poussières.
Écrire
un roman, c’est
inventer un univers tout en étant perméable
à
celui dans lequel on vit. Être
capable de donner et de recevoir. Écrire permet aussi d’insuffler
à des personnages des opinions qu’on
ne partage pas. Donc de se remettre en question sur un certain nombre
de sujets sur lesquels on peut avoir des a priori. C’est
également une école
d’humilité,
car le succès d’un
roman dépend
non seulement de l’histoire
elle-même, de la qualité de l’intrigue
et de celle de l’écriture, mais aussi de la sincérité
qu’on
y engage. Le lecteur jugera, au final, et il se trompe rarement.
8—
Une
anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d’une
dédicace,
d’une
table ronde, un événement
touchant, drôle,
étrange… ?
Je
repense souvent à cette lectrice qui est la toute première
à
être revenue me voir juste après la parution du grand format de
« Quatre
racines blanches »,
ma deuxième publication, en 2012. Elle m’a
dit qu’elle
attendait cette nouvelle rencontre depuis des mois (De sinistre
mémoire était sorti en 2010), et elle m’a
raconté, des larmes dans les yeux, l’effet
que lui avait fait la scène de l’Église dans DSM. J’avais
moi-même
été
bouleversé par les événements
que j’y
avais créés de toutes pièces (un comble). C’était la première
fois que ça
m’arrivait
avec cette violence, et cela m’a
profondément
influencé par la suite. L’écriture de ce passage, dans ce roman,
a marqué pour moi la conscience que si l’on
y travaille à fond, on peut être capable de faire passer, de
transmettre une émotion à l’état
brut et de provoquer une réaction intense, et pas juste un intérêt
poli. À
chaque minute que je passe à écrire, j’essaie
de garder cela bien en vue, de ne jamais l’oublier.
L’avenir
me dira si j’y
suis parvenu…
Nous
te remercions d’avoir
répondu à nos questions et d’être présent(e) avec nous, pour
cette troisième
édition
du Trophée Anonym'us.
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