Invasions
Barbares
Pour
voir ce que Invasions Barbares partage avec ses amis,
envoie-lui une invitation.
À
propos d’Invasions Barbares
Bienvenue
sur le profil FB du #IB Challenge !
Forme
une tribu et poste les vidéos de tes #IB.
Ton
nombre de LIKE déterminera ton prochain défi.
Prêt
pour ta première #IB ?
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—
Tu
filmes ?
—
Attends
deux secondes.
Ryan
posa sur son visage le masque qu’il avait choisi pour l’occasion,
celui des Anonymous. Rien de bien original, mais il avait eu du mal à
trouver autre chose dans les magasins de jouets. Il y avait bien des
trucs plus cool sur internet, mais il ne voulait pas risquer de se
faire choper à cause de ça.
—
C’est
bon, j’suis prêt. Tu es sûr qu’il n’y a personne ?
demanda-t-il à son comparse qui s’était dégotté une de ces
cagoules qui vous font une tête de mort au sourire carnassier.
—
Putain
évidemment, et j’sais même qu’ils vont pas revenir tout de
suite. Allez magne ton cul, je couperai ça au montage.
Ryan
avança le premier vers le palier de l’appartement et sortit de son
sac à dos une radio. C’était celle qu’on avait faite pour son
appareil dentaire quand il n’était encore qu’un gosse. Il la
glissa dans la fente de la porte et descendit d’un coup sec. On
entendit un petit clic.
—
Putain,
frère, j’y crois pas, ça marche vraiment.
Ses
yeux brillaient comme si on lui avait offert le plus beau cadeau de
la Terre.
—
Allons-y !
Ryan
refréna un hurlement de joie et se précipita sur l’étagère
pleine de livres qui trônait dans la petite entrée.
—
À
l’attaque !
En
même pas cinq minutes, le petit appartement était dévasté. Plus
un meuble ne tenait debout, les cadres étaient cassés, les photos
déchirées.
La
horde avait tout détruit sur son passage.
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Vous
avez une nouvelle notification.
Les
1 du 9-3 et 49 other people ont réagi à une vidéo.
Vous
avez un nouveau message.
Invasions
Barbares
Kill_ian,
vous avez atteint 50 likes avec votre vidéo.
Bienvenue
au niveau 5 !
Pour
passer au niveau 6, il va falloir y aller plus franchement :
on veut voir le sang couler.
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Ça
devenait sérieux.
Ce
petit bourge de Ryan avait depuis longtemps quitté l’affaire. Il
avait eu son grand frisson et puis était retourné à son petit deal
de shit bien plan-plan. Il avait eu la trouille, mais c’était la
même peur au ventre qui faisait qu’il fermerait sa gueule, donc
c’était pas plus mal comme ça.
Kill_ian
avait réussi à s’entourer de gens comme lui qui aimait bien
foutre sur la gueule. Des gens pleins de haine, avec la rage et
l’envie de cogner, dans le coin, on en trouvait facilement. Mieux
valait ça qu’un boulet qui se mettait à vomir partout en pleine
action. Il avait vu une vidéo comme ça la semaine dernière,
c’était dégueulasse. Il ne s’y était pas attendu et avait
failli gerber son kebab.
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Kill_ian
s’approcha de la femme attachée sur la chaise. Elle se mit à
pousser des hurlements assourdis par le foulard serré qui blessait
les commissures de ses lèvres. Il la gifla si brutalement que son
souffle fut coupé.
—
Ta
gueule, commenta-t-il. Sinon je cogne plus fort.
Elle
acquiesça d’un hochement de tête. Ses yeux écarquillés par la
terreur étaient emplis de larmes.
—
En
fait… vas-y, crie, fais-toi plaisir, je vais te défoncer de toute
façon.
Il
recommença à la frapper.
De
l’autre côté de la pièce, le mari assistait impuissant à la
scène. Il était à plat ventre sur le sol, un des Barbares sur lui,
lui écrasant le dos avec ses chaussures de chantier et relevant sa
tête qu’il tenait par les cheveux pour qu’il ne perde pas une
miette de la scène. Il était scotché de partout, pieds et poings
liés, bâillonné, et la bande métallique luisait légèrement,
reflétant le moindre faisceau de lumière de cette demi-obscurité.
Il fallait voir sans être vu, tout un challenge en soi.
—
Tourne-le
un peu vers moi, oui, comme ça, fais un sourire à la caméra.
Le
troisième et dernier Barbare était chargé d’immortaliser ce défi
avec son téléphone.
—
Arrête
de le filmer lui, on s’en fout, regarde-moi, ordonna Kill_ian. Y a
pas que le sang qui va couler, j’te jure, je vais lui faire gicler
des bouts de cervelle.
—
Tu
crois qu’on peut passer directement au niveau 7 ?
—
J’sais
pas. Mais on va essayer.
Celui
qui retenait le mari rigola doucement.
Kill_ian
recommença à la tabasser. Méthodiquement, en rythme, avec
puissance, sans s’arrêter. La tête de la jeune femme qui devenait
méconnaissable valsait sans retenue d’un côté à l’autre sous
les coups. Elle allait finir par se désolidariser du reste du corps.
L’idée
de casser son jouet, associée à la sensation de toute puissance qui
l’habitait, ça le faisait bander. Pourvu que l’autre abruti ne
fasse pas un gros plan sur sa queue.
###
Une
heure plus tard, la vidéo fut disponible sur les réseaux sociaux.
Le
lendemain matin, grâce à la vigilance d’un voisin qui s’aperçut
que la porte de chez eux était ouverte, la femme reposait à la
morgue, et la coquille vide que le mari était devenu était en soins
intensifs à l’hôpital.
Peu
de temps après, grâce au coup de fil d’un des thanatopracteurs
soudoyé à coup de bonnes bouteilles de whisky pour être tenue au
courant de tous les décès suspects, la journaliste Corinne Armand
et son équipe (un cameraman et un preneur de son) débarquaient sur
la scène du crime pour enquêter.
La
police avait déjà bouclé les lieux, mais les jeunes du quartier se
montrèrent beaucoup plus coopératifs avec la télé qu’ils ne
l’avaient été avec les flics. L’un d’eux dégaina même son
téléphone pour leur montrer la vidéo qu’il avait vue sur Facebook.
—
Le
quartier va devenir célèbre, on est les premiers à passer
directement deux niveaux !
De
retour dans leur camionnette, Corinna avait pris la parole
solennellement.
—
Je
crois qu’on tient l’affaire de notre carrière. Le Marave
Challenge, ce n’était rien à côté de ça. Maintenant, on a la
preuve de que le IB Challenge n’est pas une légende urbaine. Les
gars, notre reportage vaut de l’or.
###
Chez
Serge Dupart, la télé était allumée en permanence et diffusait
sans discontinuer les informations d’une chaîne qui y était
dédiée.
Un
flash spécial retint son attention et il prit le temps de s’asseoir
sur son fauteuil préféré et de monter le son.
—
Elle
est nouvelle, celle-là, remarqua-t-il. Pas désagréable à
regarder, ma foi…
Comme
toutes les personnes vivant seules depuis un certain temps, il avait
pris l’habitude de commenter à voix haute ce qu’il voyait.
Entendre sa propre voix en plus de celle de la télé lui rendait sa
solitude plus supportable. Il se tut pour écouter les propos de la
journaliste.
« Un
défi d’un nouveau genre se répand comme une traînée de poudre
dans les réseaux sociaux. Son nom ? Le hashtag IB Challenge, IB
pour Invasions Barbares. Des jeunes se filment alors qu’ils entrent
par effraction chez des gens pour y relever des défis. Au début,
cela semble anodin. Il s’agissait de déplacer un objet, de se
servir dans le frigidaire. Mais c’était sans compter l’escalade
de la violence. Lors du dernier challenge en date, une femme est
morte, rouée de coups.
Nous
avons pu recueillir le témoignage du mari de la défunte, lui aussi
victime de l’attaque et maintenant paraplégique.
—
Ces
salauds m’ont forcé à tout voir. Ils avaient un accent, on sait
très bien d’où ils viennent ces gens-là ! Pas un hasard
s’ils se font appeler des Barbares, ils cherchent à nous envahir,
c’est sûr ! »
Serge
ne put s’empêcher de pousser un juron.
— Ça
c’est encore de la faute des étrangers. Je suis sûr que c’est
des migrants. Pauvre France. Dire que Jean-Marie n’est plus là
pour redresser la barre. Pays de cons.
###
À
midi, il y avait 15.000 participants selon la police, 150.000 selon
les organisateurs. Et la journée était loin d’être terminée.
La
« Marche Blanche » était un succès aussi médiatique
que populaire. Jeunes et moins jeunes s’étaient unis pour
manifester contre la violence des banlieues.
C’était
avec émotion qu’Alexis Demaistre regardait autour de lui les
banderoles qui exhortaient les étrangers à partir et le président
à démissionner. Il était particulièrement fier de son jeu de
mots. « Marche Blanche » selon l’expression qui désigne
une manifestation pacifique, mais surtout marche blanche contre les
Barbares, les envahisseurs, les Arabes et tous ceux dont la couleur
de peau était un peu trop sombre, ou dont la religion ne lui
convenait pas.
C’était
un des militants qui lui avait soufflé l’idée, un petit vieux qui
s’était nouvellement inscrit après la fameuse affaire du
challenge qui avait mal tourné à Montrouge. Enfin, mal tourné, ça
dépend pour qui. Ils avaient eu dans les dix jours qui suivirent le
drame plus d’adhésions que durant toute l’année passée. Quoi
qu’il en soit, le soixantenaire avait utilisé cette expression
pour organiser une marche de soutien et à la mémoire des victimes,
et Alexis avait eu la fine idée de jouer sur les mots. Ce qui avait
bien plu aux militants. La provocation n’avait pas échappé aux
médias non plus, qui s’étaient empressés de relayer le scandale,
ce qui leur avait fait de la promotion gratuite. Mais, cerise sur le
gâteau, Alexis ayant toujours nié publiquement le double sens, les
organisations antiracistes et les partis adverses n’avaient pas pu
obtenir le changement de nom de la « Marche Blanche ».
###
Ils
étaient plus proches du but qu’ils ne l’avaient jamais été. Il
n’avait plus qu’à poster le bouquet final.
Invasions
Barbares
Tu
fais partie des finalistes. Pour remporter la victoire finale, toutes
les hordes doivent attaquer la « Marche Blanche ». Celle
dont la vidéo remportera le plus de LIKE sera déclarée Empereur et
touchera 100.000 euros en cash.
Que
le meilleur gagne !
Il
appuya sur « Enter » et le message fut instantanément
envoyé dans toute la France. Il se frotta les mains. Les retombées
du drame allaient être excellentes pour la montée de son parti.
C’était
une ficelle vieille comme le monde en politique, de faire accuser
quelqu’un d’autre des crimes qu’on avait soi-même commis. Les
nazis étaient très forts à ce jeu-là. Mais grâce au
développement des réseaux sociaux, on pouvait aller beaucoup plus
loin maintenant dans la manipulation des foules.
—
L’élève
a dépassé le maître, se félicita-t-il pensif en jetant un œil au
portrait de Goebbels accroché dans son salon.