MANON
Ce
type me gonfle. Avec ses ongles surmanucurés, son sourire de minet
(qu’il doit modestement classer entre ceux de Robert Redford et de
Clive Owen), sa mèche rebelle de plouc congénital et son
autosatisfaction gluante… Des appareils médicaux. « Je
fabrique des appareils médicaux, enfin pas moi, mes employés bien
sûr ! » Monsieur est à la tête d’une société, ce
qu’il ne manque pas de me rappeler toutes les cinq minutes. Et ma
SA par-ci, et ma SA par-là. Ambitieux, Derek. Tu parles d’un
prénom. Mes copines diraient que ce Derek est un homme exquis.
Surtout Candice, qui trouve tous les hommes exquis dès qu’ils
roulent en Porsche.
Exquis.
Comme
ce cadavre. Oups, ce canard bien sûr, ce cadavre de canard que je
dépiaute entre patates purée et légumes al dente. Je deviens
pompette. Laure, calme-toi ! Déjà que je n’arrive pas à
soutenir le regard de Derek tellement il me semble creux. Alors je me
concentre sur mon assiette, découpe mon filet de travers, égare de
la purée à côté de l’assiette. Le vin rouge me donne du
courage. C’est bien de la faute à Candice et ma clique de copines.
Il y a deux semaines, nous sirotions nos apéritifs sur une terrasse,
entre ombres et éclats de soleil tranchants de canicule.
— Le
type, là-bas, le brun, je te parie qu’il roule en Porsche, a lancé
Candice en agitant ses boucles blondes.
Soleil
et Spritz nous avaient calciné les neurones.
— N’importe
quoi. C’est le genre à se balader en Jaguar, intérieur cuir,
interdit aux chiens à cause des poils.
— Je
vote pour la Porsche, a confirmé Bérénice.
Julie
n’a rien dit, mais elle a acquiescé lorsque Candice m’a
proposé :
— Celle
qui perd doit passer une soirée avec ce gars.
— Mais
je déteste ce style de mec !
— Tu
te dégonfles ?
Soleil
et Spritz avaient écorné mon discernement, et puis ce type suintait
tellement la Jaguar que j’ai parié. Et perdu. Trop conne, Laure,
quand elle a bu et frit à la plage.
Derek
me sourit de nouveau. Ses yeux verts sont comme deux méduses au fond
d’une eau claire : flasques, inconsistants. Je bois encore. Il
faut que je modère ma consommation, la honte si je me laisse
embrasser par ce play-boy ultragominé. Le mieux serait que je sois
malade. Une bonne dégueulée au restaurant… J’aimerais bien voir
sa tronche. Le restaurant, c’est lui qui l’a choisi. Les
conventions. Primordiales, les conventions, pour un mec de son
acabit. Il me l’a dit et répété – il aime se répéter,
mauvais point pour un chef d’entreprise. Ouvrir la portière de la
voiture (de l’extérieur, pas en se penchant lourdement sur les
cuisses de sa passagère pour actionner le levier), proposer son bras
pour traverser la rue, aider à enfiler veste ou manteau avant de
quitter un établissement public. Les bonnes manières. Du style.
Qu’est-ce
que je m’ennuie.
Le
restaurant s’appelle La
Gondole.
Le comble du romantisme. Venise, le soleil à ras les toits, l’eau
qui clapote et Derek m’embrasse tandis que l’esquif éventre
lentement les flots du canal. Je bois son amour. Le gondolier
fredonne ti
amo.
Jamais je ne me suis sentie aussi transportée par un homme, lequel
me prend dans ses bras pour me déposer sur le quai avant de
m’emmener au septième ciel.
Au
secours !
— Vous
avez un master en sciences politiques, c’est bien cela ?
Je
sursaute. Nous sommes là, à la
Gondole,
lui tout en noir, genre Nick Cave, moi en bleu. Je fais oui de la
tête, la bouche pleine de carottes que je m’empresse d’avaler.
J’espère que mon langage corporel ne me trahira pas. Pour sauver
les apparences, je me suis inventé un prénom, évidemment (je n’ai
pas envie que Derek me colle aux basques), j’ai refusé de lui
donner mon numéro de portable (il vient d’expirer, ai-je menti) et
me suis inventé un master en sciences politiques alors que j’ai
bêtement terminé des études de lettres. Mais cette faculté est
considérée comme un repère de fainéants. Si je voulais séduire
Derek,
je n’avais pas le choix. Ce genre d’homme recherche une femme
avec du caractère, de l’ambition, solide et féminine, pas la
future pigiste d’un torchon spécialisé dans les chiens écrasés.
— Oui.
Je vous l’ai dit lors de notre rencontre, vous avez bonne mémoire.
— C’est
une de mes qualités.
— Je
suis impatiente de découvrir toutes les autres.
Il
tousse, s’essuie les commissures des lèvres à l’aide de sa
serviette – qu’est-ce qu’il peut être précieux dans le geste.
J’espère ne pas surjouer mon rôle. Je
suis impatiente de découvrir toutes les autres.
Quelle conne ! Il va me prendre pour une de ces nunuches à dix
centimes qui courent le yuppie dans les bars branchés. Sans compter
la liste de ses prétendues qualités, qu’il va me dérouler tel un
parchemin antique et m’agiter au nez toute la sainte soirée. D’un
geste millimétré, presque trop étudié, il avance sa main vers la
mienne. Nos doigts se frôlent. Je frémis, pareille à une feuille
sous la bruine automnale.
De
dégoût.
Je
bois pour me donner contenance. Derrière la baie vitrée – so
romantic !
minauderait Candice –, gronde le fleuve, mais nous ne l’entendons
pas. L’ambiance est feutrée, un piano-bar égrène des standards
jazzy. À l’horizon s’étirent les derniers rayons du soleil. Ce
Derek est une caricature. Le genre à offrir des roses à la moindre
occasion, à préférer le mariage au concubinage, le petit déjeuner
au lit plutôt qu’à la cuisine… Oh non… avec les miettes qui
adhèrent à vos omoplates et la confiture en auréoles sur le
duvet !
Ce
matin, au téléphone, Candice m’a dit :
— Un
homme qui ne couche pas au deuxième rendez-vous est un gentleman, un
homme qui ne couche pas au troisième rendez-vous est homosexuel.
— Je
ne verrai pas ce type une seconde fois, ai-je rétorqué ; j’ai
perdu mon pari, d’accord, mais on a bien dit une soirée. Et il est
exclu que je couche avec ce bonhomme.
— S’il
est homo, tu ne risques rien.
Homo.
Ça m’arrangerait bien, tiens. À cet instant, Derek replace une
mèche rebelle d’un mouvement peu viril. Ou ai-je la berlue ?
Je pouffe, m’étrangle. Il me demande si tout va bien.
— Homosexuel,
dis-je entre mes dents.
— Pardon ?
La
honte me chauffe les joues. « Le chou de Bruxelles »,
rectifié-je, en montrant la petite boule verte dans mon assiette. Il
rit. « Femme qui rit, à moitié dans ton lit », affirme
Candice. Homme qui rit, ça donne quoi ? À notre première
rencontre, sur cette maudite terrasse, sous les regards scrutateurs
de Candice et ses succubes, Derek m’a proposé une virée en
bateau. Pas une gondole, mais avec force Aperols. Ça rime. Ouh, la
tête me tourne, mais ce vin est divin, pas comme l’autre, là…
Nous avons pédibulé… qu’est-ce que je dis ? Une balade au
bord de l’eau, dans mon vin de l’eau, et Derek a dégobillé ses
petites phrases accrocheuses de séducteur à mèches platinées. Du
grand art. Combien de temps passe-t-il à répéter son rôle ?
Un coach, il doit avoir un coach en drague, c’est hyper tendance.
Bref, il a fini par me proposer de dîner ce soir à La
Gondole,
et j’ai pu lever le pouce discrètement en direction de mes pouffes
de copines.
La
main de Derek sur la mienne, tout à coup. Je sursaute, tente de la
retirer, mais il la retient d’une poigne ferme et me fixe en
sourire majeur. Mon cœur palpite d’agacement. À l’odeur
d’agneau au romarin (Derek adore les côtelettes) se mêle celle,
entêtante, ravageuse, d’un parfum pour homme que je ne saurais
nommer. « Vous me plaisez beaucoup, Manon. » lâche-t-il,
désarmant d’assurance. Je lui rends un sourire contrit. Du coin de
l’œil, je lorgne mon sac à main, dans la doublure duquel j’ai
planqué la webcam indispensable à ce pari débile. Filmer pour être
crue. « Qui nous dit que tu vas vraiment y aller, à ce
dîner ? » a ironisé Bérénice. Elles me regardent en
direct. Elles doivent s’apercevoir de ma gêne, je les sens ricaner
derrière leur écran. Les garces ! Je les entends presque
exploser de rire lorsque Derek m’embrasse par-dessus les assiettes.
Je ne l’ai pas vu venir. C’est dégoûtant. Je me cabre, porte
mon verre à mes lèvres, le vide d’un trait. Tu ne devrais pas
boire autant, Laure, tu ne devrais pas. Ce vin a la couleur du rubis.
Ou du sang.
Sens
dessus dessous, Laure.
DEREK
Manon
Lescaut. Manon des sources. Manon, Manon, pada, dada, da… Tu parles
d’un prénom. Cette greluche m’exaspère. Elle a le même regard
que toutes ces intellos de gauche : idéaliste et buté. Tout en
elle sent le dentifrice bon marché, l’insoumission et la révolte
par défaut. Le genre à partir en campagne contre le nucléaire ou
en croisière pour sauver les bébés phoques, les yeux écarquillés
sur l’horizon d’un monde meilleur. Et à vouloir des enfants.
Plein de mioches. Des blonds, des bruns, filles et garçons crottés
jusqu’au menton à force d’avoir piétiné le jardin – celui
qui entoure sa bicoque retapée main avec son mari écolo. Repeuplons
la terre et aimons-nous, puisqu’il le faut !
Palais
idéal d’une Cendrillon militante et altermondialiste qui n’assume
pas : si sa robe bleu acier semble sortie d’une boutique de
seconde main, ses escarpins scintillent Louboutin. Parfumée Sonia
Rykiel, coiffée Dessange ou un truc branché du genre. Sans doute
enculottée de Triumph. Poulette coincée entre révolte et
soumission.
Je
décline ma galanterie sans grande conviction. Je vois bien que tout
est forcé chez elle, de son sourire agacé à sa gestuelle appliquée
– même si l’alcool commence à la rendre malhabile – jusqu’à
ce vouvoiement d’une désuétude consternante.
— Je
trouve cette manière tellement charmante, ne trouvez-vous
pas,
Derek ?
— Vous
reprendrez bien un peu de vin, chère Manon ?
— Volontiers.
Vous avez bien choisi, c’est un régal.
Ce
vin rouge sang, qu’elle avale en roulant des yeux, cils en
battements syncopés, sourires à fossettes… Poulette habituée à
ces jeux de séduction dont la plupart des hommes raffolent, Manon se
décline en mode traditionnel : tiare de cheveux sombres, yeux
verts, lèvres à la pulpe carminée. Roule en Mini Cooper. Incapable
de remplir le réservoir sans en mettre la moitié à côté.
Laissez-moi faire, en chaque automobiliste sommeille un pompiste. Et
un Prince Charmant – un jour nous nous marierons, ma mie, un jour
nous nous marierons…
Étonnamment,
elle a accepté sans minauder ce repas à la
Gondole,
où je n’ai nulle habitude. Cruciale, la discrétion. Un client
parmi d’autres, accompagné d’une greluche dont personne ne
retiendra la moindre fragrance. Une jolie fille parmi des centaines
de jolies filles, femmes, dames ou mamies. Personne ne remarque
personne, même si le voyeurisme tient boutique en notre société.
— Vous
fabriquez des appareils médicaux ? me demande-t-elle, alors que
je le lui ai déjà dit.
Typique
de la femme peu concernée ou un peu bourrée qui ne sait pas comment
relancer la discussion. J’acquiesce. Elle insiste.
— De
quel genre ?
— Des
balances de précision ultra perfectionnées. Elles vous pèsent des
éléments de l’ordre du micro gramme.
— Passionnant !
Le marché est vaste, n’est-ce pas ?
Intéressée,
la poulette. Ces gauchistes mangent à tous les râteliers… Je lui
confirme ma position de leader du marché sur le continent européen,
même si la concurrence reste féroce – les vampires du business
affûtent leurs canines. Manon sourit. Jolies dents. Je les vois
s’éparpiller au sol en une cascade d’émail sanguinolent. Sa
bouche vide continue à me sourire, comme celle d’une vieille femme
bientôt expirée, et je découpe une côtelette de la pointe de mon
couteau, un laguiole méchamment aiguisé, qui détache la chair de
l’os avec douceur. Le sang perle. C’est bon, l’agneau rosé. Ne
jamais trop le cuire. Sinon il se dessèche et se contracte telle une
éponge au soleil. Je porte le morceau en bouche. Fondant. Délicieux.
Manon
se tortille en buvant son vin. Dans ses yeux rougeoie le coucher de
soleil qui s’épanouit derrière moi. J’ai pensé qu’elle
adorerait cette mièvrerie, voilà pourquoi je lui ai proposé de
tourner le dos à la salle – entorse aux bonnes mœurs puisque la
femme doit toujours
l’embrasser
du regard. Afin de voir. Et d’être vue.
Nos
mains se frôlent. Je m’empresse de retirer la mienne, sans
précipitation toutefois, pour réajuster les cols de ma chemise et
de mon veston. Les prémices de l’ivresse s’invitent chez Manon.
Gestes de plus en plus hésitants, bafouillages, diction tortueuse.
Dommage. À
vaincre sans combattre, on triomphe sans gloire.
Le dicton à la con. Je modère ma consommation pour ne pas me
retrouver con, justement. La mécanique est aussi huilée qu’un
moteur de Formule 1. Le dessert avalé, je proposerai une
prolongation de soirée à cette petite gourde. Elle ne refusera pas
un tour en Porsche. Communistes ou libérales, elles ne refusent
jamais
un
tour en Porsche. Griserie de la vitesse, griserie de l’alcool…
Dans la nuit, nous nous évanouirons. Le noir. Au commencement, à la
fin. Le noir de ces ventres habités de gnomes désarticulés qui
envahissent le monde, et claquent les bottes, grimacent ces bouches
avides, saignent toutes ces plaies immondes. Le noir de ces mères en
deuil dont la progéniture sème le chaos à travers les steppes
brûlées, le noir de ces cadavres calcinés suspendus entre ciel et
terre, le noir d’un retour à la poussière volcanique dispersée
au-delà de l’univers.
J’aime
ce noir. Il me va bien. La lumière n’est qu’une illusion
d’optique.
Et
je lui dis, à cette petite conne de Manon, puisqu’elle n’attend
que ça (ou plutôt, m’entends-je dire) : « Vous me
plaisez beaucoup, Manon. » Son regard mouillé et lumineux –
cette illusion – me raconte l’histoire que nous ne vivrons
jamais. Celle du Prince et de la Belle. Autour de nous chuchotent les
couverts, marmonnent les assiettes. Une odeur de parfum et de viande
se faufile entre les tables. Sous mes doigts, la nappe fait des plis.
Je me penche au-dessus de nos plats vides pour embrasser Manon, alors
que je n’ai qu’une envie : lui planter ma fourchette dans la
main et l’écouter hurler, ou lui arracher un œil avec la cuillère
à dessert puis le jeter à travers la salle comme une balle de golf.
Nous
trinquons.
Le
bord de mon verre se fend et, en le portant à mes lèvres, je
m’écorche volontairement la langue pour sentir la douceur
métallique du sang dans ma bouche.
APOCALYPSE…
L’ivresse
rend faible. Derek le sait, lui qui ne boit quasiment jamais.
Seulement pour trinquer avec ces femmes arrogantes et peinturlurées,
prêtes à battre des cils des années durant pour se faire
engrosser.
Des
putes déguisées en mères de famille.
L’ivresse
rend faible, et Derek en a profité. À la sortie de la
Gondole, Manon
titubait dans ce crépuscule aux teintes orangées – relents
d’essence et de fin du monde. Elle s’est accrochée à son bras.
Lui a demandé de la raccompagner jusqu’à sa voiture, garée à
cinq cents mètres.
— Mais
voyons, Manon, vous ne pouvez pas conduire dans cet état.
— Ah,
ah, Manon… Laure…
— Pardon ?
— Oups,
rien… Vous avez peut-être raison, pour la conduite.
Installée
dans la Porsche de Derek, Manon n’a pas tardé à s’endormir, la
tête contre la portière. « Vous feriez mieux de dormir chez
moi. » Elle a accepté. En
tout bien, tout honneur.
Évidemment. La déchirure orange, à l’ouest, faisait comme une
blessure dans la nuit. Une lame dans une chair ferme, a pensé Derek
en démarrant. Les pneus ont couiné, ce qui a tiré Manon d’un
nouveau sommeil.
Umberto
Tozzi chante. Ti
amo, in sogno, ti amo, in aria.
Un
truc de fille. Elles aiment toutes ces mièvreries. La chaîne stéréo
semble roucouler sur son meuble. En communion avec Manon qui,
maintenant étendue sur le
lit de Derek, poignets et chevilles menottés aux montants, Christ
féminin au bord de l’abîme, gémit. Doucement.
Au
premier coup de lame, son hurlement a déchiré le pâle silence de
la chambre. D’autres cris ont rythmé d’autres coups, puis le
volume de ses plaintes a diminué. Lorsque Derek l’a pénétrée,
sang et chair avalant son sexe, des larmes ont remplacé les
vocalises. Un filet rouge a rampé hors de sa bouche. Elles se
mordent la langue, souvent. Douleur et terreur. Derek a bandé plus
fort. Ti
amo… nel letto commando io… Il
a joui en même temps qu’il l’étranglait de ses belles mains aux
ongles soignés. Elle a suffoqué. Craché.
Derek
frissonne aux chants de douleur. La lame brille sous la lumière du
plafonnier, à l’ampoule vermillon. Tamisée, c’est plus chic.
Les putes mères de famille adorent les ambiances de lupanar… Derek
lèche le sang séché sur les avant-bras de Manon. Il aime ce goût,
cette texture. Sous sa langue, le corps tremble. Bientôt, ce ne sera
plus qu’un cadavre découpé et jeté aux renards au fond du parc.
Sous les arbres, là où personne ne vient jamais. Voilà à quoi
servent les propriétés bourgeoises héritées de grand-papa :
charniers et ossuaires.
Un
havre de paix.
Ti
amo… lo
ti amo e chiedo perdono
La
sonnerie de son portable interrompt l’extase. Derek décroche.
Antony à l’appareil. Un ami.
— Je
viens aux nouvelles, Derek. Tout va bien. Tu étais à cran, la
dernière fois.
— Ça
va mieux, merci.
— Tu
es sûr ?
— Certain.
Quelques
amabilités. Une promesse de se voir bientôt. Le regard de Derek
accroche le sac à main de Manon, posé, jeté même près de la tête
de lit – il se rappelle très bien l’avoir balancé tandis qu’il
traînait le corps de Manon à l’entrée de la chambre. Une odeur
de cuir trop neuf. Il s’en débarrassera. Un sac de femmes chez lui
pourrait attirer l’attention.
… Now
Figée
devant l’ordinateur, Candice pleure et suffoque. Incapable de
détourner ses yeux de l’écran, comme aimantée par l’horreur à
laquelle elle assiste, les ongles incrustés dans le bois de la
table, elle pense aux films d’épouvante qu’elle regardait à
l’adolescence. Pour se faire peur. Sentir l’adrénaline creuser
son lit, tourbillonner en elle.
Ce
n’est pas un film.
Bérénice
vomit à la cuisine. Julie tente d’appeler la police entre deux
hoquets d’effroi. Le choc. L’horreur imprimée au fond de la
rétine. Elles ont tout vu, ou presque. Pas les premiers coups.
Ensuite. Le sac qui atterrit au bout du lit, la webcam qui change
d’angle dans le mouvement. Rouge et noir, sang et lame d’acier.
Il
est trop tard. Ou pas. Bérénice ne revient pas de la cuisine. La
poitrine tout à coup secouée de spasmes, Candice entend Julie crier
au téléphone qu’il faut intervenir, que sa copine est tombée sur
un malade mental, que tout est de la faute de cette Porsche de
malheur, que l’autre l’a violée et va l’achever, qu’elles
ont tout vu, TOUT VU.
Ou
presque.
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