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Sur
la plage, je ne l’ai pas vue. Mais dans les bois, si, je la vois.
Je la regarde partir vers le parking. Le soleil incendie des lignes
rouges et jaunes à travers les pins. Par endroit, l’air semble
cramer. L’ombre des troncs s’allonge jusqu’à enfermer ceux qui
marchent sur les sentiers de sable.
Je
suis en sueur à l’ombre de la forêt.
Pourquoi
n’a-t-elle pas attendu le coucher du soleil pour partir ?
C’est pourtant super beau le soleil qui tombe dans l’Atlantique.
D’habitude, les filles adorent ça, les couleurs chaudes,
l’ambiance romantique, la lumière éblouissante, tout ce
cinémascope hollywoodien qui se déploie gratuitement dans le ciel
tous les soirs avant de se faire foutre dehors par la nuit. Tu
t’assois sur le sable et tu mates le truc sans réfléchir. Tu
laisses ta tête partir où elle veut. Tu plonges avec le soleil en
te demandant si tout ça est bien réel.
Elle
s’est rhabillée, elle a replié et rangé sa serviette dans son
sac et elle a dû partir sans même se retourner vers la mer laquée
d’ambre et de solitude. Elle est brune. Elle porte une robe qui
s’enfile d’un coup. Légère la robe. Et un chapeau aussi, avec
un rebord si large qu’il cache parfois son visage. Elle a grimpé
la dune et s’est enfoncée parmi les pins. Elle préfère rentrer
avant la nuit peut-être.
Elle
a peur peut-être.
Elle
n’a pas vu l’homme derrière elle. Il a gardé ses lunettes de
soleil. Il n’est habillé que d’un bermuda bleu. Ses cheveux
blonds sont coiffés en arrière. Ils sont mouillés par l’océan
et la transpiration.
Il
la suit.
Elle
marche en regardant le sol. Sûrement parce qu’elle n’a pas de
chaussures et qu’elle ne veut pas se faire mal aux pieds.
Je
la vois à travers les pins rougis par le soleil. Des fois, ce n’est
plus qu’une silhouette noire et blanche entre les arbres. Comme si
elle se dissipait de temps en temps. Dans le bois, la pénombre
ruisselle lentement, mais de plus en plus, entre les branches, par
nappes de plus en plus sombres et de moins en moins aériennes.
Lui
est plus près. Beaucoup plus près. De plus en plus près. Sur le
même chemin qu’elle. Il avance plus vite qu’elle. Il va
forcément la rattraper, la dépasser.
Elle
marche et elle ne l’a pas remarqué. Elle marche et il se
rapproche. Elle marche et je la regarde.
Plus
personne ne rentre vers le parking. Il est tard, déjà tard et les
gens sont depuis longtemps retourné vers leur location, leur tente
ou leur maison secondaire. Les gens n’aiment pas quand la nuit se
penche sur la forêt. Les gens ont peur du noir.
Il
n’y a que nous entre les pins.
L’homme
arrive à la hauteur de la femme seule. Je vois tout. Juste avant de
la dépasser, il tend sa main et lui prend le bras. Elle se retourne
comme on tressaille. Elle se retourne comme on tombe d’une chaise.
Le geste n’est pas violent. Il est presque doux. Elle est surprise.
Elle
a peur, peut-être.
L’homme
lui dit un truc. Il tient toujours son bras. Il ne le lâche pas.
Elle ne bouge plus mais il la retient quand même. Son chapeau, blanc
et grand le chapeau, est tombé par terre au moment où elle s’est
retournée. Des cheveux bruns encore humides de la plage font des
lignes noires et fines sur sa joue. La sueur colle sa robe légère à
son dos. Je vois tout : ses yeux sont comme des gouffres noirs.
L’homme
parle encore. Elle ne répond rien.
La
forêt arrête de respirer. L’air brûlé s’écrase contre les
troncs longs et durs comme des pylônes de mirador. La lumière rouge
du soleil s’aplatit, exténuée et vaincue sous le noir du ciel.
L’homme
tend son autre main et attrape l’autre bras de la femme seule. Il
la tient des deux côtés et il lui parle toujours. Et elle, comme
asphyxiée, reste muette et immobile.
J’entends
tout.
— Tu
me matais sur la plage tout à l’heure hein ?
—…
— Pourquoi
tu pars dans les bois comme ça ? Tu me cherches ?
— …
— C’était
pour que je vienne ? Pour que je te rattrape ? Pour qu’on
soit plus tranquille ?
—...
— T’as
peur ?
—…
Elle
est effrayée.
Elle
pue la frousse.
Elle
sent bon.
L’homme
relâche sa main droite et la fait glisser lentement sur le tissu
léger. Vers le haut. Sur l’épaule de la femme seule. Puis, plus
bas, vers le sein sous la robe. La main dessus, qui reste et qui
caresse. La robe si légère qu’il sent le téton qui pointe. Il le
prend entre ses deux doigts. Il serre un peu. Et puis beaucoup. Il
aime ça. Sa bite commence à durcir. Il n’a pas de slip. Son début
d’érection se voit à travers le bermuda.
— T’aimes hein ?
T’aimes ma main sur toi, je le sais.
—…
La
main de l’homme sur le sein gauche. Puis sur le sein droit. Le
sourire sur les lèvres desséchées de l’homme. L’autre bras qui
ne lâche pas la femme seule. Et la sueur sur son front. Comme sur
son front à elle. La sueur sur mon front aussi, la sueur dans mon
dos, la sueur qui mouille mon tee-shirt, la sueur partout.
L’homme
ne dit plus rien. Il regarde sa main toucher le corps de la femme
seule. Il se penche vers la gorge. Il pose ses lèvres sur la peau
bronzée. Sa langue touche l’épiderme chaud et salé.
Il
croit entendre un soupir.
Maintenant
il bande. Il bande vraiment.
La
main de l’homme lâche le sein droit pour descendre doucement sur
le ventre de la femme seule. À plat sa main sur le tissu, comme des
ondes sous sa paume, les battements de sa peur à elle sous ses
doigts, le pouls de tout ce qui se passe à l’intérieur.
La
femme seule comme gelée dehors et bouillante dedans. Tenue par le
bras qui étrangle son biceps. Le sang qui n’ose plus circuler.
Seule la peur va et vient dans ses veines. Son souffle bute sur la
panique.
Il
n’y a que nous dans cette forêt capturée par le soir.
La
main de l’homme, tremblante la main, douce la main, implacable la
main, jusqu’à l’aine et puis entre les cuisses de la femme
seule. La main de l’homme, puissante pour écarter les jambes de la
femme seule au-dessus des aiguilles de pin jonchant le sentier de
sable.
—…T’es
une belle salope toi… T’es
une putain de belle salope…
—…
Sa
bite si dure qui frotte contre le bermuda. Sa bite en pleine
combustion si près de la chatte de la femme seule. Il la touche avec
sa main. Sans même penser à relever la robe. Sans même sentir le
nylon du maillot. La toucher comme ça lui suffit. Écouter les
vibrations de son haleine lui suffit. La tenir, même, lui suffit.
Et
quand je jouis, je ferme les yeux.
Et
quand je jouis, mes couilles éclatent de douleur.
« Putain
de taré ! »
Son
genou si violemment contre ma queue.
« Putain
de malade ! »
Plié en
deux, à tomber sur le sable chaud.
Plié
en deux, à avoir mal, putain, si mal.
Mes
yeux ouverts.
Son
pied.
« Putain
de pervers, tiens connard ! »
Mon
crâne comme une vitre qui se brise.
Un
parpaing lancé du sixième étage sur ma tempe.
La
salope.
Mes
yeux ouverts sur la femme seule qui me crache dessus.
« Va
te faire couper la bite, espèce de maniaque ! »
Des
élancements brûlants dans mon ventre.
Mon
cerveau descellé du reste.
Mes
yeux ouverts sur la femme seule qui court, loin.
Son
chapeau est resté là.
Il
fait nuit dans la forêt.
Dans
ma tête aussi.
Je
vais la rattraper cette pute.
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