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— Putain,
t’as encore oublié d’aller à la coop remplir le bidon de
pinard ! T’es qu’une vieille merde sans cervelle, cria-t-il
en balançant sur la femme le récipient en plastique complètement
cradingue.
— J’avais
plus de pognon ! Tu as tout vidé la boîte où je mets l’argent
pour les courses.
— J’y
ai pas touché à ton sale fric… dit-il avant de s’asseoir devant
son assiette où trois morceaux de poulets panés industriels
dégoulinant d’huile se battaient en duel devant une flaque de
purée de pommes de terre reconstituée.
Les
nuggets, il adorait ça.
Cela
faisait bien quarante ans que Baptistin Cresson supportait la vieille
carne qui lui servait de mère. Toute sa vie d’adulte, elle l’avait
passée à le culpabiliser d’être veuve, qu’il ne pouvait pas
partir vivre ailleurs en laissant sa pauvre mère seule dans ce coin
perdu de la Drôme. Baptistin était le dernier de la lignée des
Cresson de ce côté du Ventoux réputé « pauvre ». Une
fin de race disait le père.
Ils
vivaient dans une baraque sans charme posée au bord de la route
départementale reliant Aulan à La Rochette.
Adolphe,
le père avait été retrouvé mort dans son champ, broyé par la
roue arrière de son tracteur. Il n’était même pas dix heures du
matin et il empestait déjà le petit jaune qu’il s’enfilait
façon légionnaire… avec très peu d’eau. Sa crémation fut
rapide vu tout l’alcool qu’il avait éclusé.
— Demain
oublie pas, ils viennent vider la fosse septique.
— Ouais,
je sais. À quelle heure ?
— Le
matin. Moi je descends au village pour le marché.
— Putain…
c’est déjà jeudi ! Prends deux litres de rouge, OK ?
Baptistin
Cresson se leva en renversant sa chaise. Il ne débarrassait jamais
la table car dans l’évier il n’y avait plus de place. Une fois,
sa mère lui avait fait remarquer que s’il avait été marié, sa
pétasse l’aurait bien obligé à porter son assiette jusqu’à
l’évier, il l’aurait peut-être même lavée car elle le
tiendrait par la queue.
Sa
chambre se trouvait au premier. Adolescent, il aimait le foot.
Aujourd’hui, il continuait à planquer les magazines de cul sous
son lit. Il passait des heures sur internet à mater des films pornos
et des matches de foot avant de s’endormir sonné par tous les
pixels qu’absorbait son cerveau déjà abruti par l’alcool.
Marie
dormait toujours en bas, dans une petite piaule attenante à la
cuisine. Elle avait pris l’habitude de s’enfermer depuis le soir
d’été où, plus bourré que de coutume, Baptistin s’était
posté dans l’embrasure de sa porte à la mater étrangement en
train de se déshabiller. Son fils lui faisait peur parfois. La
maigreur lui avait mangé le visage et repoussé les yeux au fond de
la tête. Mais elle l’aimait.
Ce
soir-là, il n’arrivait pas à s’endormir. Une pluie fine tombait
dans la nuit noire de cette route où pratiquement personne ne
passait après 20 heures. La chaleur accumulée par le bitume dans la
journée ressortait sous forme de fumerolles qui sentaient le chien
mouillé.
Il
ralluma l’écran de son ordinateur décidé à refaire une partie
de tir sur des milices d’insurgés. Il venait de se payer un nouvel
écran plat grand modèle spécial pour les joueurs après avoir
insisté auprès de Marie pour qu’elle lâche un peu du pognon
encaissé de la vente de leur dernier champ.
Soudain
une puissante zébrure éclaira la campagne suivie par grondement de
tonnerre. Le choc fit sauter le compteur électrique, avortant du
même coup une attaque virtuelle sur un camp rebelle. Il pesta contre
la nature, insulta sa mère qui l’avait privé de son gorgeon
habituel et jura contre la fatalité qui le clouait dans cette
campagne de merde, loin de tout bistrot.
Il
se leva et ouvrit sa fenêtre pour essayer de voir si les maisons du
village situé à plusieurs centaines de mètres étaient éclairées.
La
voiture, une grosse berline à en juger par le bruit du moteur,
déboula à Burnes. Le chauffeur ne connaissant visiblement pas le
coin, prit le virage beaucoup trop large et alla s’encastrer
violemment contre un muret de pierres sèches.
Baptistin
referma sa fenêtre tranquillement puis dévala les escaliers. Marie
trouva inhabituel que son dégénéré de fils descende aussi
énergiquement, elle passa une tête décoiffée dont les yeux de
poivrote étaient trois fois soulignés de poches bleuâtres, par une
étroite ouverture de la porte car elle ne tenait pas à ce qu’il
la voie à moitié nue.
— Pourquoi
y a pas de lumière ? Et puis c’est quoi tout ce boucan !
grogna-t-elle.
— Retourne
dans tes draps crasseux ! C’est le compteur qui a sauté avec
l’orage… je vais voir.
Il
décrocha la grosse lampe torche, enfila un vieux ciré qui
appartenait à son père puis sortit dans la nuit.
La
bagnole était de traviole, l’avant accroché bêtement au muret
avec une roue qui continuait à tourner lentement. Un des phares
était resté allumé et éclairait la baraque en lui donnant un air
encore plus lugubre. Le haut de ce qui semblait être le corps d’un
homme reposait sur le capot. Il avait traversé le pare-brise,
propulsé par le choc. Baptistin Cresson s’approcha et balaya de sa
torche l’intérieur de la voiture. Un deuxième corps était
recroquevillé sur la banquette arrière, immobile.
« Jamais
oublier de mettre la ceinture de sécurité »
pensa-t-il en commençant par faire les poches du type à moitié
couché sur le capot. L’homme avait morflé : une très large
entaille avait creusé son front sur toute la largeur et une flaque
de sang noircissait sur la tôle et dégoulinait vers l’intérieur.
Il avait le visage antipathique que la fixité rendait encore plus
patibulaire. Canné.
Au
moment où il posa la main sur la poignée pour ouvrir la portière
arrière et commencer de dépouiller la seconde victime, celle-ci
déplia brusquement son corps et poussa sur ses jambes dans sa
direction. Il bascula vers l’arrière en jurant et perdit
l’équilibre sous le coup brutal de la furie.
Le
temps de la surprise passé, il reprit le dessus en lui décochant un
violent coup de poing sur la tempe qui la renvoya directement dans le
sirop.
Il
se releva et la considéra tranquillement à la lumière crue de sa
torche : elle semblait plutôt jeune, dans les trente ans,
mince. Ses cheveux bruns et mi-longs collaient sur son visage
empêchant d’en apprécier les traits. Il s’agenouilla puis avec
sa torche, il repoussa quelques mèches pour découvrir un visage
régulier. Tremblant légèrement, il dirigea la lumière sur la
poitrine qui remuait lentement sous un chemisier de couleur claire.
Il insinua lentement l’autre main sous le tissu pour sentir la
chaleur de la peau. Encouragé par sa propre hardiesse et
l’immobilité de la jeune femme, il respira profondément en
frissonnant et balada lentement sa main sur ses seins. S’attarda
sur le téton gauche et se mit à le pétrir pendant que l’autre
main qui avait lâché la lampe, se mit à aller et venir à
l’intérieur de son pantalon.
La
fille reprit conscience au moment où il éjacula dans son slip. Elle
lâcha un hurlement qui lui valut un coup avec l’imposante torche
qui l’envoya derechef dans les vapes. Sans plus réfléchir, il la
mit sur son épaule et se dirigea vers la maison.
Marie
l’avait vu entrer, lesté du fardeau humain.
— C’est
quoi ce souk ? C’est qui ça ? cria-t-elle.
— Y
a eu un accident dehors. Le chauffeur est mort.
— Et
celle-là, tu comptes faire quoi avec, espèce d’abruti ! Elle
est cannée aussi ?
— Ta
gueule ! Ce que j’en fais ça te regarde pas.
Il
la bouscula et se dirigea d’un pas lent et assuré vers la porte
qui menait à l’ancienne chèvrerie, située au sous-sol. Il
actionna l’interrupteur et lâcha un juron car il avait oublié de
remettre le compteur en marche. Il descendit avec précaution en
prenant garde de ne pas se casser la gueule dans l’étroit escalier
en bois. Une fois en bas, il adossa la jeune femme aux barreaux de la
mangeoire où finissait de pourrir du vieux fourrage. Il dénicha un
bout de corde et l’attacha à un barreau métallique.
Il
remonta rapidement en direction de la cuisine où il ouvrit le
placard du compteur. La lumière revint, éclairant la maison dans sa
réalité misérable. La saleté était partout, des rongeurs surpris
par la lumière accourraient vers leurs trous. Marie était toujours
debout dans le couloir, le corps dégoulinant sous ses bourrelets de
fausse obèse.
— Qu’est-ce
tu fous ? Faut appeler les flics !
— Bah
oui, t’es con. Par contre pas un mot sur la fille t’entends
vieille carne !
— T’es
malade ? Ils vont savoir qu’elle était dans la bagnole avec
l’autre. Comment tu vas expliquer ?
— J’vais
rien expliquer du tout. Personne n’a rien vu… toi non plus t’as
rien vu, OK ?
— Tu
vas faire quoi ?
— Ça
te regarde pas je te dis. Si jamais j’apprends que tu as parlé, je
te bute, tu entends ?
Marie
comprit
que son fils ne
plaisantait pas. Ses yeux s’étaient enfoncés si profond qu’elle
ne voyait plus que deux lueurs de folie. Elle prit peur de son fils
pour la seconde fois de sa vie et cette fois elle y laisserait la
peau. Elle décida de la fermer.
Baptistin
prit du sparadrap, du coton et un flacon de désinfectant dans
l’armoire à pharmacie et redescendit à l’étable. Il avait au
passage glissé son gros couteau de chasse cranté dans son étui, à
l’arrière de son pantalon. Il éprouvait une griserie jamais
ressentie auparavant. Les femmes, il n’en avait pas eu beaucoup et
celle-là lui tombait dessus comme un cadeau du ciel, personne ne la
lui prendra. Il bandait encore un peu en dévalant l’escalier mais
décida de se contrôler, attendre d’être bien tranquille pour
faire la fête. Finies les interminables pignoles devant les pin-up
trafiquées et leurs râles artificiels devant des mecs montés comme
des ânes.
Le
visage de la fille prenait des teintes aubergine, mais elle n’en
gardait pas moins un certain charme aux yeux de son nouveau fiancé.
Il se mit à tamponner maladroitement ses plaies en lui parlant
tendrement.
— Tu
vas voir… je vais bien m’occuper de toi. Je vais t’appeler Romy
comme l’actrice.
— Où…
où est l’homme qui conduisait la voiture ?
— Mort.
Mais toi, tu es bien vivante heureusement.
— T’es
qui toi ? Pourquoi je suis attachée ? Libère-moi espèce
de taré, tu sais pas qui je suis… dit-elle recouvrant complètement
ses esprits.
– Ta
gueule !
Il
la gifla violemment et lui mit la pointe de son poignard sur le nez,
descendit lentement en effleurant sa bouche puis s’arrêta sur
l’échancrure de son chemisier.
— C’est
chez moi ici, et c’est moi qui commande. Tu feras tout ce que je
dirai et si tu es assez gentille, je te laisserai faire une partie
sur mon ordi.
— T’es
un homme mort, mes potes vont te retrouver et te feront la peau.
Baptistin
lui mit la main à la gorge et serra un bon coup. Il l’embrassa sur
la bouche et balada sa langue sur son visage comme un animal aveugle
qui marque sa proie.
— Ne
me touches pas enculé ! cria-t-elle.
Il
lui mit un coup de poing dans les côtes pour lui apprendre les
bonnes manières. Elle en eut le souffle coupé net.
— Faut
que tu me parles meilleur. À partir de maintenant c’est moi ton
petit copain, faut du respect. C’est qui tes potes… des
racailles ? demanda-t-il se souvenant de la trogne du chauffeur.
— Oui,
ils te buteront et foutront le feu à ta baraque avant de partir.
— Où
il est ton portable ? T’en as bien un et un sac comme toutes
les gonzesses non ?
Baptistin
Cresson s’assura que les liens étaient solides. Il lui fourra du
coton dans la bouche et la bâillonna avec un chiffon sale. Il lui
palpa les poches pour voir si elle n’avait pas menti, en retira un
trousseau de clés et quelques pièces de monnaie. Il se remit à
bander quand sa main sèche s’attarda sur le sexe de la fille à
travers le tissu du jean.
Il
alla récupérer le sac de la jeune femme puis regagna la cuisine et
composa le numéro de police secours. Il s’assit en attendant et
entreprit d’examiner sa récolte. Le portable trouvé dans le sac
indiquait plusieurs appels en absence. Il l’éteignit et le mit
dans sa poche. Il y avait
aussi une barrette
de shit, du papier à rouler et une liasse de billets de 50 et de 20
euros. Il prit deux billets et les fourra dans la boîte en métal
qui servait de caisse tirelire pour les courses et empocha le reste.
Du portefeuille du mort, il extirpa un permis de conduire dont le
propriétaire affichait une mine patibulaire. « Gueule
de racaille »,
pensa-t-il. Il n’eut pas le temps de voir dans quel département
était immatriculée la grosse voiture mais le permis du type
indiquait un code postal en 9… sûrement une banlieue parisienne
mais il était incapable de dire laquelle.
La
seule fois où Baptistin était parti à la capitale, c’était il y
a très longtemps. Il avait accompagné son père pour visiter la
grande tante, histoire, disait le père, de se rappeler à son bon
souvenir pour l’héritage car il avait entendu dire que certains
Parigots crevaient seuls en léguant leur fric aux chats du quartier.
L’ambulance
du SAMU arriva sur les lieux en premier. Aucune urgence, le type
était bien canné. Baptistin se tenait à quelques mètres de la
scène dans l’attitude du badaud qui assiste à un drame. Il ne
savait pas jouer les témoins traumatisés, aussi il décida de la
fermer et attendre sous la légère pluie, qu’on lui pose des
questions.
Une
voiture de la gendarmerie arriva. Un des pandores, sûrement le chef,
s’entretint rapidement avec un des gars du SAMU. Il opina du chef à
plusieurs reprises. Ils regardèrent ensemble en direction de
Baptistin, imperturbable sous son ciré. Le gendarme finit par
proposer une poignée de main au secouriste qui donna l’ordre de
charger le mort dans le fourgon puis se dirigea vers le jeune homme.
— Vous
avez vu ce qui est arrivé ?
— Non,
j’ai juste entendu un fracas de tôle depuis ma chambre là-haut,
répondit-il en montrant sa fenêtre de l’index.
— Mmm…
ça a dû faire un sacré boucan si vous l’avez entendu de si loin
avec la fenêtre fermée.
Baptistin
ne répondit pas n’ayant pas perçu d’interrogation dans le ton.
— On
pourrait aller chez vous pour discuter, je commence à être trempé,
dit le gendarme en s’ébrouant.
— Discuter ?
— Déposition…
la routine. J’ai besoin d’éléments, heure tout ça.
— Pas
de souci. Elle là, c’est ma mère.
Marie
fit un bref mouvement de la tête et s’écarta pour les laisser
passer. Les deux hommes s’installèrent dans la cuisine. Le pandore
posa son képi sur la table et sortit un minuscule calepin. Il avait
les cheveux ras et une calvitie bien entamée.
— Je
préfère prendre des notes à l’ancienne. Elle est pas causante
votre mère, hein ?
— Pas
vraiment. Elle n’a rien d’intéressant à dire.
— Alors
pour résumer, la voiture arrivait selon vous assez vite, ensuite
vous avez entendu le bruit du choc contre le muret. Vous avez accouru
et vous avez tout de suite appelé après avoir vu que le chauffeur
restait sans réaction.
— Oui.
— Y
a beaucoup d’accidents par ici ?
— Tous
les gens du coin savent que cette partie de la départementale est
dangereuse.
— Vous
n’avez pas noté d’autres trucs ?
— Non.
Au
même moment, le camion de dépannage commençait à charger l’épave
sur le plateau dans un gros bruit de chaîne. Le gendarme prit congé
et attendit que ses collègues aient fini de vider le seau de sable
orangé sur la flaque d’huile.
— Tu
vois Romy, aucun problème, ils sont partis. Personne ne sait que tu
es là. Il va falloir te montrer gentille avec moi.
Il
commença par dégrafer doucement son chemisier sale. Voyant qu’elle
voulait lui dire quelque chose, il ôta le bâillon.
— Si
tu me donnes mon portable, je pourrai appeler mes copains et tu auras
beaucoup d’argent.
— J’ai
pas besoin de fric. Tu seras ma femme. C’est difficile la vie par
ici mais tu vas t’habituer, tu verras, lui répondit-il d’un ton
fiévreux.
Il
avait déniché une chaîne et un cadenas solide pour l’attacher à
un anneau scellé dans le mur. Au bas de celui-ci, il jeta un vieux
matelas sur lequel elle s’allongea. Il prit son large poignard et
la força à se retourner après lui avoir baissé le pantalon et
arraché la culotte. Elle cria lorsqu’il entra en elle avec
brutalité.
Deux
minutes plus tard, il renifla avec gourmandise la culotte de la fille
et la mit dans sa poche avant de remonter dans la cuisine se trouver
de quoi manger. Il était heureux.
Le
jour se levait péniblement dans la brume.
La
bagnole noire s’arrêta devant la maison sans faire de bruit. Deux
hommes en sortirent. Jeunes et baraqués, ils ne semblaient pas
craindre de laisser paraître leurs flingues coincés à l’arrière
de leurs jeans, sous la ceinture. Ils rôdaient autour de l’endroit
où eut lieu l’accident.
— Police !
cria l’un des types après avoir sonné plusieurs fois de suite.
Ils
entendirent une voix féminine derrière la porte.
— Bonjour
madame… nous sommes à la recherche d’une jeune femme signalée
disparue. Qu’est-ce qui est arrivé ici, un accident ?
tenta-t-il en montrant le sable ocre par terre.
— Oui,
y a eu un accident pendant la nuit, répondit Marie qui apparut dans
l’entrebâillement de la porte. « Allez à la gendarmerie de
Montbrun, ils vous diront… je ne sais rien d’autre ! »,
finit-elle par glapir en refermant.
— On
vient de là-bas justement… ils ont dit que vous avez tout entendu.
La
porte s’ouvrit en grand, Baptistin Cresson se tenait sur le seuil
la mâchoire crispée et les yeux presque invisibles, tapis au fond
de leur trou comme une bête aux abois.
— Qu’est-ce
qu’elle a fait ? demanda-t-il de but en blanc.
— Euh…
rien, pour le moment, répondit le flic un peu décontenancé par
l’irruption de ce type au physique passablement ravagé par
l’alcool. « Liberté conditionnelle… elle a oublié de
pointer au commissariat comme la loi l’y oblige ».
— Nous
autres on a rien vu. Ils ont emporté le mort dans l’ambulance, on
a dit tout ce qu’on savait aux gendarmes.
Baptistin
poussa le rideau de la cuisine pour observer le manège des deux
types. Il entra dans une colère froide contre la fille et décida
cette fois à tirer les choses au clair.
— Des
flics sont à ta recherche ! commença-t-il en la giflant
violemment. « Ils m’ont dit que t’es une taularde ? »
— En
liberté conditionnelle, rectifia-t-elle
— Pourquoi
t’es tombée ?
— Trafic
de drogue et un peu de prostitution, dit-elle en le fixant droit dans
les yeux pour lui montrer qu’elle en avait aussi. « T’es
foutu trou de pine, ils savent que je suis dans le coin, ils
continueront à fouiner jusqu’à ce qu’ils trouvent leur os.
— Qu’est-ce
que tu foutais par ici ?
— On
convoyait quelques kilos de coke par les petites routes des Alpes.
Baptistin
semblait refroidi par cette histoire, il commençait
à sentir poindre
les emmerdements.
— Je
comprends pas comment les flics ont été si rapides pour venir
jusqu’ici.
— GPS
trou de pine… à cause de ça.
Elle
remonta son pantalon au niveau du mollet pour montrer son bracelet
électronique. La vue de l’objet le mit dans une rogne noire, il
reprit son poignard et tenta de l’arracher en lui tailladant sans
précaution la peau. Elle hurla de douleur. Pour la faire taire, il
lui administra une gifle monumentale qui la fit sombrer dans une
semi-conscience.
— Arrête
de m’appeler trou de pine, salope !
Marie
apparut dans le cadre de la porte en haut de l’escalier. Elle avait
pris le vieux fusil de chasse de son mari.
— Baptistin…
Baptistin, appela-t-elle, « monte voir ! »
Les
deux flics n’étaient plus là. Une autre voiture avec trois types
stationna à la sortie du virage en épingle qui surplombait la
maison. Mère et fils montèrent à l’étage pour observer les
nouveaux arrivants. Eux n’avaient clairement pas des têtes de
flics. Ils furetaient partout. L’un d’eux pénétra discrètement
dans le jardin à l’arrière de la maison puis se planqua. Les
mains de Marie se crispèrent sur le fusil, elle tressaillit et fit
mouvement vers le bas.
— Tu
vas faire quoi, vieille folle ?
— Tu
vois pas qu’ils vont essayer de rentrer. Ils ont des gueules de
racaille, je parie qu’ils recherchent l’autre salope en bas. Je
vais les attendre derrière la porte.
Baptistin
admit qu’elle n’avait pas tort sur leur ressemblance avec le
chauffeur décédé. Il s’assura de son poignard, ouvrit la fenêtre
et sortit en s’accrochant aux branches du grand chêne pour
redescendre comme il faisait gamin pour se faire la malle.
Il
se ravisa et regagna la maison en voyant surgir un fourgon noir siglé
BRI qui arrivait de l’autre côté de la route. L’escadron de
flics se dispersa, deux tireurs se mirent en place. Les deux flics
éclaireurs, avaient repéré la topographie du lieu et le nombre de
personnes vivant dans la maison, mais ils ignoraient la présence des
trois voyous. La scène se mettait en place.
Baptistin
descendit à toute volée jusqu’à la chèvrerie où la jeune femme
essayait de tirer sur sa chaîne en vain. Constatant l’agitation de
son ravisseur, elle comprit que quelque chose se préparait.
Du
grabuge leur parvenait d’en-haut.
Un
des complices avait réussi à ouvrir la porte, il reçut une volée
de chevrotine qui transforma son visage en steak haché sanguinolent.
Il tomba en arrière d’une seule pièce. Les policiers surpris, se
mirent alors à tirer dans la porte en bois la réduisant en miettes.
L’ordre de charger fut donné. Au même moment, les deux autres
malfrats sortirent des massifs de gardénias en défouraillant. Ils
furent abattus par les tireurs embusqués. Marie gisait par terre le
corps déchiqueté par les balles. Sa chemise de nuit remontait sur
ses cuisses flasques et des hoquets de sang moussaient dans sa
bouche. Le reste de l’escadron se déploya dans la maison.
Baptistin
parvint à ouvrir le cadenas de la chaîne malgré la trouille. Il se
plaça derrière la fille et tout en lui tenant le cou serré avec le
creux du bras gauche, menaçait de lui trancher la gorge de son
poignard avec la main droite. Le flic donna un coup de pied faisant
voler la porte de la chèvrerie.
— Si
tu approches, je la saigne… !
Le
flic recula. Après un bref échange avec le patron de l’opération,
il fut convenu de laisser Baptistin sortir de la maison pour le
mettre à la portée des snipers.
— Calme-toi.
Nous avons préparé une bagnole dehors, le moteur tourne. Tu montes
tranquillement puis tu relâches la fille en échange.
— Barrez-vous
alors… !
Il
rejoignit le hall d’entrée en tenant fermement la jeune femme. Il
passa devant sa mère baignant dans son sang, le corps criblé de
balles.
— Marie…
Marie bordel ! Vous l’avez butée, enculés ! hurla-t-il
fou de rage.
Il
sortit sur le perron.
— Si
vous avancez, je lui tranche la gorge.
Il
avançait lentement,
un pas derrière l’autre. Il guettait fiévreusement le moindre
tressaillement autour de lui.
Soudain
un camion-citerne portant l’inscription « Établissements
Labauge, vidange, assainissement, fosses septiques », freina
devant la maison dans un gros fracas de roues. Marcelin Labauge, le
fils, descendit en sifflotant et en enfilant ses gants de travail
sans lever les yeux vers la scène qui se tramait devant lui. Il cria
à la volée :
— Et
qui c’est qui va éponger toute la merde, hein… ? dit-il
joyeusement en relevant enfin la visière de sa casquette crade.
Au
même moment, le tireur embusqué fit éclater la mâchoire de
Baptistin Cresson qui s’écroula aux pieds de sa fiancée d’un
soir.
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