Cette
année, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont concocté les
questions de l’interview, celles qui leur trottent dans la tête,
celles qu’on ne leur pose jamais, ou tout simplement celles qu’ils
aimeraient poser aux autres auteurs.
Aujourd’hui
l’interview de Pascale
Dietrich
1.
Certains auteurs du noir et du Polar ont parfois des comportements
borderline en salon. Faites-vous partie de ceux qui endossent le rôle
de leurs héros ou protagonistes pendant l'écriture, histoire d'être
le plus réaliste possible ?
Bande
de psychopathes !
Mes
personnages ont souvent des idées farfelues et des comportements
amoraux. En ce qui me concerne, en salon, je fais bien attention à
paraître la plus normale possible pour éviter tout malentendu.
Jusqu’à présent, contrairement à mes héroïnes, je n’ai
encore jamais congelé personne, je le jure.
2.
Douglas Adams est promoteur de 42 comme réponse à la vie, l’univers
et le reste. Et vous quelle est votre réponse définitive ?
Ayant
des problèmes d’oreilles, il m’arrive d’être un peu perdue
dans les conversations, surtout dans les lieux bruyants. Avec
l’expérience, je me suis aperçue qu’il y a une réponse qui
marche à tous les coups, quelle que soit la question : « c’est
incroyable ! » Les gens sont flattés car ils ont
l’impression d’être captivants et ça les encourage à
poursuivre. Cela convient à toutes les discussions, des plus
anodines aux plus philosophiques. Et si on me demandait, par exemple,
mon avis sur le conflit israélo-palestinien, ça passe aussi.
3.
Y a-t-il un personnage que vous avez découvert au cours de votre
vie de lecteur et avec lequel vous auriez aimé passer une soirée ?
J’ai
récemment lu « L’ours est un écrivain comme les autres »,
de William Kotzwinkle. C’est l’histoire d’un ours qui trouve un
manuscrit dans la forêt et le propose à un éditeur New Yorkais.
Son roman fait un carton et il est invité à toute sorte de
mondanités où il fait sensation. J’aimerais beaucoup dîner avec
lui et savoir si je le trouverais aussi beau, ténébreux et
intelligent que les femmes du livre.
4.
Si tu devais avoir un super pouvoir ce serait lequel et pourquoi?
J’aimerais
avoir une main qui fait plaque électrique. Il suffirait de poser une
casserole dessus pour qu’elle chauffe. Ça
peut servir si je suis perdue dans la forêt pour cuire de la viande
ou des châtaignes et, avec ce super pouvoir, fini le café qui
refroidit dans la tasse.
5.
Est-ce que tu continuerais à écrire si tu n'avais plus aucun
lecteur ? (même pas ta mère)
Je
fais de la natation alors que personne ne me regarde enchaîner les
longueurs, donc je suppose qu’il n’y a aucune raison pour que
j’arrête d’écrire…
6.
Quel a été l'élément déclencheur de ton désir d'écrire ?
Est-ce un lieu, une personne, un événement ou autre ?
Depuis
que je suis enfant, j’aime raconter des histoires, mais c’est
l’ordinateur qui m’a donné envie d’écrire de façon sérieuse
et régulière. Quand j’ai reçu mon premier PC et que j’ai pu
retravailler mes textes, je me suis dit que c’était vraiment ça
que je voulais faire. Cette machine mettait dix minutes à démarrer,
j’en garde un souvenir attendri.
7.
Est-ce que le carmin du sang de ses propres cicatrices déteint
toujours un peu dans l'encre bleue de l'écriture ?
Je
m’inspire peu de mon propre vécu, mais mes colères font partie
des moteurs de l’écriture. Par exemple, quand je me suis aperçue
que les hommes et les femmes n’étaient toujours pas égaux face
aux charges domestiques alors même que ces dernières travaillent et
ont des boulots aussi prenant qu’eux, la question du rapport aux
hommes a pris plus de place dans mes textes. Aujourd’hui, celle du
monde du travail est aussi un élément récurrent.
8.
Penses tu qu'autant de livres seraient publiés si la signature était
interdite ? Et toi, si comme pour le trophée Anonym'us, il fallait
publier des livres sous couvert d'anonymat, en écrirais-tu ?
Je
pense que la majorité des auteurs n’écrivent pas pour se faire
mousser. En ce qui me concerne, je continuerais sans hésitation.
L’important est d’avoir un retour sur mon travail, mais il me
semble que l’anonymat ne compromet pas cela.
9.
Pourquoi avoir choisi le noir dans un monde déjà pas rose ?
Les
meurtres et les drames constituent d’excellents ressorts narratifs.
En outre, le noir est une manière de pousser les logiques humaines à
l’extrême, comme un miroir grossissant. Ceci dit, dans mes textes,
il y a toujours un côté humoristique, ce qui rend les choses plus
légères. J’aime beaucoup mélanger le sordide et la dérision.
10.
Quelles sont pour toi les conditions optimales pour écrire ?
Je
suis particulièrement efficace le matin. C’est un moment où j’ai
les idées claires. Si je pouvais travailler absolument quand je
veux, je bloquerais des plages horaires très régulières, à peu
près celles d’une mairie. 9h-12h/14h-16h. L’après-midi, j’irais
peut-être courir ou nager car c’est là que me viennent souvent
les idées. Malheureusement, je suis loin d’avoir autant de temps.
Sinon, j’aime écrire dans le silence, sauf quand je travaille dans
un café où le bruit et la musique ne me dérangent pas.
11.
si vous deviez être ami avec un personnage de roman, lequel
serait-ce?
Je
m’entendrais sans doute bien avec les personnages de Jean-Philippe
Toussaint, par exemple le narrateur de La
télévision. Il se met toujours dans
des situations pas possibles. Je me verrais bien me promener avec lui
dans les parcs de Berlin et vivre de petites aventures du quotidien.
Je me souviens d’une scène où il va nager nu dans un lac comme
cela se fait en Allemagne et, en sortant de l’eau, il tombe sur son
chef qui se met à lui faire la conversation comme si de rien
n’était.
12.
Quel est ton taux de déchet (nombre de mots finalement gardés /
nombre de mots écrits au total ) ? Si tu pouvais avoir accès aux
brouillons/travaux préparatoires d’une œuvre, laquelle serait-ce
?
Au
moins 50 % ! Quand je commence un roman, je pars la fleur au
fusil, sans plan préétabli. Ensuite, je ne cesse d’ajuster,
couper et déplacer. C’est pareil pour le style, je barre,
reformule, etc. Résultat, j’écris probablement trois cent pages
pour accoucher d’un roman de cent cinquante pages.
Si
je pouvais voir le brouillon d’un œuvre, je prendrai un roman de
Jean Echenoz. Je serais curieuse de voir comment se passe le
processus de construction de ses textes dont les scénarios sont
généralement un peu fous.
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