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Cours.
Respire. Ne te retourne pas. Avance, c’est tout. Respire.
Concentre-toi sur le front serré des chênes,
tu es y presque.
Cours !
Dans
mon dos j’entends leurs souffles, le claquement de leurs bottes,
les branches qui craquent, le cliquetis de la sangle de leurs armes
qui bat contre leurs torses au rythme de leur course.
Cours.
Respire. Ne te retourne pas.
Je
bifurque, slalome entre les arbres pour rendre leur tâche plus
difficile, leur prouver que nous ne sommes pas une espèce qui rend
les armes facilement. Un nouveau coup de feu éclate derrière moi.
Une balle siffle à mes oreilles. Mon pouls bat plus fort dans mes
tympans, l’air humide colle à mes vêtements, se mélange à ma
sueur.
Cours
bordel ! Arrête de penser ! Concentre-toi ! Respire !
J’ai
un point de côté. Pire que ça, ça me dévore tout le côté
gauche, mais si je m’arrête, je suis foutue ! Je préférerais
la mort.
Mon
objectif : la
forêt. Sombre, dense et protectrice. On peut s’y perdre, enfin
eux, parce que nous, on la connaît comme notre poche. Surtout
maintenant. Ils n’ont plus de forêt eux, plus d’arbre, plus de
mer, ils ont tout perdu. C’est pour ça qu’ils sont venus chez
nous, pour nous voler.
Je
dévale la plaine noircie par les récentes batailles, à ses pieds,
les traces d’une ancienne route. La voie grêlée de trous, des
feux tenaces qui couvent. Partout où se pose mon regard, je ne vois
que l’enfer. La paix est morte sans doute. Noyée sous les rivières
de feu. Des carcasses de véhicules calcinés s’amoncellent le long
de la route. J’ose un œil en arrière. Je les ai pas mal
distancés. Il faut que je fasse une pause ou mes poumons vont
exploser. À l’horizon, le soleil se couche enfin. Ils vont devoir
rentrer.
Je
saute une ravine et me glisse sous une bagnole abandonnée. Je
m’allonge jusqu’à m’incruster dans le sol. Mon cœur me fait
mal à battre aussi fort. J’aimerais parfois qu’il s’arrête de
faire autant de bruit. Ou alors c’est autour de moi qu’il y a
trop de silence ? Depuis leur arrivée, les bruits se sont tus.
C’est abominable tout ce silence. C’est effrayant. On n’entend
plus que le bruit de nos angoisses. Je relève un peu la tête. De ma
position, je ne vois que la route, les gravats, l’herbe cramée.
Ont-ils perdu ma trace ? Ont-ils laissé tomber ? Non, ils
ne laissent jamais tomber. Quand ils sont obligés de rentrer, la
nuit, ils envoient leurs drones nous traquer à leur place. Des
espèces de petits appareils qui ont la forme de gros galets et qui
glissent dans le ciel sans un bruit. Vous ne les apercevez que quand
vous êtes mort. La lueur décline, le froid va s’intensifier, ils
n’aiment pas le froid. Après je pourrai sortir et foncer jusqu’à
la forêt. Je dois juste attendre. Je ferme les yeux en posant la
main sur mon ventre.
“Nous
sommes un peuple qui croit que l’univers est constitué d’une
myriade de civilisations qui, ensemble, peuvent générer l’espoir
et conférer la sécurité à la vie elle-même”.
Est-ce
qu’ils se sont foutus de notre gueule ? Ou est-ce nos experts
qui se sont plantés ? Je penche plutôt pour la première
hypothèse, même s’il est clair que nos experts sont clairement
passés à côté de quelque chose. Ils ont bien dû se marrer dans
leurs vaisseaux, en nous voyant agiter nos banderoles de bienvenue.
Quand l’administration spatiale avait capté leur message, quelques
semaines avant l’invasion, on avait eu le droit au grand tralala.
D’une manière unanime ou presque parce qu’il y avait bien eu
deux ou trois sceptiques, le monde s’était réjoui de leur
arrivée. Enfin, nous avions la confirmation que la vie existait
ailleurs. Notre excitation était à son paroxysme. Nous rêvions de
ce qu’ils pouvaient nous apprendre, de la façon dont notre
quotidien allait évoluer. Il y avait eu quelques manifestations
opposées, bien sûr, par des types qui devaient bien rigoler
maintenant, mais vite calmées par notre gouvernement, plus que
désireux d’accueillir avec bienveillance ces visiteurs de
l’espace. C’était tout nous ça. Faire confiance aveuglément.
On a vite déchanté.
La
première attaque est survenue deux jours après que les vaisseaux se
soient arrêtés au-dessus des grandes villes pour nous balancer leur
petit message rassurant. “La sécurité à la vie elle-même”.
Quelle connerie ! Leur sécurité oui ! Leur vie ! La
nôtre, ils n’en avaient rien à foutre. Ils ont d’abord paralysé
nos générateurs, c’est là que le silence s’est installé. D’un
seul coup sans prévenir, tout s’est éteint. C’est fou comme on
était dépendants. Comme on a eu du mal à réagir. Puis, ils ont
lancé leurs bombes. Sur les bâtiments gouvernementaux d’abord,
avec nos dirigeants dedans bien entendu, sur nos ponts ensuite et nos
routes, anéantissant nos espoirs de fuite. Nous étions désemparés,
à l’abandon, alors à leur message a rapidement succédé le
nôtre : évacuer les zones de danger, rejoindre le bâtiment le
plus proche et s’y confiner. Là encore, c’était une belle
connerie. On leur a facilité la tâche, ils n’ont pas eu à nous
chercher. Et c’est là que le pire a commencé.
On
était rassemblés dans la salle des fêtes, mes amis, mes parents,
nos voisins, dans une semi-obscurité, attendant impatiemment les
secours. Mais les secours avaient déjà rendu les armes. Dès que le
gouvernement avait explosé en fait. Ils sont arrivés à vingt, en
ligne et en cadence. Vingt, quand on y repense, c’est tellement
peu… pourquoi n’avons-nous pas foncé dans le tas ? Pourquoi
nous sommes-nous laissés faire ? Peut-être parce qu’ils nous
ressemblaient tellement. Juste plus grands et plus fins que nous,
guindés dans des combinaisons noires matelassées avec un casque
intégral et surtout armés jusqu’aux dents. Peut-être simplement
parce que nous avions peur ?
Ils
nous ont triés en trois catégories. Les jeunes, dont je faisais
partie au fond de la salle, les entre deux âges, mes parents, sur un
côté et les plus vieux au milieu. Je n’avais personne dans cette
catégorie, à part quelques voisins, mais que je ne fréquentais pas
beaucoup. Est-ce que ça a été moins douloureux de les voir
mourir ? Non. Ça a été atroce pour tout le monde. On a tous
hurlé, les gosses comme les adultes quand le feu de la mitraille
s’est abattu sur eux. On s’est recroquevillés sur le sol en
position fœtale et on a chialé. Parce qu’on était persuadés
qu’après ça allait être notre tour. Finalement, ça aurait été
préférable.
Ils
ont fait monter les survivants dans leurs véhicules, les adultes
sont partis à gauche, nous à droite. J’ai vu ma mère disparaître
dans un écran de poussière. Nous étions terrifiés, en vie encore,
mais pour combien de temps ? Je me suis persuadée
qu’ils ne voulaient pas nous tuer parce que sinon ils l’auraient
fait dans la salle en même temps que les vieux. Mais qu’allaient-ils
faire de nous ? Pourquoi nous garder en vie ?
On a
roulé la journée entière, sur des routes défoncées au milieu
d’un enfer déchaîné. On a découvert la boucherie. La chair, le
sang de ceux qui tentaient encore de résister, maculant les fossés.
Nous avons pleuré notre impuissance. Nous pleurons encore
aujourd’hui.
C’est
à la nuit tombée que nous avons pénétré dans une enceinte
fortifiée. Je ne suis pas très douée en infrastructures, mais
celle-ci n’était clairement pas une des nôtres. Quand
l’avaient-ils construite ? C’était un bâtiment immense,
sorte de hangar en tôle,
entouré d’une muraille de plus de trois mètres de haut. Depuis
combien de temps étaient-ils là réellement ?
Certaines
rumeurs disent qu’ils sont là depuis longtemps, bien avant
l’invasion. Que des espions étaient déjà parmi nous, en sommeil,
attendant le moment propice pour se révéler au grand jour. Nous
disséquant pour apprendre tout de nos habitudes et surtout de nos
failles. Je n’ai pas vraiment d’opinion là-dessus,
peu m’importe depuis quand ils sont là, tout ce que je sais, c’est
qu’ils me foutent la trouille.
Il
faisait chaud dans leur engin, une chaleur étouffante ensemencée
par notre peur. Quand les portes se sont ouvertes, un vent glacial a
envahi l’espace confiné nous faisant frissonner. Ils nous ont
ordonné de descendre, dans notre langue, ce qui était étrange,
mais confirmait du coup la théorie des complotistes. On s’est tous
regardés, hésitants. À l’intérieur, nous avions encore la
certitude d’être en vie, en descendre, c’était affronter
l’inconnu. Et pas n’importe lequel. Un putain d’inconnu !
Ils ne nous ont pas laissés hésiter longtemps. Trois soldats sont
montés et nous ont poussés sans ménagement vers la sortie.
Certains se sont remis à chialer. Moi je me suis contentée de
prendre la main de Kaya, ma meilleure amie, et nous ne sommes pas
lâchées jusqu’au bout.
La cour
intérieure était vaste, en terre battue, fouettée par les vents.
C’est là qu’on s’est rendu compte qu’ils n’aimaient pas le
froid. Ils grelottaient malgré leurs combinaisons épaisses et nous
engageaient à nous magner le train. Je me souviens d’avoir pensé
qu’on n’avait qu’à résister jusqu’à l’hiver, que les
températures étaient si glaciales qu’ils ne tiendraient pas, et
puis j’ai réalisé qu’on serait sûrement tous morts avant. Ils
avaient dû réfléchir à ça avant de venir.
Ils
nous ont guidés jusqu’au bâtiment, éclairé par d’énormes
projecteurs qui lui donnaient un aspect brillant et surdimensionné.
Deux portes se sont ouvertes sur notre passage et nous sommes tous
restés sans bouger, angoissés. À l’intérieur du hangar était
stationné un vaisseau spatial. Gigantesque, circulaire et noir.
Est-ce qu’ils voulaient nous emmener ? Ils nous ont poussés
sur la minuscule passerelle et nous nous sommes retrouvés au milieu
d’un hall luminescent, aménagé en laboratoire. Mon cœur s’est
arrêté de battre. Apparemment, on n’était pas près de décoller.
Nous avons remonté un corridor interminable et ils nous ont répartis
dans des sortes de dortoirs.
Deux
jeux de trois couchettes sur chaque mur, une table avec des bancs au
milieu. Carcérale. Sur la table, des plateaux garnis. Ça faisait
des semaines, depuis l’invasion, qu’on n’avait pas vu autant de
bouffe et malgré l’énorme appréhension qui me trouait le bide,
je peux vous dire que ma première envie fut de me jeter dessus !
Kaya m’a retenue. Elle tremblait de peur, ses yeux étaient rougis
par le chagrin, mais ils luisaient aussi d’une détermination que
je ne lui avais jamais vue. La guerre change les gens. Elle les
transforme parfois. J’ai changé moi aussi, mais dans cette pièce,
existait encore l’ancienne Isha, régie par ses instincts
primaires. J’avais faim et soif. Nos deux autres colocataires
étaient déjà attablées.
— Putain !
Ne bouffez pas ça ! leur a hurlé Kaya. Vous ne savez même pas
ce que c’est !
Une des
deux, qui semblait avoir douze ans, des yeux éteints et des joues
creusées, lui a lancé un regard morne :
— On
dirait de la viande
fumée, c’est bon.
— Le
fumé ça doit être pour couvrir le goût du poison !
— Pourquoi
ils se seraient donné la peine de nous amener ici pour nous
empoisonner ?
Elle
n’avait pas tort. Ils ne nous voulaient peut-être pas du bien,
mais sûrement pas nous tuer. Du moins pas ce soir. Mais Kaya était
bornée.
— Je
ne toucherai à rien de ce qui vient d’eux ! a-t-elle vociféré
en envoyant valdinguer le plateau d’un revers de main rageur.
Les
petites boulettes de viande fumée ont rebondi sous la première
banquette. L’autre petite qui semblait un peu plus jeune, plus
maigre aussi, et qui n’avait ouvert la bouche que pour y enfourner
de grosses bouchées, s’est décidée à intervenir :
— Moi
j’espère justement qu’il y a du poison, comme ça je mourrai
cette nuit sans avoir à subir ce qu’ils vont nous faire demain.
On s’est
toutes tournées vers elle, les yeux exorbités.
— Qu’est-ce
qu’ils vont nous faire ? j’ai demandé.
Elle a
haussé les épaules :
— Bah
j’en sais rien, mais faut pas être très intelligent pour savoir
qu’on est dans un labo et que dans des labos, on fait des
expériences.
On a
toutes baissé la tête et on s’est assises pour manger. Même Kaya
qui a fini par ramasser ce qui restait de son plateau.
Nous
ne savions pas quelle heure il était, nous n’avions aucune notion
du temps dans cette chambre. Ils n’avaient pas pris la peine
d’éteindre les lumières après que nous ayons fini notre repas et
nous avions fini par nous allonger sur les banquettes, un bras sur
les yeux pour nous protéger un peu de cette lumière artificielle.
Nous avions passé une partie de notre temps silencieuses, nous ne
savions pas quoi dire à part ressasser nos angoisses ou fabuler sur
leurs expériences, ce qui aurait été pire. Je crois que la plus
petite s’est mise
à pleurer à un moment, mais par pudeur nous n’avons rien dit. Par
peur de nous effondrer aussi. Et puis nous avons commencé à parler.
C’est Kaya qui a eu l’idée des présentations. Pour qu’on ne
meure pas dans l’indifférence. Elle s’est redressée sur sa
couchette et a déclamé d’une voix solennelle et faussement
enjouée :
— Je
me nomme Kaya, j’ai seize ans et je pensais comme une conne qu’ils
venaient en amis.
Ça nous
a fait rigoler deux minutes, un peu jaune tout de même, d’un petit
rire feutré, nerveux. Puis la plus petite s’est redressée à son
tour. Elle ne touchait même pas le bas du lit du dessus.
— Je
m’appelle Abey, j’ai neuf
ans
et moi aussi je croyais qu’ils étaient nos amis, même si j’avais
déjà un peu peur.
Neuf ans
bordel ! Et déjà l’espoir de mourir…
Ça m’a
chamboulée, du coup je n’ai pas entendu le prénom de la troisième
et c’est Kaya qui m’a tiré de mes pensées.
— La
muette là-bas, c’est Isha ! Elle a seize ans comme moi et
c’est ma super copine.
— Tu
as de la chance d’avoir encore quelqu’un, a soupiré Abey. Moi
tous
ceux que je connaissais sont morts ou partis.
On s’en
doutait un peu, vu comment elle était maigre, elle devait se
débrouiller seule depuis le début de la guerre.
— Ils
les envoient où nos parents ? j’ai demandé.
— Dans
des colonies, a murmuré sans nom. J’ai entendu dire qu’ils les
envoient sur leur planète pour nettoyer leurs déchets toxiques. Et
ils les laissent crever dans leur pollution. Mon père faisait partie
de la première rafle.
Personne
n’a pas répondu, à quoi servaient les mots après ça ?
Surtout que nos parents faisaient partie des rafles suivantes.
Un
petit sifflement a ponctué notre silence. On a regardé à droite et
à gauche et on a fini par se lever pour chercher
d’où
ça venait. C’était comme un souffle continu. Kaya a repéré une
bouche d’aération. En tendant la main, on sentait un air froid
nous tomber dessus.
— Ils
envoient de l’air, a-t-elle commenté en reculant par précaution.
On
a toutes fixé la bouche, s’attendant à ce que quelque chose en
sorte, puis Abey s’est effondrée. D’un coup. Elle était debout
et la seconde d’après elle était au sol. Je me suis précipitée
pour tâter
son pouls, le mien me broyait les veines.
— Elle
est juste endormie, j’ai soupiré en me tournant vers les deux
autres.
Puis
Aquene est tombée aussi. C’est comme cela qu’elle s’appelait.
J’ai entendu Kaya le crier quand elle s’est précipitée sur elle
pour éviter qu’elle se fracasse le crâne sur la table. Je
commençais à ne pas me sentir bien non plus. J’avais des vertiges
et ma vision se troublait. J’ai vu Kaya se tourner vers moi en
panique.
— C’est
du gaz ! Ils nous asphyxient !
Et je me
suis écroulée.
Paf,
criiiish… paf, criiiish
Est-ce
que c’est mon cœur ? Ou mon mal de crâne ?
J’ai
un truc qui me vrille le cerveau. C’est épouvantable. Ça veut
dire que je suis encore en vie ? J’ouvre un œil et me prends
la lumière crue d’un néon en plein dedans. Je le referme
aussitôt.
Paf,
criiiish…
Putain
c’est quoi ce truc ? Je me tourne un peu sur le côté, veux
mettre mes mains en visière, mais elles sont entravées. Je capte
une présence à mes côtés. Un truc glacé m’effleure l’épaule.
— T’es
en vie ?
J’ouvre
les yeux, il est là à deux centimètres, il me regarde de ses
grands yeux presque translucides, la bouche couverte par un masque
qui lui permet de respirer. Je tente de me relever, mais on m’a
attachée au lit. Je veux hurler, mais il plaque sa main gantée sur
ma bouche. De l’autre, il me fait signe de me taire et défait mes
sangles.
— Je
ne te ferai pas de mal, je ne m’occupe que du ménage, moi, me
dit-il et il ajoute en chuchotant : et je fais partie de la
résistance.
La
résistance ? Je fronce les sourcils, il m’explique :
— Nous
sommes quelques-uns en désaccord avec les directives de notre
gouvernement.
J’enlève
sa main de ma bouche, c’est fou ce qu’elle est froide, même à
travers ses gants.
— Quelles
directives ?
Il
s’écarte de moi, en baissant la tête et je croise dans son dos,
le regard définitivement vide d’Aquene. Un peu plus loin,
plusieurs petits corps ballants sont entassés sur un chariot. Je
reconnais celui d’Abey en haut de la pile. Les larmes me montent
aux yeux et c’est moi cette fois qui me couvre la bouche pour
étouffer ma peine.
— Certaines
ne supportent pas, dit-il en secouant la tête.
— Supporter
quoi ?
Je
m’attends au pire, mais pas à ce qu’il m’avoue :
— L’insémination.
Mon cœur
se fend en deux, la douleur explose dans ma poitrine tandis que je
tâte bêtement mon ventre. Qu’est-ce qu’ils m’ont foutu
là-dedans ? Il croit bon de m’expliquer. Sa planète,
quasi morte à cause de la pollution, la disparition de leur faune,
de toutes leurs ressources énergétiques, la mort de milliards de
personnes et la stérilité des autres. Et enfin la survie.
— En
désespoir de cause, notre gouvernement a décidé de chercher
ailleurs des solutions. KOI 7701 s’est avérée être la seule
planète quasi identique à la Terre.
— KOI
quoi ?
— C’est
le nom qu’on donne à ta planète. Grâce à vous, ils espèrent
repeupler et décontaminer la Terre, pour pouvoir y revivre un jour.
Je ne
sais pas quoi dire, je suis en état de choc. Tout ce que je sais
demander, c’est où est Kaya.
— Contrairement
à toi, ton amie s’est réveillée tout à l’heure quand ils
étaient encore là. Ils l’ont envoyée en camps d’insémination.
Des
camps ? Alors l’horreur peut être pire que ça ?
— Tu
dois t’enfuir maintenant, ils vont bientôt revenir. Va prévenir
ton peuple, organisez une résistance ! Nous ne pourrons pas
rester éternellement ici, nos corps ne résisteront pas à votre
atmosphère et à vos températures glaciales.
Comme je
ne bouge pas, paralysée par mes émotions, il me prend la main et me
traîne vers une canalisation bouchée par une grille qu’il fait
sauter en deux secondes. J’ai mal au ventre, à l’entrejambe,
j’arrive pas à réagir. Je le regarde bêtement avec l’envie de
vomir.
— Ça
t’amène derrière l’enceinte. Ne traîne pas ! Cours !
Je reste
sans bouger à l’entrée de ce foutu trou, je flippe, si c’était
un piège à l’autre bout ? Je ferme les yeux tandis qu’il
me pousse dans le tube.
Paf,
criiiish… paf, criiiish
Je
rouvre les yeux. Je suis sous la bagnole. La nuit se répand sous la
route. Et la forêt brûle.
Paf,
criiiish… paf, criiiish. C’est le bruit des armes qui embrasent
la forêt, les miens courent dans tous les sens pour échapper au
brasier. Certains s’effondrent, les hommes, touchés en pleine tête
par leurs balles. Ils fauchent les femmes au niveau des genoux, seuls
nos ventres les intéressent après tout. Quelque chose m’attrape
la cheville, un courant glacé me remonte le long de la jambe. Je
suis tirée en arrière et mon hurlement est si intense qu’il
couvre un moment le bruit de mon monde à l’agonie.
J’ai
retrouvé Kaya au camp, attachée trois lits plus loin que le mien.
Les terriens qui nous gardent veillent sur nous farouchement, mais
nous laissent parler librement. On n’est pas à plaindre. On est
bien nourries contrairement à ceux qui partent pour les colonies,
ils nous apprennent leur langue, nous filent des bouquins qui parlent
de la Terre. C’est vrai qu’elle était belle avant qu’ils ne
détruisent tout. Je me demande ce qu’ils vont détruire ici. J’ai
appris que celui qui m’avait aidée à fuir était mort. Peu après
ma capture, ils l’ont tué sans hésitation. Ce n’était pas un
piège tout compte fait.
L’hiver
arrive, mais ils ont remis les générateurs à graisse en route, ça
les a fait marrer, ils parlent de préhistoire, de trucs que je ne
comprends pas trop, mais il règne dans les bâtiments une douce
chaleur. Trop chaud pour nous, mais bon tant que ça ne nous tue pas
ils s’en foutent.
J’en
ai vu un qui a enlevé son respirateur la semaine dernière et il a
tenu une heure sans. Il semblerait que leurs corps s’habituent
finalement à notre atmosphère. Il semblerait que ce monde ne soit
déjà plus le nôtre.
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