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Pour gagner une course de fond, il ne s’agit pas de caracoler en
tête sur les trois quarts du parcours. Seule compte l’arrivée, où
l’on doit tout faire pour être le premier à la franchir.
Pierre Doyel le savait comme personne. Des mois de travail acharné
pour se maintenir au sommet, et qu’il devrait peut-être balayer
d’ici quelques instants. À l’abri de la foule, dans son bureau
aux murs lambrissés, il n’avait accepté que la présence de ses
plus proches collaborateurs. La pression et les enjeux étaient
énormes. Stéphanie, qui partageait sa vie depuis plus de vingt ans,
tenait sa main en posant sur lui un regard inquiet. En dehors d’elle,
personne ne savait à quel point les minutes à venir seraient
décisives. Une vraie question de vie ou de mort.
Tout allait se jouer dans les minutes à venir. Décisives au point
d’aboutir à la vie comme à la mort. Phares éteints et moteur
arrêté, Luc laissa la voiture glisser sur la pente douce du chemin.
Sur leur passage, les pneus arrachaient les graviers figés par le
gel, produisant un crissement qui paraissait assourdissant aux trois
autres passagers. Tous devaient être prêts à tous les sacrifices.
Sauf celui d’échouer dans leur mission. À bonne distance d’une
bâtisse dont les contours sombres se découpaient dans la nuit, ils
sortirent de l’habitacle en prenant soin d’éteindre le
plafonnier et sans refermer les portières. Luc couvrit son visage
avec la cagoule qu’il avait relevée sur son front et sortit son
arme du coffre, dont il ôta la sécurité.
— Il faut y aller, dit l’un des hommes.
Le corps courbé vers le sol, Luc opina du chef et ouvrit la marche
vers la maison.
— Il faut y aller, Pierre. On est déjà en retard.
Les yeux rivés dans les siens, Marc Langin attendait qu’il bouge
enfin. Doyel soupira, opina du chef et se leva, quittant à regret
les bras de sa femme. Comme un automate, il ajusta sa cravate, enfila
une veste sombre et se jaugea dans un miroir. Sans sévérité, ni
complaisance, il examina avec une objectivité nouvelle chaque détail
de son visage. 52 ans depuis trois mois. Il semblait ce soir en avoir
dix de plus. De l’index, il étira avec amertume les rides qui
s’accumulaient au coin de ses yeux. Mais cette fois-ci, l’âge
avait peu de prise sur lui, comparé à ce qui le tourmentait. En
quelques semaines, le fringant quinquagénaire qu’il se targuait de
présenter au monde avait laissé la place à un vieux surmené et
sous pression. D’un signe muet, il interrogea Stéphanie, qui
consulta leurs deux téléphones avant de secouer la tête.
In petto, il enragea. Ce silence n’était pas normal. Il devait
gagner un peu de temps avant d’engager la suite. Sur une console,
un plateau contenait plusieurs boissons. Il s’empara d’un soda
qu’il secoua discrètement. Une liasse de papiers dans les mains,
Marc s’approcha de lui au pas de course. Pierre attendit qu’il
soit assez proche pour décapsuler la cannette, qui projeta son
contenu autant sur les feuilles, que sur son costume. Assez pour
rendre les premières inutilisables et le second bon à jeter dans un
panier de linge sale.
— C’est pas vrai ! pesta Pierre en reposant la cannette sur
le bord du plateau, d’où elle ne tarda pas à tomber sur le sol en
tapissant sa paire d’Armani des quelques centilitres restants à
l’intérieur.
— Et merde ! Il fallait que ça arrive au pire moment. Va te
changer, je vais faire imprimer une autre copie de tout ça, siffla
Marc en jetant dans une corbeille les feuilles dégoulinantes.
— Je suis sur les nerfs, désolé.
— On l’est tous. Allez, file ! Et accélère un peu !
Notre retard est abyssal. Et tu sais combien je n’aime pas les
imprévus.
— Bon sang que je déteste les imprévus et découvrir des éléments
sur le terrain, murmura Éric, le second de Luc. Regarde-moi ça,
dit-il en lui tendant ses jumelles à vision nocturne.
Luc s’en empara et jura lui aussi :
— Il y a au moins trois hommes qui montent la garde dehors !
Et vise-moi ces Kalachnikovs... J’ai l’impression aussi que l’un
d’eux a des grenades à sa ceinture. Je vais dire un mot en
rentrant à celui qui s’est occupé de la reconnaissance. Tout le
contraire de ce qui nous a été présenté. Cette baraque est mieux
défendue que la Banque Centrale. On ne sait même pas combien ils
sont derrière la porte.
— On fait quoi ? On annule ?
— Impossible. Tout doit être terminé ce soir. On va faire ce pour
quoi on est si bien payés : s’adapter, et agir en
conséquence. C’est tout.
Luc se retourna vers les autres membres de leur équipée :
— Changement de programme : on neutralise d’abord les trois
types dehors avant de s’engager à l’intérieur. Neutralisation
silencieuse et simultanée, il va sans dire. Si l’un d’entre eux
alerte les copains de la maison, on est cuits. Éric, le gars sur la
terrasse est pour toi. JP, tu t’occupes de celui placé près du
portail et le dernier est pour Phil. Pendant ce temps, on couvre vos
arrières avec Séb. Arrivés devant l’entrée, on ne change rien
au plan initial : JP coupe le jus, Éric fait péter la porte et
les autres font le ménage, pièce par pièce. Jusqu’à trouver la
cible.
Tous acquiescèrent en silence, mirent en place leurs lunettes à
vision nocturne et se dispersèrent dans le noir. Luc attendit
quelques secondes avec Séb avant de les suivre. Leurs silhouettes se
diluaient dans la nuit et glissaient le long du chemin, en direction
de la propriété. Quelques dizaines de mètres encore et les trois
hommes disparurent à travers les haies ou les frondaisons du bosquet
qui bordait les alentours. Luc n’eut pas besoin de les voir pour
savoir comment ils allaient fondre sur leurs proies respectives. Cela
faisait des années que l’équipe avait été constituée, sans
grand changement majeur. À chaque fois pourtant, ils ne se
laissaient pas déborder par les dangers de l’habitude. Luc était
saisi par la même angoisse dans les instants qui précédaient une
opération. Parce que rien n’est jamais écrit d’avance. Parce
que le moindre grain de sable peut venir gripper la mécanique la
mieux huilée.
En finissant de nouer sa cravate, Pierre Doyel maudissait le grain de
sable qui venait détruire à lui seul sa vie entière. Il serra les
dents pour ne pas exploser lorsque des coups impatients furent
frappés à la porte de son bureau.
— Ouais ?! siffla-t-il d’un ton sec. J’arrive !
— Prends ton temps, surtout. Ce n’est pas comme si tu jouais un
mandat, entendit-il de l’autre côté de la porte.
— Et toi ton poste de directeur de campagne ! cria-t-il pour
toute réponse.
Des pas furibards, surmontés de jurons inintelligibles, se firent
entendre decrescendo dans le couloir. Marc était un collaborateur
dévoué et efficace, mais si pénible parfois.
— Il n’a pas tort, renchérit Stéphanie avec calme en ajustant
son col. Je sais que c’est difficile, dans notre condition, mais tu
ne pourras pas repousser le moment d’y aller. Ils attendent tous,
dehors.
— Et si on nous appelle ?
— Je répondrais à ta place et je m’arrangerais pour te faire
signe. Ou tu profites de l’intervention des autres pour venir aux
nouvelles. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix.
Elle le devança jusqu’à la porte, dont elle ouvrit les deux
battants pour le laisser passer. Dans le couloir, sa garde rapprochée
était postée de part et d’autre des murs lambrissés, comme pour
une haie d’honneur. Au passage, et malgré la tension intérieure
qui le tenait, il offrit à chacun un sourire, que beaucoup lui
rendirent. Bon dernier sur la file, Langin lui tendit une nouvelle
copie du discours qu’il lui avait préparé, et dont Doyel
connaissait les moindres paragraphes par cœur.
Il se remémora les mois écoulés. Porté aux nues à son arrivée
comme ministre des Finances, la foule l’avait conspué ensuite. Il
se croyait plus fort que tout le soir de sa nomination, comme mû par
une force nouvelle qui lui ferait accomplir des miracles. Lors de la
passation de pouvoir, il avait toisé avec condescendance le vieil
homme usé qui le précédait.
Pourtant, dès le début, deux réformes mal acceptées avaient eu
raison de sa foi en lui, massacrée sous les insultes des masses
populaires descendues dans les rues. L’appareil législatif lui
avait permis de passer en force ces textes. Après cela, sa côte
d’impopularité battait des records sans précédent. Son poste
n’avait d’ailleurs pas résisté au premier remaniement venu.
Opposé à un gouvernement plus isolé encore, le temps avait fait
son œuvre et il regagnait peu à peu les faveurs de la population.
En face, une ou deux voix commençaient tout de même à se faire
entendre. Et d’un murmure de quelques lignes dans des canards sans
importance, on était arrivé à un vacarme insupportable dans les
plus grands quotidiens du pays. Jean-Philippe Girard était le plus
virulent contre sa campagne. Le plus séduisant pour les masses,
aussi. L’ancien médecin de province, amateur de grimpe, avait peu
à peu gravi les échelons de la montagne politique du pays pour
espérer aujourd’hui en chatouiller le sommet. Les sondages les
donnaient au coude à coude pour le premier tour des présidentielles.
Ce qui avait été le terreau propice à l’enlèvement, pensa-t-il
avec amertume en poussant la porte ouvrant sur la meute de
journalistes de sa conférence de presse. Il se força à sourire
avec difficulté, en montant sur l’estrade.
— Bonjour à tous. C’est moi que vous attendiez ? Je le dis
tout de suite : il ne fallait pas croire les ragots. Madonna ne
viendra pas chanter à la fin…
Les éclats de rire du public ne firent pas baisser sa tension
interne. Il croisa le regard de Stéphanie, de l’autre côté de la
salle. Inquiète, elle gardait les mains crispées sur son téléphone
portable. Oui, pensa-t-il encore avant de commencer son discours,
personne ici ne peut imaginer qu’une vie est en jeu, à cause de ce
cinquante/cinquante.
— Je dirai fifty/fifty, selon moi. Nos chances sont minces, sans
renseignements fiables.
— Éric… On n’a plus le choix, dit Luc en désignant les gardes
à terre d’un geste circulaire. D’ici quelques minutes l’alerte
sera donnée. Alors, on ouvre cette porte et on fonce.
Un sourire dévoila les dents d’Éric, sous les pâles rayons de
lune qui frappaient la campagne.
— T’inquiète, ma poule. C’était purement rhétorique. Je te
suivrai même dans une mission suicide.
Luc lui tapota l’épaule et lança le signal convenu pour faire
couper le courant. L’assaut démarra après l’extinction. Dans la
seconde, Éric ouvrit la porte et lança à l’intérieur une
grenade flash dont l’explosion fut suivie de cris de stupeur.
Profitant de la confusion, les hommes massés de part et d’autre de
l’entrée s’engouffrèrent en file indienne. L’écran de leurs
lunettes renvoyait une image blafarde des lieux, balayés par les
mires laser de leurs fusils d’assaut. Une silhouette menaçante
apparut à l’angle du couloir qui leur faisait face. Une balle vint
le terrasser avant qu’il ne puisse tirer dans leur direction. Les
renseignements étaient au moins bons sur la disposition des pièces.
Sur la gauche, une cuisine, dans laquelle Luc pénétra en
neutralisant rapidement les deux hommes qui prenaient un café une
minute auparavant. Un troisième, caché derrière le réfrigérateur,
ouvrit le feu au jugé. Le projectile éclata les verres posés sur
une étagère à un mètre de Luc. Son adversaire n’eut pas le
temps d’ajuster le tir suivant. Séb lui avait déjà envoyé une
salve qui le cueillit en pleine poitrine. Les deux hommes sortirent
de la pièce pour reprendre leur progression à travers la maison
obscure.
— RAS dans le séjour, lança Éric en les rejoignant.
— RAS dans la chambre, dit Phil à son tour.
— Il reste l’étage. On y va.
JP resta à l’arrière pour les couvrir. Les autres montèrent
l’escalier avec prudence, leurs armes braquées. À l’angle de la
dernière volée, Luc observa le palier : trois portes. Il
savait que celle sur la droite ouvrait sur une petite salle de bains
et les deux autres sur deux chambres. Malgré l’absence
d’alimentation électrique, une lumière filtrait sous le seuil de
l’une d’elles. Il s’en approcha à pas de loup. Pas de bruit de
l’autre côté du battant. Il inspira, releva ses lunettes à visée
nocturne et ouvrit la porte avec une lenteur calculée. Il ne put
s’empêcher de frémir en découvrant la scène, éclairée par un
projecteur de chantier autonome.
La scène le fit frémir. Après son discours enflammé, alors qu’il
était sous le feu roulant des questions des journalistes, aveuglé
par les projecteurs et les flashs, il répondait comme un automate,
ses pensées à mille lieues de son programme pour les élections.
Quoi qu’il en soit, Langin et son équipe avaient fait un super
boulot d’anticipation. Aucune des questions posées ne le prenait
par surprise. Même celles sur son aventure d’un soir avec une
journaliste stagiaire ou des soupçons anciens de conflit d’intérêts
dans l’attribution de marchés publics avaient été prévues.
Comparé à ce qui se jouait à des kilomètres de là, dans une
maison de campagne, ce petit jeu ne parvenait pas à la cheville de
ses soucis. Le marché était clair, il l’entendait encore claquer
comme une sentence : « soit vous retirez votre
candidature, soit la petite y passe ». Encore quelques minutes
et il laisserait la parole à un vieux parlementaire. Depuis son
pupitre, l’estomac noué, il regarda Stéphanie avec intensité. Sa
femme lui fit un signe de dénégation en montrant son portable. Ses
yeux suaient d’angoisse.
L’angoisse pétrifiait les traits de la gamine. Luc lui fit un clin
d’œil, assorti d’un sourire qui se voulait rassurant :
— Maëlis ? Tout va bien. On est là.
La petite avait les joues inondées de larmes. La main calleuse
plaquée sur sa bouche l’empêchait de répondre. Quand bien même
elle aurait pu parler que le flingue collé sur sa tempe l’en
aurait probablement dissuadée. L’homme qui la tenait en joue était
le seul que le service de Luc avait réussi à identifier :
Andrija Lukic, un mercenaire d’origine serbe qui vendait ses
services de tueur au plus offrant, souvent fortuné. L’homme avait
la réputation d’être impitoyable.
— Lâche-la, lança Luc. Nous sommes trop nombreux pour toi.
— Partez, répondit-il avec un accent prononcé des Balkans. Sinon,
elle meurt.
— Tu ne peux pas t’en sortir. N’aggrave pas ton cas, ce n’est
qu’une gosse.
Le doigt de l’homme se crispa sur la queue de détente de son arme.
Un coup de feu éclata près de l’oreille de Luc, lui arrachant une
grimace de douleur. Lukic, touché en plein front, s’écroula sur
le sol. Aussitôt, Phil s’élança à l’intérieur pour prendre
Maëlis dans ses bras et l’évacuer. Luc se retourna vers Éric
dont le Sig Sauer fumait encore.
— Quand tu prends un otage, fais en sorte qu’il soit de ta taille
ou de ta corpulence. Là, c’était trop facile… Il allait tirer,
ajouta-t-il d’un ton plus grave.
— Je sais… L’essentiel est que la petite soit saine et sauve.
On fait le brief et on la ramène à ses parents.
Doyel était au bord de l’implosion. La tension accumulée ces
derniers jours ne demandait qu’à se déverser en vagues puissantes
qui emporteraient tout sur leur passage. Il profita de l’intervention
d’un jeune loup du parti pour se rapprocher de sa femme, qui
l’entraina à l’écart.
— Alors ?
— Toujours pas.
— Ce n’est pas normal. File-moi le portable, que je leur demande.
— Tu ne crois pas que l’on devrait attendre encore un peu ?
Ils ont dit que nous ne devions pas les contacter et attendre qu’ils
le fassent.
— Je m’en fous ! Je dois savoir, je ne vais pas tenir le
rôle de l’homme apaisé encore longtemps, trancha-t-il sèchement
en lui prenant le téléphone des mains.
La pression était redescendue. Et Luc était soulagé d’annoncer
la bonne nouvelle au père de la petite, même si le protocole était
un peu bousculé.
— Oui, monsieur. L’opération s’est déroulée pour le mieux :
les ravisseurs sont neutralisés et Maëlis va bien. Elle est un peu
choquée, ce qui est normal. La cellule psychologique va s’occuper
d’elle.
Derrière lui, ses hommes faisaient des va-et-vient pour fouiller et
sécuriser la maison. Le portable collé à l’oreille, il retourna
dans la chambre, contemplant avec gravité le corps de Lukic.
— Oui, nous avons tous eu de la chance. Ce Lukic n’était pas un
enfant de chœur. Vous pouvez poursuivre votre campagne plus
sereinement. Bientôt, tout ça ne sera qu’un mauvais souvenir.
Non, en effet, on ne sait pas avec certitude quel candidat est
derrière tout ça, monsieur… Je comprends. Soyez assurés avec
votre épouse que nous allons le trouver et le traduire en justice.
Au moment où je vous parle, des OPJ suivent de près chacun de vos
concurrents et le procureur n’attend qu’un nom pour nous signer
le mandat d’arrêt… Oui, je sais. L’un d’eux est en effet le
suspect idéal. Ou tout au moins, celui à qui tout ceci profite le
plus.
Soudain, le corps de Lukic sembla tressauter légèrement, sous la
poche de poitrine de sa chemise. Les sourcils froncés, Luc s’en
approcha pour palper le tissu et découvrir un portable qui vibrait.
— Monsieur ? Je dois vous laisser. Une urgence.
Il raccrocha, appela Éric et regarda l’écran du téléphone qu’il
venait de trouver : numéro inconnu. Il décrocha et écouta,
sans mot dire.
— Lukic, entendit-il, vous avez des nouvelles du père ?
L’ultimatum est dépassé depuis une heure maintenant.
Luc écarquilla les yeux de stupeur. Même si les soupçons étaient
fondés, il n’aurait jamais cru que l’homme soit assez
inconscient pour contacter lui-même le ravisseur. Il prit un carnet
et un stylo. Quand il eut fini d’écrire le nom de son
interlocuteur, Éric haussa lui aussi les sourcils et articula
« sûr ? » sur ses lèvres. Luc acquiesça d’un
mouvement de tête. Il n’en fallut pas plus pour que ses collègues
agissent et donnent l’info par radio. Encore quelques secondes et
ils toucheraient au but. L’autre s’impatientait au bout du fil.
— Allo ? Vous m’entendez ?
— Oui, vous avez toute mon attention.
Doyel réprima une bouffée de panique. La voix qui lui répondit
enfin n’avait rien à voir avec celle du mercenaire, teintée d’un
fort accent serbe.
— Qui êtes-vous ? Où est Lukic ?
— Il est mort, monsieur Doyel. Je suis le Commandant Zernac, en
tête du groupe qui a sauvé la petite Maëlis Girard.
Les flics. Doyel suffoquait. Cette fois, il était fichu. Il chercha
une issue dans cette salle bondée de journalistes. Peut-être
pourrait-il s’échapper avec Stéphanie et refaire sa vie en
Argentine ou au Mexique.
— Monsieur Doyel, intervint Luc Zernac, comme s’il devinait ses
pensées. Je vous conseille de vous rendre afin de vous expliquer sur
cet enlèvement.
Tenté de lui dire d’aller se faire voir avant de filer, il
remarqua trois hommes qui fendaient la foule pour se diriger vers
lui. L’un d’eux glissait déjà la main sous son blouson pour
attraper son arme. Trop tard pour fuir. Ses gardes du corps
n’intervenaient pas, à coup sûr briefés par ce type qui le
désignait du doigt.
— Monsieur Pierre Doyel, lui dit le premier, Police Judiciaire.
Veuillez nous accompagner. À compter de ce moment, nous vous plaçons
en garde à vue pour des faits de séquestration de mineure de moins
de quinze ans, chantage, crime en bande organisée, pour commencer.
Sentant de l’agitation derrière eux, les journalistes s’étaient
retournés et commençaient à comprendre ce qui se jouait. Les
premiers flashs crépitèrent alors que l’on passait les menottes
au candidat le plus prometteur de cette élection. Sa femme
protestait avec la plus vive énergie, telle une tigresse, mais on la
ceintura et l’emmena sans tarder. L’un des flics récupéra le
téléphone à terre et fit le point avec Zernac. Ce dernier lui
demanda d’approcher l’appareil de leur suspect et de brancher le
haut-parleur.
— Monsieur Doyel, je tenais à ajouter une dernière chose. Celle
que je me suis dite, juste avant l’opération de sauvetage. Vous
savez, pour gagner une course de fond, il ne s’agit pas de
caracoler en tête sur les trois quarts du parcours. Seule compte
l’arrivée, où l’on doit tout faire pour être le premier à la
franchir. Sauf peut-être à employer les moyens les plus abjects,
comme enlever une gosse pour forcer son père à abandonner.
La réponse de Doyel se perdit dans le flot de questions qui coulait
sur lui. Prélude au tsunami que ce scoop allait provoquer dans les
rédactions du monde entier.
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