LES QUESTIONS DU BOSS
1- Es-tu écrivain, romancier, auteur ? Vois-tu une nuance entre
ces termes ? Qu'est-ce que ces mots représentent, pour toi ?
Je suis strictement romancier. L’art du conteur est le seul qui
présente un intérêt pour moi.
L’Écrivain, c’est une Grande Tête Molle, comme disait
Lautréamont, qui se prend au sérieux et donne son petit juju sur
tout et n’importe quoi. Il ne connaît rien, plumitif dans son
cabinet d’études, mais il sait tout. Comme il se touche la plume,
il est compétent sur tout ce qui ne le regarde pas.
L’Auteur, c’est la version intimiste (une spécialité
française comme on peut le constater avec un cinéma à pleurer
d’ennui) de l’Écrivain : Ô comme les tourments de la création
déchirent ses entrailles profondes de Créateur. Le moindre pli de
son nombril recèle le mystère poétique, fais pas le con, comme on
disait quand j’étais jeune, dans ma bande qui sont tous morts.
Non, non, et non. Si je veux parler du monde, je le fais en
journaliste et je m’en tiens aux faits. Si je cherche la poésie,
je le fais à travers une histoire qui se tienne et des personnages.
Dans les limites de mon art de romancier, captiver un auditoire avec
le drame que je lui offre, et rien d’autre, je vois une dimension à
la fois plus humble et beaucoup plus réelle.
I’ll Play the Blues for You, chantait Albert King, et c’est
notre rôle de saltimbanques. La tâche est suffisamment ardue sans
s’encombrer du reste, qui voile le tableau.
2- Ecrivain/Carrière. Ces deux mots sont-ils compatibles ? Y
penses-tu ? Anticipes-tu cet éventuel avenir ?
Je répète : je ne suis pas Écrivain.
Si c’est une carrière ?… Vous plaisantez, sans doute !… Il
y a plus de trente ans, que j’écris, traduis, publie des livres,
que ça m’a mené dans toutes sortes d’endroits et de situations,
et j’en ai vécu, oui, malgré la concurrence débile et la
navrante Politcorrectitude d’un milieu assez médiocre où les nuls
sont légion et ont pignon sur rue, comme le polar, par exemple. Mais
j’ai toujours rebondi et jamais là où on s’y attendait. Si c’est un avenir à anticiper, certainement pas. À moins
de cirer les pompes, ou d’être né dedans, c’est la galère,
cousin, j’te dis pas…
3- Combien de temps, de tentatives, de refus, avant de décrocher
un contrat à compte d'éditeur ?
Franchement, je ne sais pas. J’ai toujours eu du bol,
ou du talent, les opinions divergent, et, en dehors d’une petite
traversée du désert qui a pris fin récemment, sans compter les
fatwas des imbéciles en place, mes livres ont toujours trouvé
éditeur dans un délai raisonnable.
4- Pourquoi as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?
Vous êtes de la police ?… Il n’y a aucune réponse valable à
cette question, qui devrait être montrée en exemple de ce qu’il
ne faut pas demander parce que c’est absurde. Parce que j’aime
ça, point barre.
5- Que penses-tu de la place de l'auteur dans le monde du livre
et de l'édition ?
Inconfortable.
6- Comment serait l'éditeur de tes rêves ? Quelles qualités
essentielles devrait-il posséder ?
J’ai moi-même été éditeur, et pas qu’une fois,
dans ce métier, j’ai tout fait, lecteur, auteur, traducteur,
nègre, et éditeur aussi. Alors je vous dirai qu’il faut du flair.
Sinon :
La faculté de s’oublier pour entrer dans la logique d’un
artiste et révéler le meilleur de ce qu’il a à donner, de même
qu’un romancier s’oublie pour entrer dans la logique de ses
personnages et en extraire tout ce qu’ils recèlent et qu’il ne
connaît pas encore (mais peut deviner).
7- Que penses-tu du Trophée Anonym'us ?
Je n’en pense rien, parce que c’est la première fois
que j’en entends parler et que je ne fréquente pas les réseaux
sociaux. Je suis content de participer, c’est ce qui compte, disait
Pierre de Coubertin sur les Jeux Olympiques.
LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE...
1- Ton dernier livre, c'est plutôt : Une intrigue aux petits
oignons ? Des personnages croqués avec gourmandise ? Une alchimie de
saveurs ?
Rien de tout ça. C’est un océan cannibale.
2- Tu nous conseilles de le lire : Sur un canapé au coin du feu
? À l'ombre d'un parasol ? Dans le bruit et la fureur d'une ville
surpeuplée ?
Je ne donne pas ce genre de conseils, parce qu’un livre, dès
qu’il est publié, appartient à ses lecteurs, c’est à eux de
trouver le lieu et le moment s’ils le désirent. Personnellement,
je les écris n’importe où, n’importe quand.
3- Ce livre, c'est plutôt : Divertir le lecteur ? Le faire
frissonner d'angoisse ? Inviter à la réflexion ? Apporter un
témoignage ?
Lui proposer un drame précis dont les échos réveillent les
siens.
4- Ton écriture : Elle est comme Pénélope, qui fait, défait,
et refait chaque phrase jusqu'à ce qu'elle sonne juste ou bien un
premier jet juste retouché pour enlever quelques aspérités ?
Je n’aime pas le terme « écriture », snobinard et emprunté
aux universitaires qui se regardent écrire. On parlait de style,
autrefois, avant l’arrivée de ce vocable de boursouflures. Ça, ça
demande du travail, comme disait Céline. C’est un travail
intérieur, mais ça peut aussi sortir tout armé comme Minerve de la
cuisse de Jupiter, « dans la chaleur forte du sentiment », disait
Nimier.
5- Ton roman, comme un voyage, est-il : Un chemin au hasard qui
t'emporte et t'oblige à t'adapter aux obstacles imprévus qui le
parsèment ? Un périple longuement planifié, aux escales anticipées
? Un voyage « théoriquement » organisé, mais qui ne se déroule
jamais comme prévu ?
Je citerai Alexander Trocchi, un des plus grands et méconnus
romanciers de la came, dans son chef- d’œuvre « Le Livre de Caïn
» : « Frontières indécises, phénomènes sans rapport, mutations,
voyages cauchemardesques, villes visitées et quittées,
retrouvailles, désertions, trahisons, toutes sortes d’unions,
d’adultères, de triomphes, de défaites… Ce sont les faits ».
6- Si celui-ci était une boisson, ce serait laquelle ?
Une liqueur forte comme du métal bouillant.
1 commentaire:
Quelqu'un qui cite Ducasse ne peut pas être mauvais... et montre qu'un "vieux" peut écouter un jeune ^_^ (pas taper, je fais partie du jury, normalement).
Sinon, j'aime les autres références citées et les réponses pleines d'à-propos. C'est pas le frère caché de Cash ?
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