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Moulée dans une mini robe rouge très échancrée qui révélait une
musculature de gymnaste, Cachou se hâtait de rentrer chez elle. Sa
silhouette ainsi que sa merveilleuse chevelure ondulée retenue par
un gros papillon de plastique doré attiraient tous les regards.
Elle était sur le qui-vive, jetant des coups d’œil nerveux tout
autour d’elle. Depuis quelque temps, elle avait l’impression
d’être suivie par une femme, une grande femme stricte au regard
décapant.
Après s’être engagée dans le dédale des ruelles qui menaient à
son immeuble, elle ne put se retenir de courir avec une seule envie,
se calfeutrer chez elle, compulser les brochures de voyages et les
guides touristiques, choisir le pays, l’île paradisiaque où elle
s’installerait définitivement. Mais elle se contentait pour le
moment de rêver, elle attendait d’avoir assez d’audace pour oser
traverser l’aérogare avec un sac rempli de billets de banque —
et que la peur l’ait quittée.
Depuis sa chambre d’hôtel, la grande femme stricte au regard
décapant avait une vue plongeante dans la cour intérieure de
l’immeuble et dans l’appartement vétuste de cette fille à la
robe rouge. Elle la guettait, immobile derrière les rideaux
lorsqu’elle vit la lumière jaillir dans le séjour. Aussitôt,
Angélina arrêta le chronomètre de sa montre : comme les
autres fois, la fille s’était absentée un peu plus d’une
demi-heure.
Angélina était intriguée par le comportement de cette fille.
Cachou ne sortait que pour s’approvisionner deux ou trois fois par
semaine en coup de vent. Elle avait pour habitude, outre la manie
compulsive de se plonger dans des catalogues d’images exotiques, de
se caler dans son canapé pour parler longuement devant le micro d’un
magnétophone. Cachou procédait aussi à un rituel au retour de ses
sorties, elle extirpait d’une armoire un sac de voyage où elle
introduisait une bestiole qui s’agitait au bout de ses doigts et
qu’Angélina identifia comme une souris.
Cachou passa ensuite dans la salle de bain. Devant sa glace, elle
arracha la chevelure postiche qui camouflait une coupe à la garçonne
d’une teinte carotte, telle que la montrait une photo parue dans
une revue people où elle était citée comme la présumée petite
amie de Loïc Torve.
Petit ami peu empressé, pensait Angélina qui n’avait jamais
aperçu d’homme dans l’appartement de la fille en rouge.
Loïc Torve avait fait l’objet d’un article larmoyant après le
crash d’un petit avion privé dans lequel son père, Bernard Torve,
un richissime homme d’affaires avait trouvé la mort.
La renommée du businessman avait éclipsé l’autre victime de cet
accident : le pilote Denis Charles Duroit, le compagnon
d’Angélina.
Celle-ci n’admettait pas qu’on ait mis en doute les compétences
et l’expérience de son amoureux, lequel prenait toujours
scrupuleusement en compte la météo et vérifiait lui-même l’état
de son avion. Le rendre responsable du crash était une insulte
posthume. Mais si le pilote n’avait pas commis d’erreur, alors
l’hypothèse d’un sabotage n’était pas exclue. Dans quel but ?
Dans l’intérêt de qui ? Angélina était bien décidée à
blanchir la mémoire de son fiancé et cette fille qui avait été la
petite amie de Loïc Torve constituait sa seule piste.
Pour convaincre la famille Torve de s’associer à ses
investigations, elle s’était rendue à la résidence de l’homme
d’affaires, un château tarabiscoté niché dans un écrin de
campagne. Depuis la route, elle avait aperçu les manches à air du
petit aérodrome privé d’où Denis avait décollé en ce jour
fatal. À travers la grille monumentale du parc, Angélina avait
raconté son histoire au gardien, affligé par la mort de son patron
et par l’hospitalisation de Madame. Pour l’heure, le fils unique
du businessman, Loïc, n’était pas là. Il mit la visiteuse en
garde contre cet héritier, arrogant et antipathique, précocement
cuit par l’alcool, les drogues et sa vie de noctambule, incapable
de succéder aux affaires paternelles, pillant et dilapidant les
richesses du château.
– Franchement, je me demande ce qu’elle pouvait lui trouver la
petite qui venait régulièrement ici, dit l’homme. Un taxi la
déposait trois fois par semaine…
– Quelle petite ?
‒ La copine de Loïc, une jeune fille rigolote, sympa.
Cette fille constituait une piste. Angélina retrouva la compagnie de
taxis qui conduisait Cachou chez les Torve et put ainsi localiser
l’immeuble où elle résidait. Elle guetta dans la rue les
passantes ressemblant au cliché du journal et, très vite, reconnut
la copine de Loïc qui logeait au premier. Angélina dénicha la
chambre d’hôtel qui donnait sur l’appartement de la fille, lui
permettant d’observer ses allées et venues ; la fille ne
recevait aucune visite.
Avait-elle affaire à une terroriste qui aurait glissé une bombe à
retardement dans l’attaché-case de l’homme d’affaires ?
Ou bien était-elle la complice d’un parricide monstrueux ?
Dans ce cas, pourquoi n’avait-elle aucune relation avec son
comparse ? Angélina entrevoyait encore l’hypothèse d’un
chantage : ces précautions vestimentaires, ces sorties éclair,
la mystérieuse sacoche, les enregistrements, tout cela prouvait, à
l’évidence, qu’elle détenait un secret : l’explication
du drame se trouvait quelque part dans cet appartement.
Ayant attendu que Cachou fût sortie, Angélina enclencha le minuteur
de sa montre et quitta sa chambre. Elle traversa la cour intérieure,
entra dans l’autre immeuble par la porte de service et traversa le
hall d’entrée. Suivant le couloir jusqu’à la porte de
l’appartement, elle s’assura que personne ne la vît crocheter la
serrure et se glisser furtivement à l’intérieur.
Le magnétophone était resté en évidence sur la table.
Angélina pressa la touche de retour rapide. La bande magnétique se
rembobina avec un piaillement emballé, puis elle passa en lecture :
“Cachou, c’est le prénom que je me suis choisi. Mon vrai nom,
c’est Personne. On peut dire qu’on m’a rendue caractérielle.
Je devais pas être facile, d’accord, mais la faute à qui ?
Abandonnée, tabassée, maltraitée et j’en passe. Je sais pas
combien j’ai épuisé de familles d’accueil jusqu’à ma
dernière fugue. Réussie. Jamais retrouvée. Mais ils m’ont pas
trop cherchée... J’ai trouvé des fringues assez chouettes au
secours populaire. Et je me suis plantée sur le boulevard. C’est
en faisant la pute que j’ai rencontré Bintje.
Son vrai nom à lui, c’est Loïc Torve. Je l’ai tout de suite
surnommé Bintje : une vraie patate. Une terreur ambulante
aussi, ce mec. Il s’accrochait à moi : je lui plaisais, tu
parles ! Il me refilait un bon paquet pour me sauter et pour me
trimballer avec lui dans ses sauteries huppées. C’est moins
l’argent qui me faisait revenir que la femme douce et merveilleuse
qui vivait là comme une Belle au bois dormant, sa mère que je
plains beaucoup...”
Angélina s’émut de l’histoire de Cachou qui avait trouvé dans
la châtelaine esseulée, une mère de substitution idéale. À la
façon dont elle décrivait ce Bintje, il paraissait difficile de les
imaginer complices. Mais il manquait toujours la preuve qu’un
crime avait été commis. Elle regarda sa montre, pressée par le
temps, elle fit une avance rapide et enclencha la lecture pour
écouter les dernières minutes de la confession :
“Le 4x4 brinqueballait dans l’allée forestière ; à un
moment, il s’est arrêté, il a contourné la bagnole, a ouvert ma
portière et s’est rué sur moi pour me forcer à descendre. Il
délirait complètement. Il éructait, riait, bavait. Il a ouvert le
coffre et m’a montré un sac où il se vantait d’avoir entassé
tout ce que contenait le coffre de son père en argent liquide, et à
côté du sac, j’ai vu le fusil.
J’ai eu comme un flash : il m’avait amenée ici pour me
descendre. Comme une imbécile, pour m’en débarrasser, je l’avais
menacé. Après l’accident, j’avais compris que l’engin qu’il
avait fabriqué avec un réveil et des fils électriques était la
bombe qui avait causé le crash de l’avion. Je lui avais hurlé que
je le dénoncerais s’il me touchait encore une seule fois avec ses
sales pattes. Évidemment, j’avais signé mon arrêt de mort.
Quelle conne !
Pour l’empêcher de saisir l’arme, je racontais n’importe
quoi, des trucs qui le mettait toujours en rogne, et pendant qu’il
piquait sa crise, je me rapprochai insensiblement de la portière
conducteur sans lâcher une seconde son œil de crocodile injecté de
sang. Et juste au moment où il s’est penché pour attraper le
fusil, j’ai bondi sur le siège avant, tourné la clé de contact
et le moteur ‒ mon Dieu, merci ‒ a démarré illico. Il a hurlé
en s’accrochant au hayon, les pneus ont patiné et la bagnole est
partie en trombe, je roulais en zigzaguant pour le faire lâcher
prise. Il a valdingué sur le bas-côté et moi, le nez sur le
pare-brise, je fonçais en criant comme une folle pour me défouler
de la peur que j’avais eue“.
Angélina en savait maintenant assez. Quand le chrono de sa montre
bipa, annonçant le retour de Cachou, elle avait SA preuve. Elle
tenait le criminel. Bintje avait bel et bien tué son père et le
pilote. Et Cachou cachait dans ce sac de voyage l’argent liquide de
l’homme d’affaires assassiné... un bagage encombrant qui les
maintenait, elle et Bintje, dans un cercle vicieux : si elle
dénonçait Bintje, elle perdait la fortune, mais tant qu’elle
aurait le pactole en sa possession, le criminel demeurait une menace
terrible.
Sans la moindre hésitation, Angélina fourra le magnéto dans son
sac et griffonna un petit mot : “votre magnéto détient la
preuve d’un crime. Je vous l’emprunte. Je suis votre amie. Ne
craignez rien de moi. Je suis à l’hôtel en face, troisième étage
côté cour. Angélina“. Rentrée dans sa chambre d’hôtel,
elle se posta derrière sa fenêtre, épiant la réaction de la fille
en rouge qui arpentait la pièce en lançant des coups d’œil
indécis vers la fenêtre de l’hôtel.
Cachou attrapa une de ces brochures où dominait le bleu outremer, la
feuilleta une dernière fois et, soudain, la flanqua sur le sol avant
de se précipiter sur son balcon. Elle sentait une certaine euphorie
l’envahir, elle renonçait au fric, elle choisissait le bon camp,
la peur la quittait enfin. S’appuyant à la rambarde, le regard
levé vers Angélina, elle mit ses mains en porte-voix et cria :
– Attendez-moi ! J’arrive !
Au moment où, surgissant d’un bond dans la cour intérieure,
Bintje lui fit face un fusil à pompe calé sur la hanche.
Cachou comprit à la lueur glaciale, vertigineusement noire de ses
pupilles qu’il allait la tuer quoi qu’elle fît. Alors elle
hurla :
— Échec et mat, Bintje !
L’assourdissante détonation fit vaciller Angélina qui,
simultanément, vit Cachou exploser contre le mur de l’immeuble, y
imprimant une gigantesque étoile rouge. Le rire strident de Bintje
la glaça. Laissant tomber l’arme, le tueur prit son élan, enjamba
le balcon et pénétra dans l’appartement qu’il dévasta comme un
enragé pour trouver le magot. Il découvrit le sac dans
l’armoire, l’ouvrit et fit jaillir des billets qu’il jetait en
l’air avec des sursauts hystériques. Il plongeait et replongeait
la main pour palper sa fortune...
C’est alors qu’il se propulsa en arrière, lâchant tout, en
poussant un cri terrifié : il bascula autour de la rambarde du
balcon, traversa la courette et fila ventre à terre sous le porche
en hurlant.
Angélina, paralysée par l’épouvante, fixait la dépouille
ensanglantée de Cachou lorsqu’elle aperçut une chose longue et
luisante qui pendait du balcon, qui chuta sur les pavés de la cour
pour serpenter furtivement. Elle comprit à cet instant ce que Cachou
conservait dans le sac et nourrissait de souris.
Sans doute avait-elle prévu qu’en désespoir de cause un crotale
ferait justice.
— Échec et mat, Bintje, répéta Angélina en refermant sa
fenêtre tandis qu’une sirène de police résonnait sous le porche
de l’immeuble.
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