dimanche 21 février 2016

Nouvelle N°21 : Nous sommes tous les hommes

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À son réveil, confinée dans leur chambre, il lui semblait que rien de tout ce qu’ils avaient vécu ces derniers jours n’appartenait au réel. Mais ce n’était qu’une impression, infiniment vague
 
Se lever. Affronter l’heure embrasée du matin. Dans un bruissement de drap, laisser l’autre à l’abandon. Cette nuit, rescapée d’hier, elle lui avait fait l’amour avec ce sentiment qu’elle se donnait à lui entière, pour la dernière fois. 
 
Sous la douche, elle regarda l’eau ruisseler sur son ventre. Jouir. Jouir au creux de l’autre. Eux, comment faisaient-ils l’amour ?
Caressaient-ils ?
Embrassaient-ils ?
Fermaient-ils les yeux ?
Tirer des balles, exploser des têtes comme on casserait des noix, fiers de cette brillante ignorance, le cœur fou battant derrière l’œil.
Et leur âme ?
Où se cachait-elle lorsqu’ils commettaient pareilles cruautés ? 
 
Sous-vêtements kaki, elle s’habilla ; la couleur était jolie contre sa peau. Kaki comme la casquette de papi, comme la guerre de papi. La guerre, il la cachait dans le trouble bleu de ses yeux. Il avait rapporté d’Indochine des images que des caméras filment aujourd’hui dans les rues de Paris. Lorsqu’il la prenait sur ses genoux avec tendresse, et de cette voix rugueuse lui disait « ma toute belle », il savait revenir de loin, de ce trou où une nuit, il joua aux cartes pour la dernière fois avec ses camarades, et il puisait dans la contemplation de ses petits-enfants une joie miraculeuse. Ce grand-père avait cette étrange façon de s’endormir dans le fauteuil du salon, sombrant comme l’on referme sur soi de lourdes portes. Où était-il allé ce vieil homme costaud, massif, doux, vêtu comme un chasseur, mais qui se contentait de manier la canne à pêche ? Derrière quel nuage taillait-il encore pour elle un bâton ?

Ces attentats sont les plus meurtriers perpétrés en France depuis la Seconde Guerre mondiale… 
Cette nuit, après l’amour, elle avait rêvé qu’elle marchait sur un tapis de cadavres ; ses pieds s’enfonçaient dans les chairs avec d’étranges plaintes et des ogres à barbes noires hurlaient tout autour.
—… Le terrorisme n’est rien d’autre que l’usage de la violence. Une violence meurtrière à l’égard de civils désarmés et innocents dans le but de servir une cause.
Dans la cuisine, la radio crachait encore le sang des victimes sur ses tartines, disséquait le discours des spécialistes de l’épouvante.
Allez, mon petit bonhomme. Mets tes chaussures. Tu vas être en retard.
Embrasser son fils, l’aider à mettre son cartable, couvrir d’une main ses cheveux, de cet amour infini, le regarder partir à l’école, petite paume tiède dans celle de son père, les accompagner du regard sans savoir ce que sera cette journée, craindre de partout le danger, ressentir dans sa chair les crocs de l’incertitude. Avant de refermer la porte, elle leva les yeux vers le ciel. Mais dans cette cohorte de nuages vert-de-gris, aucune canne à pêche ne tendait son fil jusqu’à elle. 
 
Elle se maquilla, se coiffa, enfila un caban en toile de laine avec des boutons dorés, une redingote de soldat couleur d’acier. Le must have de cet hiver – les magazines de mode avaient l’art de cette honorable laideur d’esprit. Avant de quitter la maison, elle jeta un dernier regard à son Smartphone. Autoroute et périphérique saturés. Abandonner sur la commode les clés de voiture inutiles. Elle irait au combat en transport en commun. Rejoindre la troupe avec un ticket dans la poche.
Les autres soldats marchaient, courageux sur le quai, certains comme couchés sous terre, menton replié dans une écharpe. À l’épaule, elle ne portait qu’un sac à main. Pas d’arme. Nue sous ses habits, elle se savait comme eux vulnérable de pied en cap, à la merci de la première bombe artisanale qui se trouverait sur son trajet. Une cible humaine prête à farcir, de pièces métalliques et de boulons. Grimper dans le RER, prendre place au milieu de soldats d’infortune partant au boulot. Pas d’autre choix sinon que de gagner son pain. Durant le trajet, le front contre la vitre, elle s’interrogea sur sa capacité à tenir dans cet espace misérable, à offrir un visage calme au regard des autres et sourire à ses enfants, à son mari, privée de ses croyances. Son travail, ses engagements dans la vie culturelle et sociale, quel sens donner à tout cela dorénavant ?

Ils avaient chanté d’ignorance la nuit, et soudain le rire avait perdu de ses couleurs, et les déments s’étaient enivrés de leur sang. 129 morts et de 352 blessés, dont 99 en situation d’urgence absolue. Ils avaient tiré froidement. Visé la poitrine d’une jolie fille pour mutiler ses seins.
Elle retint sa respiration, souffla doucement en songeant à sa fille aînée, à ses longues jambes qu’elle aimait à montrer même l’hiver. Comment ne pas craindre pour elle la violence de ces hommes aux cœurs brûlés, explosés de rage ? Sa fille qui, vendredi soir, se trouvait à Paris à un concert avec son ami. Où exactement ? Elle ne l’avait appris qu’après de longues heures d’angoisse.
On va bien, maman, on sort du Palais des Congrès.

Son regard se tourna vers son voisin : une recrue à peine plus âgée que sa fille, maigre dans son blouson jouant à Candy Crush. Ce voyageur comme absent, effleurant l’écran de son téléphone, lui fit penser à ces jeunes GI américains de division aéroportée lesquels caressaient du bout des doigts la photo d’une pin-up collée au fond de leurs casques avant d’être héliportés dans la vallée de A Shau sur hamburger Hill.

Emprunter un escalator à St Lazare. Couloirs de métro. Le gouvernement avait décrété l’état d’urgence, la police effectuait de nombreux contrôles mais ici, aucune présence des forces de l’ordre. Dans la troupe, les soldats étaient étrangement attentifs les uns aux autres. Des « merci », « pardon » tombaient sur elle tels des flocons de neige au passage des tourniquets. Se tenir la porte et distribuer des amabilités à défaut de se sauver la vie. La politesse de l’épouvante.

Ligne 13, direction Bobigny. Là-bas, on assiégeait depuis l’aube un immeuble. Tout le secteur bouclé. Elle se rapprochait du champ de bataille. Droit dans l’œil du cyclone. Machinalement, elle enfila ses gants, son chapeau, prête à donner l’assaut, armée d’un baume à lèvres. Les quais désertés de la ligne 13 renforçaient l’appréhension des volontaires. Être à la merci de ces âmes en exil qui ne connaissent ni clémence ni raison. 
Insultes, menaces, ruines. En eux, leur Dieu était-il bon ?
Pénétrer dans la rame de métro et trouver tout de suite un siège. Deux stations, seulement, et elle parviendrait à sa destination, Place de Clichy. Les portes se fermèrent. 
 
Alors le silence la prit à la gorge. Un silence rempli de cris et d’épouvante, de cette peur presque palpable qui alourdit l’air et fait monter la nausée. Toutes les terreurs de toutes les guerres confinées là, dans cette rame, cette prison absurde, figeant le bataillon. Et ces regards en pénitence, ces fronts impuissants, une douleur indicible prenant feu en chaque uniforme. L’odeur âcre et vive de la peur se mêlait à celle du mauvais café dont les vêtements s’imprègnent le matin. Jamais elle n’aurait imaginé souffrir pareil joug. Rien. Pas un roman, pas un livre d’Histoire ne l’avait préparé à cela, ni les films de guerre, ni les récits de son grand-père. Petite fille, elle craignait que les Allemands ne reviennent envahir les forêts de Lorraine, qu’on la jette un jour dans un vieux wagon en bois pour la conduire à la mort, vers des murs criblés de balles, traversés par la peur.
Penser à ses enfants et soudain manquer d’air.
Soupir mécanique, les portes s’ouvrirent.
Elle fut seule à descendre station Liège. À entendre le bruit mat de ses bottines sur le quai. À reprendre son souffle. Elle rejoignit son poste dans la rue froide où grondait la rumeur, écartant le doute, le sentiment de ne pas servir assez la cause.
Déjà bleuissait l’encre à la page de cette journée.

Demain, elle refera ce chemin, prête à rire et à aimer.
Et le jour d’après encore, résistante.
Car nous sommes la terre sur quoi l’espoir est bâti, là où se lève l’aube, là où l’on ne peut se refuser à la vie.
Nous sommes la terre où nous sommes tous des hommes.
À nous de l’écrire.
Une seule cartouche arme mon stylo plume.

dimanche 14 février 2016

Nouvelle N°20 : Noires de Crimée


15 juillet
Il fait une chaleur à crever et le sang bat à mes tempes. Treize heures s’affichent à ma montre. Écrasées par le soleil, les cigales font un boucan de tous les diables. Toi, tu marches sur la terrasse de long en large, tête baissée, comme un boxeur qui s’apprête à grimper sur le ring. Ta valise est posée dans un coin, avec ton sac à main juste à côté. Je te regarde sans oser te parler. Une mouche bourdonne autour de moi. Le moteur d’une voiture se fait entendre au loin et voilà que tu t’immobilises. Quelques secondes plus tard, le portail s’ouvre dans un grincement sourd et Franck apparaît. Il est là et vous allez repartir ensemble, c’est ce qui a été convenu. Lorsque tu m’en as parlé hier, j’ai même fait semblant d’être d’accord. Les choses sont simples et tu les as formulées à la manière d’un médecin qui annonce à son patient qu’il ne lui reste plus que trois semaines à vivre. Tu ne m’aimes plus, tu en aimes un autre et tu t’en vas. That’s all folks. Fin de la partie.
— C’est qui ?
Quand je t’ai interrogée, ma question t’a mise mal à l’aise et ta voix a tremblé au moment où tu as prononcé son nom : Franck.
Franck, un ami de longue date, notre ami à tous les deux. Le fait que votre liaison dure dans mon dos depuis des mois, c’est, comme on dit par ici, « le pompon sur la pomponette » ! La première fois que je l’ai entendue, l’expression m’a fait rire. Aujourd’hui, j’ai beau la répéter dans ma tête, elle m’arrache à peine un sourire.
Ça y est, on touche au but. Franck marche dans notre direction, la figure longue comme un jour sans pain, pas très fier de lui sans doute. Il porte une barbe de trois jours et une chemise à carreaux dont il a remonté les manches. Il lance un « bonjour » embarrassé et glisse ses mains dans ses poches. Tes yeux brillent, je devine que tu te retiens de lui sauter au cou. L’espace d’un instant, je me dis que vous formez un joli couple tous les deux.
Mon regard tombe alors sur la pelle adossée au mur de la maison et avec laquelle j’ai retourné un carré de terre la veille. Un trait de lumière se reflète sur la surface au métal sali, qui me force à fermer les yeux.
Ça me prend comme un coup de sang. Je saisis le manche de la pelle et frappe Franck à la tête. Il se fige, pétrifié par la surprise et la douleur. Ta voix retentit alors, couvrant la rumeur des cigales.
— ARRÊTE !
Mais je frappe à nouveau, et même de plus belle. Sur le visage, le ventre, le dos. Franck s’effondre sur le sol. Tu te mets à hurler comme une perdue, et plus tu hurles, plus j’ai envie de donner des coups. Quand tu tentes de m’arracher mon arme, je te frappe toi aussi. Par réflexe ou par rage. Tu tombes en arrière, inconsciente. Là-haut, le ciel est d’un bleu de carte postale, pas franchement raccord.
Je reste hébété pendant quelques secondes et tes geignements finissent par me ramener à la réalité. Je te porte jusqu’à la maison et t’allonge sur le canapé du salon. Là, je soigne ta blessure à la tête, bande ton front. Comme tu commences à reprendre connaissance, je te fais avaler plusieurs somnifères, de quoi te faire dormir un bon bout de temps.
Je retourne sur la terrasse où l’autre baigne dans une mare de sang. Il faut que je me débarrasse de son corps. Je pense d’abord à aller l’enterrer au fond du jardin, mais ça risque de prendre des heures. L’idée du puits vient très vite. Je récupère la brouette rangée dans la remise et traîne le corps de Franck à l’intérieur.
J’ouvre ensuite le portail en grand et m’engage sur le chemin, la brouette à bout de bras. Je longe la façade en pisé de la maison. Je dépasse ensuite une fermette dont le toit effondré disparaît sous les ronces. De la grange attenante, il ne reste plus qu’un tas de pierres.
Les Trois Sources, c’est comme ça qu’on a baptisé le hameau, rapport aux trois filets d’eau qui coulaient dit-on par ici à une époque. On a du mal à le croire tant la terre est devenue sèche et dure au mal. J’aperçois la Golf de Franck, garée juste à côté du puits. À partir de là, le chemin s’élargit et devient à nouveau praticable en voiture.
Je glisse mes mains sous les aisselles de Franck et l’extirpe de la brouette. Ce salaud pèse le poids d’un âne mort et tandis que je le hisse sur la margelle du puits, une sueur âcre vient me piquer les yeux. Franck est maintenant au bord du précipice, prêt pour le plongeon final. Je pense in extremis à la Golf qu’il va falloir bazarder et je tâte ses poches à la recherche de la clé de la voiture. Je finis par la trouver et balance le corps. Un bruit mat résonne tout au fond du puits.
Je ramène la brouette à la maison et nettoie à grande eau le sang qui a coulé à l’intérieur. Je donne également un coup de jet sur la terrasse jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une trace de rouge. Lorsque je regarde le cadran de ma montre, il n’est pas loin de dix-huit heures. La chaleur s’est calmée et le chant des cigales n’est plus qu’une rumeur lointaine. Tout à l’heure, quand il fera nuit, je conduirai la voiture de Franck jusqu’au ravin et je la jetterai tout au fond. À part quelques chèvres sauvages, plus personne ne vient s’aventurer par là. La Golf, on ne la retrouvera pas.

25 juillet

Le plus grand des deux réajuste son képi sur le sommet de son crâne. Il a le nez qui brille et un début de couperose. Son collègue me salue d’un signe de la tête.
— On se reverra bientôt, monsieur Le Berre.
Le ton est sec et sans réplique. Je répondrais volontiers un truc du style « oui, c’est ça, vous viendrez prendre le café la prochaine fois », mais il vaut sans doute mieux que je la boucle. Ils tournent les talons et repartent jusqu’à leur break bleu marine. Ils se sont garés à quelques mètres à peine du puits et mon ventre se tord lorsqu’ils passent à côté. L’un des deux y jette un coup d’œil machinal avant de monter à bord de la voiture. Il y a deux jours, j’ai balancé plusieurs brouettes de sable tout au fond, histoire de le condamner pour de bon. Sans compter que ça commençait à salement puer la charogne.
Le break finit par démarrer, recrachant une fumée noire et épaisse. Les flics s’engagent dans le chemin à petite vitesse – pas possible de jouer les Fangio avec toute cette caillasse sur les côtés. Ils dépassent le cèdre gris et disparaissent dès le premier virage. Une odeur de diesel flotte un moment dans l’air. Et puis, plus rien.
Je repars en direction de la maison. Je referme le portail et donne deux tours de clé. Mon regard balaie la terrasse avant de s’arrêter sur la façade de la maison, une tourelle de trente mètres collée à son flanc. Dans le pays, tout le monde l’appelle le Château. Et depuis près de dix ans, c’est chez moi. Le cagnard de midi est plus chaud que de la braise et j’ai laissé les volets tirés exprès, histoire de préserver un semblant de fraîcheur. Je fais quelques pas dans le jardin. L’herbe sèche vient griffer mes pieds chaussés de sandales. Dans un coin, un rosier agonise sous la canicule. Je passe ma main sur le muret de pierres qui domine les plantations du potager. J’attrape le panier posé sur le sol, débordant de tomates. J’étais en pleine cueillette quand les deux autres ont rappliqué. Je repars jusqu’à la maison, mon panier à la main, les tympans vrillés par les cris des cigales.

À l’intérieur, il fait sombre et frais comme dans une église. Je pose mon panier sur la table de la cuisine. Les verres d’eau que j’ai servis aux gendarmes tout à l’heure sont intacts. Ils n’ont pas voulu y toucher et pourtant, le plus grand avait des gouttes de sueur qui lui coulaient sur la figure. Il a un peu l’accent de Marseille et je me souviens de sa voix quand il m’a dit :
— Vous n’avez pas l’air particulièrement inquiet pour quelqu’un dont la femme n’a pas donné signe de vie depuis deux semaines.
Le con. Je vide les verres dans l’évier et allume la radio. Le son d’une trompette retentit dans le silence et je reconnais les premières mesures d’Autumn Leaves, Miles Davis aux manettes. Dans le panier, je choisis trois tomates parmi les plus mûres et les rince un moment sous l’eau. Ce sont des tomates à la chair sombre, des Noires de Crimée. Des morceaux de terre s’échappent et viennent former une espèce de bouillie marronnasse au fond de l’évier. J’essuie en vitesse les tomates dans un torchon avant de les poser sur une planche en bois. Je les coupe en petits morceaux et une pulpe juteuse jaillit sous la lame de mon couteau. Sur un plateau en bois clair, je dispose une assiette, des couverts, une serviette en tissu et un verre à pied. J’ouvre la porte du buffet et en sors une boîte métallique où l’inscription « Biscuits Lu » commence à s’effacer. Il y a à l’intérieur des carrés de sucre roux et un flacon de Gardénal. J’en verse trois gouttes dans le verre et complète avec de l’eau. Je range la boîte. Je fais glisser les tomates dans l’assiette, les arrose d’un filet huile d’olive et ajoute quelques feuilles de basilic.

La tour. Coiffée de tuiles vernissées, légèrement de biais. Il paraît qu’elle date de la fin du XVIIème. Bien qu’elle soit attenante à la maison, il n’y a pas de passage entre les deux bâtiments et on y accède par l’extérieur. J’ai bien senti qu’elle intriguait les gendarmes. Comme ils insistaient pour la visiter, je les ai précédés jusqu’à l’entrée, une porte en vieux chêne que j’ai déverrouillée sous leurs yeux. Ils ont ensuite grimpé derrière moi l’escalier en colimaçon qui conduit au sommet. Nous avons débouché sur une pièce circulaire d’une vingtaine de mètres carrés, dotée d’une large fenêtre. L’ancien propriétaire y avait entreposé une longue vue et venait là pour observer les étoiles. Je n’ai pas touché à la carte du ciel qu’il avait fixée au mur. Mis à part des moutons de poussière et un carton de bouquins, les flics n’ont rien trouvé. La visite de la maison n’ayant pas été plus fructueuse, ils sont repartis la queue entre les jambes.
12 h 30. Je sors de la maison, mon plateau à la main et me dirige vers la tour. Je longe le bâtiment et progresse jusqu’à l’arrière, enjambant les herbes folles qui poussent çà et là. Je m’arrête devant la façade. Du lierre mêlé de ronces court sur les pierres jaune pâle. Avant, je l’arrachais. Et plus il poussait, plus je m’évertuais à faire place nette. Plus maintenant, j’ai renoncé à avoir le dernier mot. Je pose le plateau par terre et plonge ma main dans ce mur végétal. Mes doigts fouillent les feuilles du lierre, jaunies par la chaleur, se piquent aux épines des ronces, cherchent encore… Ma main finit par buter sur la surface en bois d’une porte et descend jusqu’à la poignée que j’actionne d’un coup sec. Derrière ce rideau de végétation, impossible d’ouvrir la porte en grand et je me faufile tant bien que mal à travers l’entrebâillement, mon plateau à la main. Je pénètre dans un vestibule où il me faut courber la tête pour pouvoir tenir debout. Je tire la porte derrière moi. Une rangée d’escaliers se dessine dans l’obscurité, qui s’enfonce dans le sous-sol. Je fixe une lampe torche sur le sommet de ma tête et commence à descendre. Les marches sont irrégulières et je fais attention à ne pas me foutre en l’air. L’eau du verre tremble un peu. À croire qu’il y a du roulis et qu’on est enpleine mer. En bas, la lampe tempête est restée allumée et les murs recouverts de lambris clair font penser à une cabine de bateau.
Et tu es là, pathétique moussaillon, allongée sur ton lit. Tes paupières sont baissées mais dès que tu te rends compte de ma présence, tu te redresses d’un coup. Tes yeux inquiets se braquent sur moi. J’effleure ton front, constellé de gouttes de sueur. Tu murmures :
— C’est quelle heure ?
Avant d’ajouter dans un souffle :
— Laisse-moi sortir.
— Il faut que tu manges.
Tu répètes que tu veux sortir. Je te réponds d’une voix plus ferme que tu dois d’abord manger. Tu baisses les yeux et un liséré de veines bleues se dessine sur tes paupières. Ta main est trop faible pour tenir la fourchette et c’est moi qui dois te donner la becquée. Une, deux, trois bouchées… Au bout de la quatrième, tu n’en peux déjà plus. Pourtant les Noires de Crimée, ce sont tes tomates préférées. J’approche le verre de tes lèvres.
— Prends un peu d’eau, ça va te faire du bien.
Tu bois docilement car tu as soif. Tu es trop épuisée sans doute pour prendre garde à ce drôle d’arrière-goût, mélange de réglisse et de médicament. Tu te rallonges dès ton verre bu. Tu luttes pour rester éveillée mais tes paupières pèsent plus lourd que du plomb. Les boutons de ta chemise de nuit sont défaits. Je glisse mes doigts à travers le tissu et caresse tes seins. Tu tentes de dégager ma main mais tu manques de force. Ta peau tiède et dorée me fait l’effet d’un croissant chaud. Tu me donnes faim.
La cave de la tour, je n’y mettais quasiment jamais les pieds. Elle était difficile d’accès et l’ancien proprio m’avait prévenu que l’atmosphère était trop humide pour qu’on puisse y entreposer du vin. La carcasse de l’autre fumier pourrissait au fond du puits depuis plusieurs heures quand je me suis décidé à aller y faire un tour.
La nuit était tombée et j’ai tâtonné un moment dans l’obscurité avant de trouver la porte. Une fois en bas, j’ai balayé le sol de terre battue et enlevé les toiles d’araignées qui pendaient du plafond. Je suis allé récupérer dans le grenier de la maison le lit pliant, la table et les chaises de camping. Je voulais que tu ne manques de rien.
À présent, allongé à tes côtés, je me dis qu’il faudrait tapisser les murs avec du papier à fleurs pour en faire un vrai nid douillet. Et ajouter un paravent devant la grande bassine en métal où je t’aide à faire ta toilette. La valise que tu avais préparée en vue de ton départ est posée au pied du lit. Je n’ai pas encore pris le temps de sortir tes affaires.
Tout à l’heure, quand les gendarmes m’ont demandé si je savais où tu étais, j’ai raconté que tu t’étais fait la malle avec Franck et que vous étiez partis à l’océan. J’ai même précisé que vous aviez mis le cap sur Biarritz, histoire de faire plus vrai. Ils m’ont dit qu’une enquête était ouverte et que c’est ta mère qui avait donné l’alerte. Dix jours sans donner de nouvelles, ça ne te ressemble pas. Cette histoire d’océan, pas sûr qu’elle y croie, et les flics, je me doute bien qu’ils reviendront un jour. N’empêche. Ta cachette, ils risquent de la chercher un moment.
Tu sombres peu à peu dans cet état comateux qui ressemble au sommeil. Ta tête bouge d’un côté et de l’autre, on dirait que tu fais un mauvais rêve. Je dégage les cheveux collés à ton front et je chuchote à ton oreille :
— Tu sais, lorsque j’ai balancé Franck dans le puits, il respirait encore. Ça se voyait qu’il avait la trouille de crever, il chialait comme un gosse. Ça bien sûr, je ne peux pas le raconter aux gendarmes mais à toi, il faut que je le dise.

jeudi 11 février 2016

Nouvelle N° 19... Les aigles endormis



Je viens d’un endroit que beaucoup de gens ne savent pas situer sur une carte. Bercées par la douce mer adriatique, les montagnes de la chaîne balkanique y crèvent un ciel pétant de bleu sillonné par les sublimes oiseaux de proie qui ont donné son nom à ces terres : Shqipëri, le pays des aigles, c’est comme ça qu’on l’appelle dans ma langue. Le reste du monde lui préfère une autre appellation. L’Albanie, mondialement connue pour ce qu’elle a de plus mauvais : nos ressortissants criminels, réputés parmi les plus durs – même si les russes et les italiens en ont beaucoup rajouté à ce sujet ; nos filles, devenues chair fraîche pour la prostitution mondialisée, et notre régime communiste, qui a la singularité d’avoir été en son temps le plus fermé du monde.
C’est difficile à comprendre, impossible peut-être, pour ceux qui n’étaient pas là. Pendant le régime, surtout les dernières années, tout nous était interdit : les routes barrées, les frontières fermées, les moyens de locomotion réduits à leur plus simple expression. Même aller voir un cousin à trente kilomètres relevait de l’épopée. Le Pays tout entier s’était fait bouffer par la paranoïa d’Enver. Entre la police politique, la police secrète et ceux qui leur parlaient contre deux leks, même péter de travers pouvait vous envoyer en prison. Essayer de sortir, c’était risquer une rafale de Kalachnikovs entre les omoplates. Et dans nos montagnes, des bunkers, on en trouve tous les kilomètres. Difficile de passer au travers.

Alors on restait là, crevant à petit feu nos vies de robots sous contrôle, sans liberté, rêvant de partir et n’osant rien faire. Notez, je n’étais pas le plus à plaindre. Dans mon absence de choix, j’ai même plutôt eu du pot. Je réparais les machines dans une usine de coton. Un ami de mon père m’avait organisé un mariage avec une jeune fille d’un village des alentours, Rina. Douce et aimable, elle était infirmière et partageait avec moi cette envie de vivre vraiment, c’est-à-dire loin d’ici. J’étais fils unique, ce qui est plutôt rare pour ma génération, et mes parents étant morts dans un stupide accident de barque sur le lac de Pogradec, nous vivions seuls dans un petit appartement de deux pièces au nord de Korça. De la fenêtre, on voyait les montagnes qui cernent la ville, et derrière elles, nous devinions une frontière infranchissable.

Quand le vent s’est mis à souffler sur le château de cartes des dictatures communistes, le régime a bien fini par s’écrouler chez nous aussi. Un peu en retard, le tempérament méditerranéen, sans doute. Libres et sauvages, nous étions presque retournés à l’état de nature. Le monde s’est ouvert devant nous, et nous n’étions pas prêts. 

Et moi, pas plus que les autres. Si je devais raconter aujourd'hui comment je suis sorti d’un rêve hébété pour me retrouver dans le cauchemar éveillé qu'est devenu mon existence merdique, je crois bien que je pourrais résumer ça en trois mauvaises journées.

***
Jour 1
9 avril 1992
Ce matin-là, je m’éveillai dans un petit jour éclaboussé de soleil, ma douce Rina encore assoupie à mes côtés. Une nuée d’oiseaux gazouillait le printemps nouveau pendant que j’avalais un café et un Fernet sur le balcon.
Dans la confusion enjouée des mois qui ont suivi la chute de la statue d’Enver et du régime, on y a cru, on le tenait, notre bonheur. Liberté ! Démocratie ! Justice ! On se gargarisait de mots si longtemps interdits. Ramiz Alia, le boucher des frontières, qui avait réussi à se maintenir à la tête de l’État après la chute du régime, venait de démissionner de la Présidence. La nouvelle Albanie devenait la terre de tous les possibles, et avec Rina, on ne pensait même plus à partir.
Rêveur, je me dirigeais d’un pas vaillant à l’usine pour y toucher ma paie. Elle n’était pas énorme, mais elle nous suffisait. Pas loin de la caserne, je croisai Dhimiter. On n’était pas vraiment amis, mais on se connaissait depuis l’école, et nos parents avaient été voisins.
— Mirëmëngjes, Beni !
— Mëngjes, Mitri. Si je ?
— Mire, mire. Ç'bën ?
— Je vais au travail. En sortant, j’irai à la boutique de Jurgen. Il a reçu des briquets d’Italie.
Ça me coûterait une journée de salaire, pour une cochonnerie en plastique dont j’apprendrais par la suite qu’elles étaient produites pour rien en Chine. Mais à l’époque, un briquet représentait l’apanage indispensable du mâle, dans un pays où tous les hommes sans exception étaient fumeurs. Et aussi, on sortait tout juste des talon[ Les talon sont des coupons alimentaires distribués aux travailleurs pendant la fin du régime communiste.] et autres tickets de rationnement, on avait presque oublié comment dépenser de l’argent. Alors on le faisait n’importe comment. Il haussa les épaules.
— Passe me voir, si tu veux. Je serai au local d’Alban. Il en a aussi, des briquets. Et plein d’autres choses qui pourraient te plaire. Des robes pour ta femme.
— Des robes ?
— Des camions entiers !
— Et elles viennent d’où ?
Dhimiter fit mine de cracher par terre et regarda par-dessus son épaule. Il alluma une cigarette, m’en proposa une, que je refusai.
— Pourquoi tu te casses encore le dos dans ton usine ? On s’en sort bien, tu sais, je pourrais te faire rentrer dans le coup.
Alban venait du même quartier que nous. Il n’avait pas inventé le fil à couper l’eau chaude, et faisait partie de ces rares types dont le régime n’avait jamais trop su quoi faire. Bête, méchant et paresseux, il incarnait à la perfection le revers de la médaille de notre fraîche libération. Dégagé du lourd carcan d’une surveillance permanente, quelques-uns laissaient libre court à tous les vices. Alban était de ceux-là, toujours à préparer un truc louche, à mijoter un plan boiteux qui ferait de lui un homme riche et puissant. En attendant, il passait ses journées à boire dans les cafés, à parler le nez en l’air pour se donner des allures et je le fuyais comme la peste.
— Peut-être une autre fois. Dis bonjour à tes parents.
En entrant dans le bureau, j’avais tout de suite vu à la tête de Mira qu’un truc clochait. Les yeux rouges, elle m’expliqua que ça venait de Asllan, le nouveau propriétaire de l’usine, un fshatar[ Paysan. À la fin du régime a correspondu un fort exode rural, et le terme fshatar a pris une connotation nettement péjorative.] qui faisait l’important dans sa Fiat Panda chèrement acquise en Italie. Initié, ou pensant l’être, aux rouages de l’économie capitaliste, il avait pris des mesures pour rendre la fabrique compétitive. Je faisais partie de ces mesures.
Sur le chemin du retour, dépité et énervé, j’ai acheté le journal. Je l’ai encore dans une vieille valise. Nous étions en 92, et shoku Sali, devenu zoti Sali[ Shoku : camarade. Zoti : Monsieur], venait d’être élu président de la République. 

J’en aurai pleuré. C’était bien la peine de voir le régime s’écrouler pour élire un de ses anciens séides aux plus hautes fonctions de notre fraîche démocratie. Aussi couillon qu’un agneau qui déciderait de louer sa chambre d’ami au loup. J’ai compris qu’on était loin d’être tirés d’affaire, et que si on voulait faire quelque chose de nos vies, nous n’avions qu’une solution. J’avais décidé de partir.
Rina avait les larmes aux yeux à mon arrivée. Des larmes de joie. Je n’ai pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit.
— Je suis heureuse avec toi et nous allons l’être encore plus. Je suis enceinte.

Alors non, je ne lui ai pas dit que j’avais perdu mon travail. Je ne lui ai pas dit non plus pour Sali. Elle le saurait bien assez tôt. Au lieu de ça, nous avons ri et dansé, nous nous sommes embrassés et nous sommes endormis lovés l’un contre l’autre, fous de joie.
J’ai passé les jours suivants à me présenter partout, mais personne ne voulait de moi. Sans doute parce que juste avant d’encaisser ma paie, j’étais allé dans le bureau de Asllan lui mettre des couleurs sur le visage. Du bleu et du rouge essentiellement. En un rien de temps, j’étais devenu inemployable, exactement au moment où la précarité n’était plus une option. Il fallait bien vivre, manger. Partir oui, mais on ne fait pas ce genre de voyage avec une femme enceinte. Ni on ne la laisse derrière soi dans la vallée des larmes. J’ai fini par aller boire un raki, plusieurs même, avec Dhimiter et Alban, dans leur bicoque crasseuse qui sentait la gnole, la poussière et le tabac. Au fond de moi, une coulée d’acier chauffé à blanc me brulait de honte et de désespoir. Je m’accrochais à mon leitmotiv. Quelques mois, un an maximum.

***

Jour 2
17 octobre 1995
J’allumai une cigarette au cul de mon mégot. Je conduisais prudemment, les yeux rivés sur la route, en fait un enchaînement de chemins à charrettes qui sinuaient à flanc de montagne. Et je me concentrais le plus possible pour ne pas entendre les trois filles qui péroraient sur la banquette arrière.
Deux ans. Deux ans à rabattre les miséreux en soif d’exil vers les passeurs d’Alban plutôt que ceux de la concurrence, à faire traverser la frontière à des pauvres types aussi paumés que moi. Deux années pendant lesquelles me regarder dans la glace devenait plus dur chaque jour. Deux longues années à me crever l’âme pour des clopinettes. À faire le larbin pour cette tête de bois, je ramenai à peine plus d’argent à la maison que Rina à faire ses piqûres à l’hôpital. Nous avions de quoi subsister, rien de plus. Alors partir…
J’arrêtai la voiture sur le bas-côté et me tournai vers mes passagères :
— On descend là. Maintenant, il va falloir marcher un peu.
— Quoi ?
— La frontière est à deux kilomètres. On va devoir la contourner à pied. On en a pour une heure ou deux. Vous êtes prêtes ?
Bien sûr, qu’elles l’étaient. L’autre enflure leur avait monté un baratin tellement bien ficelé qu’il ne devait pas en être à son coup d’essai. Il connaissait un agent à Paris qui cherchait des filles comme elles, pour des défilés, et peut être pour jouer dans une pièce de théâtre. Il m’avait servi la même soupe d’ailleurs, et j’avais fait semblant d’y croire.
La première heure de grimpette, elles rigolaient encore. Après, elles ont commencé à geindre, à demander à faire des pauses, et pire, à poser des questions. Je répondis le moins possible, et les pressai, arguant de la levée du jour qui pourrait nous compliquer la tâche. Connerie. Je voulais juste en finir.
Au petit matin, nous étions arrivés. Dhimiter avait pris du galon et jouait les relais en Grèce, maintenant. Il s’occuperait du reste du voyage. Il les a installées dans une voiture de location, et m’a emmené un peu à l’écart.
— Elles sont comment ?
— Tu vois. Fatiguées. Bavardes. Jeunes.
Il haussa les épaules et me tendit une enveloppe. Je la fis rejoindre sa jumelle au fond d’une de mes poches. Mon escapade venait de me rapporter plus que six mois de mon ordinaire. Je m’empêchai de penser à ce que ça me coutait. De penser qu’à une époque j’avais été un type bien. De penser à ma femme aussi. Elle l’apprendrait tôt ou tard, ou elle le devinerait. Elle me haïrait pour ça. Mais si j’arrivais à gagner encore un peu d’argent, peut-être que tout s’arrangerait.
Dhimiter a démarré et klaxonné pour me saluer. Les filles avaient ouvert la vitre arrière et m’envoyaient des baisers et des remerciements.
Je tournai les talons, et, au bout de quelque pas, je dégueulai longuement, des larmes plein les yeux.

***
Jour 3
13 mars 1997
J’ouvris les yeux en sursaut, courbatu, des crampes dans les jambes et la nuque raide. Je m’étais encore endormi dans ma voiture, bourré comme un tronc d’arbre. La nuit noire et sans lune sentait la mort, crevée par les crépitements irréguliers des coups de feu qui résonnaient un peu partout. J’allumai une cigarette en guise de petit déjeuner, mis le contact et filai vers chez moi. Je voulais prendre un café avant de retrouver Alban à sa villa flambant neuve.

L’économie pyramidale favorisée par le grand Sali avait fini par se prendre les pieds dans son absurdité, et depuis des mois, les faillites succédaient aux ruines. Des types avaient perdu les économies de toute une vie, d’autres le fruit de leur dur labeur à l’étranger. Ça représentait des retraites, une maison, les études des enfants, autant de rêves éventrés sur l’autel d’un capitalisme sauvage dont nous n’avions jamais appris les règles. Le désespoir et une rage impuissante se lisaient sur tous les visages. Dans ce climat délétère, on ne sait pas comment, les stocks d’armes ont été ouverts. Bon, en même temps, c’est pas comme si tout le monde avait les clefs. Si des dépôts d’armes ont été ouverts un peu partout dans le pays au même moment, c’est bien que quelqu’un en avait donné l’ordre. Parce qu’on ne parle pas de quelques armureries, là. Quand les journalistes et les historiens vous balancent une expression comme « la poudrière des Balkans », il faut prendre ça pour argent comptant. Trente ans de paranoïa et de militarisation à outrance, ont fait de chaque village une petite fabrique de kalachnikovs, de grenades, de pistolets… Imaginez plus d’un million d’armes à feu en circulation dans un pays en pleine banqueroute, peuplé de trois millions d’habitants ruinés, dirigé par des élites corrompues, où soudain chaque homme en âge de les porter aurait à sa disposition deux ou trois armes à feu… 

Des gars que je connaissais sont morts en sortant de chez eux juste parce qu’une bande de crétins passaient en bagnole en essayant leurs nouveaux jouets. D’autres organisaient des descentes dans des pensions de jeunes filles, arme au poing, pour prendre de force des gamines terrorisées. Mon pays en était là, il avait dansé trop longtemps au bord du précipice et avait fini par sombrer dans la folie furieuse. 

Pour des types comme nous, ça représentait une opportunité fabuleuse. On trempait dans à peu près toutes les magouilles : racket, extorsions, chantage, et surtout les trafics. Les migrants d’abord, puis les filles. On ne s’emmerdait même plus à leur raconter qu’elles seraient actrice ou mannequin en Europe. On les prenait, simplement. Un petit stage de quelques semaines en maison d’éducation et elles étaient prêtes pour les trottoirs des grandes capitales du monde. Et maintenant les armes. On n’était pas regardants, on vendait à tout le monde. Nos meilleurs clients restaient quand même nos « frères kosovars », vers lesquels on affrétait des camions bourrés jusqu’à la gueule de pétoires diverses, pour armer leurs milices. En me garant devant chez moi, je me repassais la conversation de la veille.
— Mieux que de l’or, je te dis.
Vautré plus qu’assis sur un monumental fauteuil en cuir, Alban se grattait le ventre à travers une chemise en soie.
— Je sais pas, Alban.
— Ecoute, Beni, on a l’infrastructure, on a les contacts. La came passe par la Turquie, ils ont besoin de quelqu’un pour rentrer en Europe. Si c’est pas nous, ça sera quelqu’un d’autre.
— Peut-être qu’on devrait passer notre tour. On a déjà les gars de Lazarat.
— Lazarat, c’est bien, mais ça n’a rien à voir. Tu sais de combien de pognon on parle ? Tu préfères rester un petit toute ta vie ?
— J’ai besoin de réfléchir.
Et c’était vrai. Au fil du temps, j’avais fait pas mal de saloperies. À force de devenir aussi pourri que le système dans lequel j’évoluais, j’avais assez d’argent pour qu’on puisse partir. Je ne savais même plus pourquoi j’étais encore là. Mais se lancer dans la distribution d’héroïne… Le gros coup. On pourrait vivre comme des princes. Les gosses iraient dans les meilleures écoles. C’est ce que j’ai dit à Rina. Mais elle ne voulait rien entendre. Elle était furieuse, une fois encore, et on s’est déchirés. Le manque de sommeil, la pression, la lassitude, je l’ai giflée, encore, et les enfants se sont mis à chialer. J’en pouvais plus de tout ça, j’en pouvais plus de son mépris. Il nous restait juste cette carte à jouer et on serait bons. J’en pouvais plus non plus des cris, des siens, de ceux des mômes, des miens. Alors une fois de plus, j’ai claqué la porte, et malgré le couvre-feu, malgré tous ces cinglés qui se promenaient en tirant des coups de feu en l’air, je suis allé me saouler. Et j’ai pris ma décision. Je ferai juste ce coup, et on s’en irait. Elle finirait par l’accepter, quand elle se réveillerait le matin dans une maison au bord de la plage, qu’on aurait du champagne au petit déjeuner et que les petits reviendraient du club de voile ou d’équitation.
Je grimpai les marches aussi vite que ma gueule de bois me le permettait et ouvris la porte. Ma femme m’attendait, debout, au milieu du salon, les mains derrière le dos, les yeux rouges, le visage fripé.
— Rina. Y a du café ?
— Tu vas le faire, hein ?
— Je vais faire du café, lâchai-je dans un soupir agacé.
— Oh oui, tu vas le faire. Tu n’en as pas fait assez ? Tu vas aller jusqu’où ? On ne partira jamais, Arben.
— Qu’est-ce que tu racontes ?! Tu ne vois pas que je fais tout ça pour vous ? Après ce coup, on sera plein aux as. On pourra aller vivre où on veut, Rina, et vivre comme on veut.
— Est-ce que tu sais au moins que tu mens ? On ne partira jamais. Il y aura toujours un dernier coup. Ce que tu fais…
— Ça te dégoute ? Je le sais. Mais c’est ça qui te fait manger, c’est ça qui va nous faire sortir d’ici.
— Je travaille, Arben, et ce sont mes mains qui préparent tes repas, pas les saloperies que tu fais dehors. Toi, tu ne nous emmènes pas loin d’ici, tu nous retiens, tu es prisonnier de cette ville, tu es prisonnier de la folie qui les a tous bouffés. On aurait pu partir cent fois. Mais tu as toujours trouvé une raison de ne pas le faire. Et maintenant, regarde ce que tu es devenu.
Je me souviens avoir pensé qu’elle devenait folle, elle aussi, comme tout le monde. Je me souviens que mes poings se sont serrés jusqu’à ce que mes phalanges blanchissent.
— Rina…
— Tais-toi. Je vais te dire une chose. J’ai bien failli partir sans toi, avec les enfants. Mais c’est impossible. Toi et tes copains, c’est vous qui tenez les routes. Je ne serais pas allée très loin. J’ai tort ?
Elle avait raison. Je l’aurais su. Je l’aurai traquée. Ma mâchoire s’était mise à trembler. J’avais envie de casser quelque chose.
— Rina…
— Je refuse que mes enfants grandissent là-dedans. Elle désigna la fenêtre du menton, et derrière elle la nuit éclaboussée par les halos des coups de feu et des explosions. J’ai honte de ce que je vais faire, mais c’est la seule manière que j’ai trouvée, Arben, le seul moyen de leur faire quitter le pays.
Elle me dévoila sa main droite, garnie d’un flingue, un truc russe. Je me glaçai, les mains en avant, défense dérisoire face à la puissance d’arrêt d’un Tokarev.
— Rina, attends !
Elle étouffa un sanglot et me regarda droit dans les yeux.
— J’ai juste une question à te poser, Beni. Est-ce que tu aimes tes enfants ?
— Tu sais bien que oui. Plus que tout.
— Alors tu feras ce qu’il faut.
Elle me sourit, enfonça le canon dans sa bouche et appuya sur la détente.

***

Le lendemain, j’embarquais avec les enfants à Igoumenitsa, de l’autre côté de la frontière grecque. Avec nos faux passeports et deux valises remplies à la hâte, nous avons pris le premier ferry. Il partait pour Ancona, en Italie. Le cœur brisé, accablé par le remord, je laissais derrière moi le cadavre de ma femme et de nos rêves. Les enfants pleureraient longtemps leur mère. Pour le moment, ils dormaient sur le pont, la tête posée sur leurs oursons remplis de billets de toute provenance. Nous tiendrions un petit moment avec ça. Le temps d’arriver quelque part.
Accoudé au bastingage, j’ai regardé jusqu’au bout les rives de mon pays s’éloigner puis disparaître, emportant avec elles mon peuple superbe et malheureux, comme un animal beau et sauvage qu’on aurait maintenu en captivité trop longtemps, comme un aigle endormi qu’on aurait jeté dans la fosse aux lions en lui chuchotant « vole, maintenant ».

dimanche 7 février 2016

Nouvelle N° 18. Histoire d'eau




Adra a toujours détesté la pluie. Quand le ciel crache gris, il lui pousse des moisissures à l’âme. Aujourd’hui elle est servie. Ça tombe dru et lourd à salves continues. Sur le trottoir, l’eau tambourine et touille déjections et saletés en une mélasse infecte. 
 
Prier à la fenêtre ne sert à rien. Il n’y a rien à attendre d’en haut. Si peu à espérer ici-bas. Elle doit sortir et il faut qu’elle se dépêche. Adra saisit un torchon et sort le plat du four pour le déposer sur la table de la cuisine.
C’est prêt !
Le canapé a exhalé un soupir. Le pas traînant de Titi. Le voilà à l’encadrement de la porte. Il se gratte le ventre, aspire l’air en plissant les narines, grogne.
Des lasagnes surgelées, tu t’es pas foulée, merde ! On est dimanche, putain !
Adra baisse les yeux et se mord les lèvres. Depuis six mois qu’il est au chômage, pour Titi c’est tous les jours dimanche. Adra, elle, a pris double peine. La chaise couine en recevant les cent kilos de Titi. Sous ses avant-bras, la table paraît celle d’une maison de poupée. Adra lui sert un verre de vin et se tient debout derrière lui. Figée. De plus en plus souvent, quand elle le regarde, elle se demande si le jeune gars qui la prenait par la taille pour l’embrasser dans le cou n’était pas un mirage. S’il a existé, ce Titi-là, a fait long feu. Celui qui l’a remplacé mastique bouche entrouverte en lui lançant des regards chargés de reproches. De la sauce a dégouliné de son menton à son abdomen.
C’est vraiment dégueulasse… Et puis qu’est-ce que tu fous, plantée là ? Je croyais qu’aujourd’hui t’avais inventaire…
Adra tangue un peu et se secoue. Un bref coup d’œil au-dehors lui confirme que le temps ne s’est pas amélioré. Quand on n’attend rien, on n’est jamais déçu. Dans le miroir de l’entrée, à la va-vite, elle se recoiffe. Par habitude. C’est à peine si elle prête attention à son reflet. Adra a oublié qu’elle pouvait être jolie. Avec ses traits fins et racés, ses yeux d’un noir velouté et sa bouche charnue, il suffirait de peu de choses. Sans doute qu’elle sourit. Ça aussi, elle a perdu le mode d’emploi. Elle enfile sa parka, resserre les liens de sa capuche et claque la porte. Depuis le palier lui parvient le bruit mou d’un corps qui s’affaisse et le son de la télé. Elle délaisse l’ascenseur en panne et prend l’escalier.
Le bus traverse la moitié d’une bourgade triste de bord de mer. L’autre moitié est tout aussi déprimante. De rares voitures glissent sur la chaussée en projetant des gerbes d’eau grasse. Les pavillons bas défilent. Le ciel croule. Adra est ailleurs. Elle a déplié un souvenir tiède et sucré auquel elle tente de se réchauffer. Elle a presque réussi à s’absenter d’elle-même et d’ici que c’est déjà fini. Les freins crissent. La porte s’ouvre en aspirant de l’écume. Elle descend au ralenti, s’immobilise, puis courbe l’échine et avance. Le bus continue sur sa trajectoire. De dos, on croirait un animal marin déboussolé. Il est dix-neuf heures, la nuit dégouline, l’horizon a coulé.
Le parking arrière de la supérette s’est transformé en flaque géante. Adra patauge à la recherche d’un gué. Ruisselante, elle grimpe trois marches et toque à la porte de la réserve. C’est Simon qui lui ouvre. Monsieur Simon. Il a le teint d’un blanc tirant sur le jaune, des yeux bleus enchâssés dans un visage aux contours flasques, de rares cheveux d’un châtain terne et des poils dans la nuque qui font des petits paquets de bourre. Heureusement, ce soir, elle n’est pas seule avec lui. Driss a été réquisitionné tout comme elle. Driss, c’est son cadeau de consolation. Il a toujours le sourire aux lèvres. Sûrement une malformation de naissance.
Ah ! C’est pas trop tôt ! Driss nous a fait faux bond. La route a été bloquée. Les inondations… Allez Adra, bouge-toi, c’est alerte orange pour cette nuit et j’aimerais autant qu’on ait fini le plus vite possible.
Adra acquiesce en essayant de dénouer les cordons de sa capuche. Ses mains tremblent et les nœuds ont gonflé. Impossible d’en venir à bout. De plus en plus nerveuse, elle les tranche avec une paire de ciseaux. Ça semble amuser son patron. À peine a-t-elle déposé son blouson sur la caisse que Simon lui tend un lecteur de codes-barres.
Le surgelé et le frais. Je m’occupe de l’épicerie. J’ai pris de l’avance. Si on s’active, dans deux heures c’est plié.
Le froid pour elle, le sec pour lui. À croire que c’est prémédité. Armée de sa douchette, Adra scanne les articles. En automate, elle compte et recompte toutes les saloperies qu’elle a déjà servies à Titi et qu’elle lui servira encore. Enfin, celles dont la date de péremption est dépassée et qu’elle récupère en douce à la benne avant que Simon ne les asperge de Javel.
Dehors, l’averse s’est intensifiée et le vent s’est mis de la partie. Elle le sait aux battements impétueux du rideau de fer. Malgré ses doigts gourds, les raideurs dans ses coudes et les élancements dans son dos, Adra tient la cadence. Fini pour les surgelés. Le frais maintenant. À ce train-là, la fin du calvaire est proche. Mais d’abord, elle a besoin de faire une pause. À la question silencieuse et accusatrice de Simon, elle répond par une mimique d’excuse et un regard en direction des toilettes. Simon secoue la tête et retrousse les lèvres.
Traîne pas.
Ses deux mains sous le mince filet d’eau brûlante, Adra a fermé les yeux. Sous sa peau rougie, le sang circule à nouveau. Elle infuse, perd la conscience du temps qui passe. Cette odeur d’after-shave…
Elle sursaute, se retourne et bute contre la poitrine de Simon. Il hennit un rire rauque et pose les mains sur ses petits seins. Il serre. Les mains de Simon sont glacées. Le cœur d’Adra givre. Ses muscles et ses nerfs sont traversés d’impulsions contraires. Elle est pétrifiée. Dans son dos, le robinet coule toujours. Simon souffle et se frotte à son bassin. Sa bouche est à quelques centimètres de la sienne. Son haleine sent le jus de vaisselle sale. Adra a l’impression qu’il transpire des yeux au moment où il fait coulisser son pantalon. En dedans, Adra s’affole à la recherche d’une issue de secours. Elle cachette ses cartes postales mentales, condamne les accès de ses voyages intérieurs. Surtout, n’oublier aucun verrou. La plus petite éclaboussure dissoudrait à jamais ses permissions de sable. Elle se quitte et s’abandonne à Simon qui l’a allongée et dénudée à même le carrelage et lui menotte les poignets. Crucifiée au milieu des cartons vides, Adra est ouverte et imperméable. Simon a fourré les doigts dans son sexe comme s’il voulait lui scanner les entrailles. Il les lèche, lui barbouille l’entrejambe de sa salive, puis la pénètre. Au-dessus de la mue froide d’Adra, Simon lance de petits cris aigus et plaintifs. Il est plus excité que la fois où il a doublé ses objectifs de vente.
Un serpent de sperme tiède rampe sur l’intérieur de la cuisse d’Adra. Elle se réveille.
Faut croire que t’attendais que ça…
Simon a parlé avec la voix de Titi. La voix de tous ceux d’avant jusqu’au premier. Manu. Oui, l’intonation est la même que celle de son beau-père. La main d’Adra s’est agrippée au bloque porte en acier. Elle le lève et l’assène sur la face de Simon encore à genoux. Il bascule sur le côté en grognant. Adra roule sur lui, enserre sa taille adipeuse entre ses jambes. Cette fois, elle vise la tempe. Deux fois de suite. Les yeux de Simon se révulsent. Ses muscles abdiquent, ses chairs s’affaissent, aussi inertes qu’une pièce de viande sous vide. Adra reprend son souffle et se redresse doucement en s’accrochant au lavabo. Elle passe ses mains et son visage sous l’eau. Avec les rognures de savon, elle se lave méticuleusement et se sèche au distributeur de papier, puis se rhabille. Au tour de Simon. Elle le recoiffe un peu, glisse une serpillère sous sa tête, puis le tire par les pieds dans l’allée centrale. Dans le réduit des toilettes, Adra vide une bouteille de détergent et se met à astiquer. Le local n’a jamais été aussi propre. Adra n’a jamais été aussi calme. Elle réfléchit pourtant à toute vitesse. Elle charge Simon sur un diable et le conduit vers la sortie arrière. Pour une fois, les Nostradamus de la météo ont été clairvoyants. Le parking est devenu mer intérieure. Un vent rasant et imprévisible y hérisse des vaguelettes. Dans le fond gauche, en face du 4x4 de Simon submergé jusqu’au radiateur, la marée dessine et creuse un tourbillon. En dessous, c’est le collecteur des eaux de pluie. Les jours de grand soleil, c’est là qu’Adra planque ses petites commissions au nez et à la barbe de Simon. Il n’y a plus de grille. Volée, sans doute. Et la canalisation est assez large, même pour ce gros porc de Simon. Adra incline le diable. Du bout d’un frottoir, aussi aguerrie qu’une gondolière, elle pousse et guide la dépouille jusqu’aux premiers courants. Elle observe la carcasse à la dérive. C’est lent au début. Puis la valse s’accélère. Dans les dernières secondes, Adra a l’impression que Simon ouvre les yeux et que ses bras moulinent dans la spirale qui l’aspire. Au revoir, Monsieur Simon. Pour la première fois de sa vie Adra n’est pas transie. Elle jette un regard en arrière. S’il reste des traces, l’eau en train d’envahir le magasin les recouvrira. Adra prend son inspiration et s’immerge centimètre par centimètre. Elle se pince le nez et disparaît sous les flots boueux.
Elle rejaillit enfin et regagne le magasin où elle compose le numéro des pompiers.
***
La disparition de Monsieur Simon est passée en pertes et profits, dans la case taux de démarque inconnue. Son cadavre a refait surface en mer quinze jours plus tard. L’autopsie a confirmé la mort par noyade. Ses poumons étaient remplis d’eau. Adra n’avait pas rêvé, il avait bien repris connaissance avant d’être avalé.
La municipalité et le service départemental de l’équipement ont juré de veiller à ce que toutes les bouches soient équipées de grilles. Adra a eu droit aux honneurs de la presse pour avoir tenté de sauver son patron. Les premiers jours, même Titi était redevenu celui qu’elle avait connu. L’embellie a été éphémère… Titi enchaîne toujours les semaines oisives à sept dimanches. Adra a retrouvé un job d’hôtesse de caisse dans une supérette de l’autre côté de la ville. Driss aussi, c’est marrant. Des fois le hasard…
Adra regarde à la fenêtre. Elle s’est découvert une passion : les épisodes climatologiques extrêmes. Elle connaît par cœur le plan des collecteurs d’eaux pluviales de sa ville et des communes limitrophes. Ses rares heures de loisirs sont consacrées au repérage de ces siphons providentiels et à l’inventaire de ceux qui ne sont toujours pas sécurisés.
Les promesses ne durent que le temps des beaux jours…
C’est ce qu’elle se dit en observant Titi en train de décapsuler la première bière light de sa vie. Adieu lasagnes, bonjour haricots verts. Selon les calculs d’Adra, Titi doit perdre douze centimètres de tour de taille. Dans trois ou quatre mois, s’il atteint l’objectif, elle lui offrira une sortie au bowling.
Elle en a repéré un à trente kilomètres avec un parking offrant un accès direct à la mer.