jeudi 28 septembre 2017

Un auteur de la team sur la terrasse : Yvan Robin


1- Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Mon tout premier manuscrit de roman, « Les multiples de un », était un projet de roman noir assez naïf sur les multiples personnalités d’un individu… Il m’a valu les refus des quelques éditeurs sollicités, dont un retour personnalisé assez encourageant qui m’a incité à persévérer.

Mon second manuscrit a été publié (« La disgrâce des noyés » – Editions Baleine), puis il m’a fallu aboutir 7 manuscrits pour de nouveau signer un contrat d’édition (« Travailler tue » - Editions Lajouanie). Un véritable parcours du combattant puisque sur ces 7 manuscrits, j’ai failli signer dans de grandes maisons à plusieurs reprises.

2- Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Dans mes premiers écrits j’avais des exigences formelles très arrêtées, par exemple : pas d’éléments d’encrage temporo-spatial, pas de noms propres, pas de dialogues, pas de travail de recherche…
Avec le temps, je cherche plus à adapter la forme du texte avec le fond (l’histoire), bref à trouver la meilleure façon de transmettre une proposition artistique.
Progressivement j’ai donc renié pas mal de mes principes, intégré des dialogues, quelques éléments géographiques, fait quelques recherches (le moins possible).

3- Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Pour ma part, je suis pour une littérature « sans péridurale », le lecteur doit sentir passer le texte dans tout son corps… Quitte à morfler un peu !

4- Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Oh plein… ça dépend de la phase du travail dans laquelle je me trouve. Durant l’écriture du premier jet, il me faut juste un bistro confortable (banquette de Moleskine de préférence) et du café pour écrire de longues heures. Par la suite, comme le travail est plus fastidieux, je dois changer régulièrement de lieux de travail (bibliothèque, espace de co-working, bars…) pour stimuler la créativité, et prendre du recul sur le texte. Quand il faut débloquer une situation, je vais chercher un état second qui me permettra d’être plus clairvoyant sur mon texte, en espérant que l’incohérence ou la solution du problème m’apparaisse. Pour ce faire je vais courir, nager, suer au hammam, méditer…
Sinon j’ai la manie (probablement très répandue) de faire des sauvegardes sur plusieurs supports (clef, ordi, disque dur externe, boites mails…) après chaque session.
Je note aussi constamment sur mon téléphone les idées qui me viennent (en parlant avec des gens, en lisant, en dormant…) c’est parfois impoli, mais j’ai trop peur de passer à côté d’une bonne idée.

5- Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Les nouvelles c’est assez gratifiant parce qu’il suffit de quelques jours de travail pour voir le résultat !
Ça permet également de tenter des figures que je n’oserai pas envisager sur le format d’un roman (une forme un peu hybride, un personnage difficile à cerner…).

6- Votre premier lecteur ?
Ça dépend du projet en fait, il peut s’agir de ma compagne, de l’un de mes frères, d’un ami, d’un collègue auteur, voir d’un éditeur…

7- Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Oui ! Mais…
J’ai publié mon premier roman sans avoir jamais rien lu (moins d’une dizaine de romans en tout cas), mais très vite je me suis aperçu que je tombais dans des écueils grossiers, faisais des références involontaires, que je n’arrivais pas à suivre les discussions… Depuis mon premier roman, publié en 2011, j’ai dû rattraper mon retard. Je lis 4 à 5 roman par semaine, et en fait c’est génial de lire. Presque aussi bien que d’écrire.

8- Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Il y en a tant ! Echenoz, Bove, Forton, Céline, Fante, Bukowski, Eston Ellis, Selby…
Comme il n’y a que des garçons (presque tous morts), je citerai également Patti Smith, Virginie Depentes, Anne Bourrel et Julia Deck !

9- Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça ne m’est jamais arrivé, mais ça m’angoisse néanmoins… C’est l’envie qui me fait avancer, si je la perds, ça risque d’être difficile de continuer.
J’élèverai des chèvres, sinon… Je trouverai bien quelque chose à faire…
Bon, j’ai toujours 3 ou 4 projets sous le coude, donc normalement ce n’est pas pour tout de suite…

10- Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym'us ?
Après deux années très riches (promo de « Travailler tue », ateliers d’écriture, rédaction de mon 3ème roman…) j’avais envie de retrouver la jubilation de la création pure.

11- Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ? 
Le roman noir est probablement le meilleur vecteur pour appréhender le mal et ses racines, pour comprendre le monde et se purger de la violence.
En ces temps sombres, il est un outil précieux et indispensable.
Après, ce sont un peu toujours les même ficelles qui tirent les ventes du polar… L’immense majorité des auteurs vendent très peu de livres.

12- Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je viens de remettre à mon éditeur le manuscrit de mon troisième roman, les heures sont longues et mes ongles bien courts… J’en saurai plus sur mon avenir dans quelques jours.
Sinon j’attaque le prochain, un projet ambitieux, qui va m’occuper pendant au moins deux ans…


13- Le (s) mot(s) de la fin ?

Vive la littérature sans péridurale !

dimanche 24 septembre 2017

Nouvelle N°1 : Quand j'étais Jessica Jones

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Je me réveille, il fait nuit. Une lune édentée ricane entre les barreaux. Des portes claquent au bout du couloir. J’attrape l’iPod et j’envoie Metallica exterminer leurs sales bruits.

J’ai encore rêvé. Dès que je m’endors, la scène se reproduit à l’infini. Je me vois dans le miroir de ce faux Saloon, encore plus pâle que dans la vraie vie, mes longs cheveux noirs lâchés, le regard sombre, un rouge à lèvre trop rouge, trop épais, comme mis à l’arrache. J’ai toujours les mêmes fringues : un perf qui a vu toutes les guerres depuis Blitzkrieg Bop des Ramones, un jean, des bottes de motard. Mon armure trouée mais qui me protège un peu. Bobby règle un des projos, il me fait signe d’avancer. Il a de larges épaules, une tête ronde, un sourire gourmand. Il me regarde comme une friandise, me fait rouler un instant dans ses yeux et je sens le rouge à lèvres fondre à distance. Derrière lui Power Girl, Miss Hulk, Wonder Woman, Bat Girl et Super Jaimie attendent leur tour. Elles vont perdre et je vais gagner, comme à chaque fois. À part Cat Woman qui me fait un peu d’ombre, les autres ont du mal à tenir la distance. Derrière la caméra Norman se la joue. Super Nono, le producteur de cette belle émission, dans son costard sur mesure qui n’arrive pas à masquer son gros derrière et ses jambes trop courtes.

J’ouvre les yeux : retour brutal à la réalité. Un jogging gris informe pendouille sur une chaise en attendant mon réveil. L’ignorer… pour quelques heures. Si un jour je m’en sors, je ne mettrais plus jamais de survêtement. Au moins dans mes rêves, je retrouve mes fringues de Jessica Jones, celles qui ont fait de moi l’actrice la plus courtisée du PAF. Du moins, c’est ce que je croyais...

J’ai toujours rêvé d’être une actrice. Enfin non… ça a débuté un été pluvieux dans le Limousin quand j’avais une quinzaine d’années. Abandonnée chez ma grand-mère le temps des vacances, j’ai découvert un stock de vieilles cassettes vidéo dans l’ancienne chambre de mon père. C’est là, dans cette piaule à l’odeur de moisi que j’ai pris ma première claque : Mauvais sang. Plus rien d’autre n’avait d’importance. J’étais Alex, électrique, folle amoureuse, je courais à perdre haleine en gesticulant sur Modern Love et la caméra pouvait à peine me suivre. C’est dans cette vie-là que je voulais habiter. J’ai savouré chaque film. Je me repassais certaines scènes pour apprendre les dialogues par cœur ou juste pour le plaisir. Out of Africa, je crois que je l’ai vu dix fois. J’aurais voulu éjecter Meryl Streep et m’installer pour toujours avec Redford dans son petit avion. On aurait baisé là haut, intensément, en traçant des loopings parfaits dans les ciels africains.

À partir de là, j’ai tout donné pour réussir. J’ai décroché mon bac de justesse et j’ai tout de suite enchaîné les boulots pouraves : ménages à l’aube dans les bureaux de La Défense, serveuse dans des bars de nuit et dans des fast-foods, testeuse de produits, téléprospectrice pour vendre des assurances ou des crédits… Tout ça pour me présenter à des castings la journée et me payer des cours de comédie. J’avais une pêche d’enfer.

C’est à cette époque que j’ai rencontré Fred. Il était mon chef à l’agence de télémarketing. Il était cool par rapport aux autres chefaillons qui en avaient bavé pour devenir superviseurs et qui se vengeaient sur le petit personnel. Et puis il était joli, grand, mince, blond, aussi sexy que Brad Pitt. Je pouvais pas résister. On a eu Nils assez vite, c’était pas du tout programmé. On s’est mariés quelques années plus tard, comme des cons. On s’aimait pas assez mais on a cru que cette petite merveille de gosse nous souderait. Tu parles !

J’ai tenu des années, à courir après de grands rôles que je n’obtenais jamais. Mais je lâchais rien. Je faisais de la boxe française, je courais et je nageais dès que je pouvais. J’étais une bombe. Et puis… et puis les petits rôles encourageants, mais terriblement frustrants se sont enchaînés : la fille bien foutue, à peine floue, qui passe dans la rue derrière Sophie Marceau et Lambert Wilson, l’infirmière pressée qui donne un peu de réalité au décor d’hôpital… Je recevais aussi pas mal de propositions pour faire des pubs. J’ai même eu mon heure de gloire avec Findus, un spot où je donnais la réplique à Valérie Lemercier. J’étais toujours à deux doigts de réussir.

Avec Fred c’était l’enfer. Il me reprochait de ne pas raccrocher. D’après lui, j’aurais dû me résigner, faire une croix sur ce métier. Il me prédisait un avenir de rêve dans la téléprospection et il comptait bien me pistonner pour que je passe superviseuse de centre d'appels. Ça me permettrait d’avoir des horaires réguliers et de m’occuper enfin de ma famille. J’en bavais d’impatience.

On a divorcé et il a eu la garde de Nils. Ce qui était logique, c’est lui qui s’en occupait le mieux. J’ai fait passer ma carrière avant mon gosse. Je m’en veux pour ça et je m’en voudrais sans doute toute ma vie, mais ça faisait trop longtemps que je galérais pour décrocher un rôle intéressant. Je pouvais pas renoncer, pas encore…
C’est plus tard que j’ai commencé à picoler et à prendre des trucs. Quand j’ai senti au fond de moi-même que c’était cuit. Je continuais à faire du sport et à m’entretenir mais je craquais de plus en plus sur l’alcool et sur la coke. Je traînais avec Sofia et Marilyn, deux autres reines de la figuration. On se retrouvait de castings en castings et on allait ensuite noyer nos déceptions dans les bars où il était soi-disant bien de se montrer.
Je voyais souvent Nils, les mercredis, pendant les vacances scolaires et un week-end sur deux. On se marrait bien. Je lui ai offert une guitare électrique pour ses dix ans et un pote musicos venait lui donner des leçons. Je l’entendais massacrer I can’t get No en boucle et même si je me plaignais pour la forme, j’adorais ça. On allait souvent au ciné. Avec mon job je récupérais plein de places pour des avant-premières. Ça se passait plutôt bien entre nous mais son père n’appréciait pas trop « la vie de bohème » que je lui faisais mener. Pfffffff… La vie de bohème ! Même Aznavour devait plus parler comme ça…

J’ai postulé à Marvel Story grâce à une petite annonce affichée dans l’entrée du club de boxe. J’ai fait ça pour rigoler. Enfin je sais pas trop… je commençais déjà à pas mal dérailler à cette époque. J’ai été retenue et j’ai signé dès que j’ai su que j’aurai le rôle de Jessica Jones. J’étais sacrément fière de reprendre le personnage joué par Krysten Ritter. Au début, j’ai pensé qu’ils m’avaient choisie pour mon corps de rêve et ma condition physique. J’ai vite déchanté en découvrant le reste de la troupe, une bande d’actrices sur le retour mais suffisamment en forme pour rentrer dans les costumes et enchaîner les épreuves sans trop en baver.

On s’entraînait la semaine et l’émission avait lieu chaque samedi soir. Escalade, tir, courses de voiture, catch… Mon kif c’était les duels de grimpe. Je gagnais à chaque fois, même face à Spider Woman. Normal, j’avais passé des années à faire du sport et à me muscler. Même si l’alcool et la dope avaient commencé à faire des dégâts, j’avais encore de beaux restes.

Ce que je détestais, c’était le tournage de la vie quotidienne. On était obligé de s’y soumettre deux heures par jour. Le public voulait voir qui se cachait derrière les masques et les costumes des superhéroïnes. J’osais à peine imaginer comment Nils allait réagir en découvrant sa mère à la télé… Je savais à peu près ce qui était diffusé. On nous avait confisqué nos smartphones (difficile de refuser une fois le contrat signé) mais on nous passait les émissions chaque dimanche matin pour le traditionnel débriefing. Après on buvait un coup, on trinquait à nos exploits. C’était le meilleur moment, quand j’ai vraiment cru que ce jeu allait me propulser au sommet du box-office.

Aujourd’hui je ne grimpe plus. Le dernier duel m’a été fatal. Une prise qui a lâché alors qu’aucun assurage n’avait été mis en place. C’est vrai qu’on était des superhéroïnes, rien ne pouvait nous arriver… J’ai atterri cinq mètres plus bas et je me suis fracturé les talons et explosé le genou droit. Six semaines d’hosto et des mois de rééducation, pas de mutuelle, la boite de prod’ a fait faillite et Norman a disparu de la circulation. À part le misérable salaire qui nous était versé les premiers mois de l’émission, on a rien eu. Envolées les primes et les promesses.

Dès qu’on a pu sortir du bunker dans lequel on nous avait isolées, on a compris l’arnaque. L’émission qu’on nous diffusait le dimanche était largement bidonnée pour qu’on accepte de continuer. Marvel Story nous faisait tout simplement passer pour des putes. Le compte-rendu des épreuves sportives était réduit à son strict minimum alors que nos repas, nos moments de repos et nos interviews étaient filmés sous toutes les coutures. Tout avait été systématiquement coupé et remonté pour qu’aucune de nous n’échappe aux scénarios dégueulasses imaginés par Norman. Mais le pire a été d’apprendre que des caméras avaient été planquées un peu partout, surtout dans les chambres et les salles de bain. J’ai aussitôt compris pourquoi Bobby et les autres techniciens étaient aussi canon. C’était des acteurs payés par Norman pour jouer des scènes clandestines que ce porc diffusait et vendait sur Internet. Bon, ce qui me console un peu c’est que j’ai vraiment pris mon pied avec Bobby…

J’ai pratiquement tout perdu dans cette histoire. Nils ne veut plus me répondre au téléphone et je ne marcherai plus jamais comme avant. Boiteuse à vie. Pas facile de décrocher un rôle avec ça, et d’autant moins évident avec l’image que je traîne depuis Marvel Story… Au début j’ai fait quelques castings, sans conviction et puis j’ai laissé tomber. Je me suis concentrée sur ma survie. J’étais pratiquement seule au monde. Plus de parents. Un ex-mari et un gosse qui me détestaient. Des voisins hostiles qui m’avaient vu faire la pute dans ce jeu à la con… Il ne me restait plus qu’Augusto, un vieil ami d’enfance de ma mère. J’ai fait le compte de mes économies… trois mille euros à tout casser. C’est là que j’ai regretté d’avoir acheté un nouveau canapé, quand tout allait bien. Il ne faut jamais croire que tout va bien, jamais. Je l’ai revendu sur le Bon Coin avec tout ce qui avait un peu de valeur, une bague et une guitare de flamenco héritées de ma grand-mère, ma veste en cuir, mon percolateur chromé, ma Golf en assez bon état, ma super télé avec écran géant, ma collection de DVD Blue Ray, mon frigo, ma chaîne hi fi, mon Mac. Je savais qu’un jour ou l’autre je ne pourrais plus payer mon loyer et j’ai accepté l’offre d’Augusto. J’ai emménagé à Bagnolet dans la caravane garée au fond du minuscule jardin de son pavillon de banlieue.

Je croyais être tranquille pour un moment. Augusto était charmant. On se rendait des services. Je lui faisais ses courses, je l’aidais à faire son jardin, il me laissait utiliser sa baignoire et il me donnait des légumes… Il ne voulait absolument pas que je lui paye un loyer. C’était cool. Et puis il a senti une douleur dans l’estomac. Deux jours après il était hospitalisé d’urgence. Il est mort en trois semaines. J’ai même pas eu le temps de lui dire adieu. Cancer foudroyant. Le truc de fou !

Quand son fils est venu avec sa femme pour vider la maison, je me suis planquée. J’avais recouvert la caravane d’une vieille bâche et posé des outils de jardin tout autour mais ils savaient que j’étais là. Ils m’ont laissé un mot sur la porte : « Madame, vous avez un mois pour enlever vos affaires et déménager. Tout va être vendu. » Sympa le fils…


Je cherchais donc à me reloger quand je suis tombé sur ma superhéroïne préférée…

J’étais venu refaire mon stock de whisky chez ED et puis je me suis dit que ce serait bien de prendre quelques bricoles à grignoter. Depuis quelque temps, mes repas se résumaient à ça : des cacahuètes, des petites saucisses ou des olives en apéro dînatoires comme ils disent dans les réceptions chics. Bref, je choisissais mes olives marinées au piment quand j’ai entendu :
— Putain je rêve ou c’est Jessica Jones sans son perf ?
C’était Cat Woman, un peu moins vaillante. L’alcool avait gagné du terrain sur le blanc de ses yeux qui virait au rouge mais elle avait encore une sacrée allure.
Alors on a fêté nos retrouvailles bien sûr ! On a embarqué mon whisky et sa Tequila, mes olives et ses cacahuètes plus un paquet de chips, des citrons verts et du rhum et on a foncé chez elle. Elle avait un vrai chez elle et une voiture. La classe. Quand je lui ai raconté ce qui m’arrivait, elle a tout de suite proposé de m’héberger.
— J’ai un bureau dont j’ai rien à foutre. Tu me vois dans un bureau ? Elle a fait son rire rauque que j’aimais bien. On va t’installer là Jess !
Son appart était pas mal du tout, un trois-pièces dont elle avait hérité, Porte de Bagnolet. Elle m’a montré ma chambre et on s’est installées pour l’apéro. On a picolé, on a fumé, on a rigolé comme des malades. Ça me faisait tellement de bien de ne plus être seule ! J’étais en train de rouler un joint, la télé était allumée, on regardait The Voice en se foutant de la gueule des candidats.
— On se moque, j’ai dit, mais on devrait pas, après ce qu’on a fait dans Marvel…
— Tu m’étonnes !

De fil en aiguille on en est venu à parler de Norman.
— Je sais ou il habite… j’ai dit.
— C’est vrai ?!
— Ben ouais… tu te souviens de Bruce, le cadreur ?
— Très bien. Je me le suis tapé.
— Je l’ai croisé sur un casting. J’ai cru qu’il allait se défiler mais il est venu s’excuser. Il m’a dit qu’il regrettait, qu’il aurait dû nous prévenir qu’il y avait des caméras cachées et blablabla… Je l’ai envoyé paître en lui disant que c’était un peu tard pour regretter et que ça allait pas m’aider à retrouver Norman. Et là, il a regardé de tous les côtés et il m’a chuchoté un truc à l’oreille…
— L’adresse du gros ?!
— Ouais !
— Et t’as rien fait pour le choper ?!
— C’est arrivé en même temps que tous mes problèmes. J’attendais de me refaire, de trouver un avocat…
— Tu rigoles ou quoi ?! Un avocat ? Tu crois vraiment que ce pourri se laissera coincer par un avocat ? On va se le faire oui ! C’est quoi l’adresse ?

Je la connaissais par cœur ; j’avais même googlemapé sa rue. Il avait une chouette villa à Sceaux. Il s’emmerdait pas Nono !

Petit à petit l’idée s’est installée… on allait buter Norman. Sur le coup, ça nous paraissait évident. Cat m’a dit « Bouge pas, je vais te montrer un truc », elle a foncé dans son ex-bureau, elle a farfouillé un moment et elle est revenu en me braquant avec un flingue. Morte de rire.
— Confisqué à mon ex. Ça s’appelle un Glock.

J’ai arrêté de rire quand j’ai compris que c’était pas un jouet.

On a continué à boire et à fumer. Elle avait posé le revolver sur la table et j’ai pas pu m’empêcher de le manipuler. C’était lourd et excitant, ça donnait envie de l’essayer.
On s’est préparées, toutes joyeuses. À aucun moment j’ai réalisé que c’était mal, qu’on allait réellement tuer un homme, lui ôter la vie. Sans doute parce que j’étais avec Cat Woman, comme si le jeu continuait, et aussi parce que j’étais complètement torchée.
— Il nous faut des masques et des gants a dit Cat. Faut pas qu’on laisse de traces et je suis sûr que Norman a installé des caméras.
J’ai pensé aux bas qu’on pouvait s’enfiler sur la tête. On a fait ça et ça nous a fait pleurer de rire. Et puis on a dégotté des gants de vaisselle. Des roses pour moi et des jaunes pour Cat.
Dans la bagnole, on a mis la BO de Pulp Fiction à fond. Je sais plus pourquoi mais c’est moi qui conduisais et Cat tenait son flingue à bout de bras en faisant semblant de tirer sur tout ce qui bougeait. Elle se tortillait sur Misirlou en répétant Glock Glock, pas Glock.

On a trouvé facilement la villa de Norman, grâce au GPS. Sans cette voix nasillarde qui guidait deux filles complètement bourrées d’un bout à l’autre de Paris il aurait pu finir sa nuit sur ses deux oreilles… On a escaladé le portail et on est entré en ricanant par la porte-fenêtre du salon qu’il avait laissée entrouverte à cause de la chaleur. Vraiment pas de bol Norman !
C’est moi qui l’ai réveillé. Je me suis gaufrée en me prenant les pieds dans un pouf qui traînait devant sa télé. J’ai explosé de rire. Cat a mis sa main devant ma bouche mais on faisait un raffut terrible. Il est arrivé en pyjama, ce con, il a allumé le lampadaire et il a fait l’erreur d’avancer vers nous. On devait avoir l’air inoffensives tellement on se marrait. Cat planquait son flingue dans le dos. Quand le gros a essayé de m’attraper elle lui a mis une balle entre les deux yeux.

Le résultat nous a dessoûlées d’un coup. On avait du sang et des bouts de Norman plein les vêtements. J’ai vomi avec mon bas sur la tête. Ça nous a pas fait rire cette fois. Et puis on a entendu une voix d’homme qui criait « Les mains en l’air ! » J’ai arraché mon bas pour pas étouffer et j’ai revomi. La villa de Norman était surveillée à distance par une agence de sécurité. L’alarme a fonctionné mais lorsqu’un des gardes a regardé les moniteurs et nous a vues en train d’escalader son portail, c’était trop tard. Le temps qu’ils arrivent, le gros était rétamé.
Les vigiles nous ont menottées et ils ont appelé les flics. Ils nous ont fait attendre dehors tellement on puait. Avant de partir au poste, j’ai aperçu une jolie fille en peignoir qui m’a fait un clin d’œil. C’était sa femme, une Ukrainienne que ce brave Norman avait gagnée au poker. On a appris plus tard qu’elle était restée cachée sous le lit quand elle a entendu le coup de feu.
Cinq et quinze ans de prison, c’est ce qu’on a pris. Il paraît qu’on s’en est bien tirées. On avait rassemblé toutes nos économies pour se payer un bon avocat qui nous a conseillé de plaider le coup de folie. Ça se défendait, surtout quand le jury a vu la vidéo de sécurité prise chez Norman. On y voyait deux dingues en train de tituber avec des bas sur le visage et en pleine crise de rires. Notre avocat a bien mis l’accent sur le fait que monsieur Norman Bavay – même son nom était ridicule — avait ruiné nos carrières. J’ai beaucoup aimé son speech à ce moment-là. Il a énuméré les préjudices et terminé en beauté en décrivant les films pornos tournés à notre insu et diffusés sur le web.
Le témoignage d’Alyosha, la veuve de Norman, a aussi joué en notre faveur. Elle a raconté la maltraitance, les putes qu’il ramenait à la maison, les partouzes auxquelles elle était forcée de participer… C’est tout juste si elle ne nous a pas remerciées de l’avoir débarrassée de ce connard.


Je tire mes cinq ans au Centre pénitentiaire de Rennes. J’apprends l’anglais, je fais un peu de sport et je bosse tous les jours dans un atelier de couture. Je gagne une misère mais ça m’occupe. Et puis, quand j’ai deux minutes j’écris un scénario dans ma tête. C’est mon secret pour tenir. Si Cat était là, je lui en parlerais mais je ne sais même pas où elle a été écrouée. Dès que je serai libérée je partirai à sa recherche.
Fred a été correct, comme toujours, il m’a pas laissée tomber après ma condamnation. Il a demandé un droit de visite et il vient me voir tous les mois. Je sais qu’il fait ça pour Nils, même s’il m’a fait comprendre qu’il faudrait du temps pour que le gosse me pardonne, qu’il fallait patienter… C’est ce que je fais. Je passe ma vie à patienter, à penser à mon Nils et à ses solos de guitare foireux.

Dehors, la lune a disparu. Il n’est que quatre heures mais je sais que je n’arriverai plus à me rendormir. Je balance Rebel Rebel, je monte le son. Dans ses habits de lumière Bowie sautille autour du lit. Il entame un strip-tease de folie et vient se frotter contre moi… Hot tramp, I love you so !

vendredi 22 septembre 2017

Ouverture du Trophée, I. Manook et E.Maravelias en interview sur la terrasse


















1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?

E.M : L’histoire est connue. Je l’ai envoyé par la poste à Rivages et Gallimard. La Série Noire a répondu quinze jours plus tard. Alors que pour Manook… bref. Cependant, avant cela, je l’avais envoyé à une vingtaine d’éditeurs. Ignare en ces domaines, un éditeur étant un éditeur, pour moi, tous pareils, je n’ai pas fait attention au fait que beaucoup étaient spécialisés. Histoire, sciences, les étrangers uniquement… bref. Vingt refus évidemment justifiés.

I.M : J’ai envoyé le manuscrit de Yeruldelgger par la poste à Gallimard et je l’ai fait déposer chez Albin Michel. Gallimard l’a refusé en considérant qu’il ne rentrait pas du tout dans sa ligne éditoriale, et Albin Michel l’a accepté avec enthousiasme. Quand on pense que Maravelias a été accepté par Gallimard !

2. Écrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
I.M : Ma première exigence est égoïste puisqu’elle est de me faire plaisir. La seconde est généreuse parce qu’elle cherche à offrir au lecteur une belle histoire. C’est dans ce sens que je dis en conférence qu’un auteur doit être un égoïste généreux. Les autres exigences relèvent de l’écriture, et là c’est un autre domaine où j’ai beaucoup appris en travaillant à l’édition de la trilogie mongole. Notamment en réussissant à perdre une certaine vanité d’auteur au profit d’un vrai travail basé sur les retours de lecture. Avec pour ultime exigence, celle de trouver le juste équilibre entre ce que j’accepte de retravailler et ce que je considère comme définitif. Ce que je note dans la marge des copies de relectures comme des « coquetteries d’auteur ». Un peu comme Maravelias, lui aussi assez coquet dans son genre.

E.M : La question est vaste. Personnellement, je m’attache presque exclusivement au style. La forme, pour moi, compte plus que l’intrigue ou l’histoire. J’attache une grande importance aux dialogues, qui, bien souvent, ne sonnent pas juste. Ça nécessite d’habiter totalement ses personnages et d’être capable de s’immerger absolument dans la scène. De la même manière qu’est censé le faire un comédien. Le vécu compte aussi énormément. Incarner un chef d’entreprise, un multi millionnaire, un Mongol, ne s’invente pas, par exemple. Manook peut faire ça très bien. Idem pour faire vivre un jeune délinquant de banlieue, un braqueur, un proxénète, un politique… Pour que les mots sonnent vrais, il est préférable d’avoir vécu ces situations, d’avoir été immergé un certain temps dans ces univers. En tout cas en ce qui me concerne, puisque je m’attache essentiellement aux personnages et à leur psychologie. Sinon, soit on caricature, on « clichète », parfois à outrance, on s’arrange pour rester vague, ou on se documente le mieux possible… mais ça ne remplace pas la réalité. Je pense que pour bien « être », il faut, non seulement avoir été, mais en plus, avoir pu en retirer l’essence, la moelle. Après, si on parle de thriller, de page turner, de romans où l’action prime, cela devient moins primordial, car le viseur est centré ailleurs.


3. Écrire… Avec ou sans péridurale ?
E.M : C’est écrire, la péridurale. Pour éviter le péril du râle - une vanne que m'a soufflé Manook, toujours vif d'esprit pour la déconnade. Pour accoucher de sa vie, assumer son destin, supporter ce monde où l’on croit représenter quelque chose ou être quelqu’un, laisser une trace, pauvre marque de craie vite balayée par la houle. Pour exister un peu, servir, être aimé, admiré, envié, honni, pour expulser ce trop plein qui déborde parfois depuis le berceau, témoigner, vomir, mettre ses tripes sur la table sans défaillir, rougir, devenir blême…

I.M : Surtout sans aucune anesthésie. Que l’on soit un auteur zen pour qui écrire est un plaisir, ou un auteur qui enfante dans la douleur, l’anesthésie serait une erreur. Plaisir ou souffrance, il faut assumer. Un petit verre de quelque chose ou une cigarette parfumée à la rigueur, et encore ! De toute façon le problème ne se pose pas pour moi : j’aime écrire « au naturel » et pour rien au monde je n’altérerais cette sensation de plaisir, comme me l’a si bien appris Maravalias…

4. Écrire… Des rituels, des petites manies ?
I.M : Pas vraiment. Il faut que je sois content de ma première phrase, et ensuite j’attaque chaque roman sans plan, sans documentation préalable autre que mes souvenirs, et en déroulant l’histoire d’un seul jet sans jamais revenir en arrière. Je parsème juste mon texte de mots en rouge qui peuvent signifier différentes choses : un style ou un mot dont j’ai senti à l’écriture que je pourrais l’améliorer à la relecture ; un nom, un chiffre, un lieu cité de mémoire et sur lequel j’ai besoin d’une petite vérification ; ou une digression qui me plaît et que je garde, mais qui exige pour que le lecteur ne se perde pas que je remonte planter quelques jalons plus en amont dans le texte. Sinon j’écris sans horaire fixe, un peu n’importe où, avec une préférence pour les ambiances bruyantes et animées. Quelques fois même je mets en fond sonore des vidéos de Maravelias à la guitare. Pour le bruit surtout.

E.M : Oui. Enregistrer des dizaines de fichiers et perdre le bon. Dans ce cas là, j'appelle Manook, qui conserve précieusement chacune de mes œuvres.

5. Écrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plaît dans chacune d’elles ?
I.M : Pour l’instant j’ai besoin d’espace dans mes romans. Entre 400 et 500 pages, c’est la bonne longueur pour développer mes personnages et mes intrigues. Pour les nouvelles, je me recentre surtout sur les dialogues. Quatre des six nouvelles que j’ai écrites sont d’ailleurs exclusivement constituées de dialogues. C’est une technique que j’aime beaucoup et qui se rapproche du théâtre, exercice auquel j’aimerais bien me frotter un jour, surtout depuis que j’ai vu Maravelias déclamer son Ulysse des quartiers

E.M : Pour la nouvelle, c’est un paradoxe. J’aime énormément en écrire, mais j’ai du mal à en lire. Il n’y a que celles du Trophée que je lis avec plaisir, mais pour des raisons qui tiennent au jeu, au fait que je connais la majorité des auteurs. Ensuite, à moins d’avoir une plume exceptionnelle, comme Manook, de savoir instaurer une ambiance ou un bout d’univers rapidement, il faut une chute qui claque, surprenne, désarçonne. Ce n’est pas évident. La nouvelle, c’est le coup de foudre. Comme pour Manook et moi.
Pour le roman, c’est une autre paire de manche. C’est l’écoulement du temps, l’intimité, l’habitude, presque, un fil qui se tend et qu’on garni de perles jusqu’à en faire un superbe collier, ce sont les marées, le flux et le reflux, de nombreux vas-et-viens, une croisière au long cours. Le roman, c’est la longue histoire d’amour. L’amitié. Oui, oui, avec Manook, on construit un roman à partir d'une nouvelle. C'est beau.
Aujourd’hui, ma préférence va vers la novella. Entre quatre-vingt et cent-vingt pages. On en est là, avec Manook. Un coup de foudre qui dure un peu plus longtemps, en quelque sorte.
Je citerais Dominique Delahaye, avec « A fond de cale », par exemple, ou Dominique Forma avec « Albuquerque ». Il y en a bien d’autres, mais j’ai lu récemment ces deux-là, dont la forme et le fond m’ont plus. La Manufacture de Livres a une collection dédiée à ce format que négligent de nombreux éditeurs.

6. Votre premier lecteur ?
I.M : C’est moi. Ça semble une évidence, mais ça ne l’est pas toujours. Il faut savoir s’extraire de son état d’auteur pour lire ce qu’on a écrit avec un œil de lecteur. Les points de vue sont assez différents. Françoise lit bien entendu tout ce que j’écris à un moment où à un autre, quand elle le décide. Ensuite la trilogie mongole a été lue par deux amis plus une personne de chez Albin Michel et une libraire. Mais dorénavant, mon lecteur préféré, celui dont la gouaille sait élaguer, à la lecture, mes envolées trop lyriques, c’est Maravelias.

E.M : Mon premier lecteur, c’est moi. Avant tout. Puis vient Anne, ma compagne, qui me dit sans cesse :
– Oui, mais là, on comprend pas !
Et à laquelle je réponds presque toujours :
– Non, mais c’est après, qu’on comprend.
Il y a Ian Manook, grâce à qui je réalise peu à peu ce qu’est l’écriture, toujours partant pour lire ma prose et me faire ses remarques, m’éclairer sur ceci ou cela. En général, il ne tarit pas d'éloges. La dernière fois, il m'a dit : « Fils, t'es un artiste, un génie ! » Ça m'a touché, c'est clair.
Puis viennent quelques personnes choisies, copains, lecteurs lambda, souvent, d’autres auteurs, blogueurs…

7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
E.M : Bah ! Peut on comprendre la société et le monde sans connaître l’Histoire et ceux qui l’on faite ? Certainement non. Nous sommes le résultat de tant d’influences. Ne dit-on pas que tel ou tel artiste nous inspire ? D’ailleurs, dans l’absolu, peut-on écrire sans avoir jamais su lire ? La réponse est là.
Il faut lire, et bien lire. Augmenter son vocabulaire par la même occasion, ce n’est pas du luxe, bien entendre le son complexe et varié des grands noms de la littérature, passés ou contemporains, même si, pour ma part, excepté pour Manook, cela va sans dire, je ne trouve véritablement mon plaisir et mon inspiration que dans certains auteurs des siècles passés sous la plume desquels la langue est mise en avant et où le fond se révèle souvent si profond. Tous ces écrivains possédaient une réelle culture, il connaissaient l’Histoire - même si beaucoup furent plus que partiaux - la société, ses travers ou ses progrès, ils en parlaient encore plus ou moins librement. Autant de choses qui influent sur l’écriture. Oui, il faut lire. Mais pas n’importe quoi, non plus.

I.M : Je lis très peu quand j’écris, et depuis trois ans j’écris beaucoup. J’ai trop peur de tomber sur des histoires ou des styles magnifiques. Être envieux d’une idée, jaloux d’une expression. Alors je ne prends pas risque et durant toutes ces années, je n’ai lu et relu qu’un livre pour donner une perspective à mon écriture, un point de fuite à mon idéal, et c’est encore et encore la Faux Soyeuse de Maravelias.

8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
E.M : Ma muse n’est pas de ce monde, mais son Esprit m’inspire à chaque seconde, comme elle en a inspiré d’autres, en d’autres temps.
Sinon, pour être plus terre à terre, nombreux sont les auteurs qui m’ont inspiré sans que j’en ai conscience. Je crois que Manook, avant même de le connaître, m'inspirait déjà. Son aura, un je ne sais quoi dans l'air… bref. Je m’en suis imbibé. Tous les citer serait trop long. Tous avaient quelque chose qui leur appartenait. Disons, et je me répète, qu’au moment où j’ai décidé d’écrire mon récit, l’histoire de ma vie, j’étais sous l’influence d’Edward Bunker, de James Lee Burke et de James Ellroy. J’achetais tous leurs livres que je dévorais aussitôt. Autant dire que pour Bunker, ça allait, ça ne pétait pas le budget, autant pour les autres… alors j’allais les choper d’occasion chez Gibert, Boulevard St Michel.

I.M : Zweig, Malaparte, Buzzati, Salinger, Buarque, Borges, Amado, Garcia Marquez, Maravelias…

9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé !
Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
E.M : Quatre questions en une ? Je ne pense pas au fait qu’il soit possible, un jour, que je n’ai plus envie d’écrire, mais plutôt au fait qu’on ne me publie plus. Que je disparaisse des radars. Que cette illusion se dissipe. Je travaille dans ce sens. J’organise ma vie dans cet objectif. Me centrer et me concentrer sur l’essentiel. Une vie saine, des plaisirs simples, les parents sur lesquels il faut veiller, notre propre subsistance, notre toit, une poignée d’amis, et le lever du soleil, les cycles de la lune, l’éternel retour des saisons, l’âge qui avance, la sagesse, si loin…
De fait, peu m’importe que j’ai envie ou non d’écrire, j’ai envie de tellement d’autres chose, et peu importe si on me publie ou pas, car je me rends trop compte que tout ceci n’est rien, vents et chimères. Ça flatte mon ego, surtout. Je passe mon temps à jongler entre mon refus de tous ces artifices, et le moyen d’en tirer le meilleur sans tomber dans le piège. C’est un exercice difficile et périlleux, mais qui satisfait mon tempérament d’ascète. Dans cet esprit, de renoncement et d'humilité, Ian Manook est une source d'inspiration indéniable.

I.M : Ça ne m’est encore jamais arrivé. Je n’ai aucune peur de la page blanche. J’ai même encore un peu tendance à écrire trop, mener deux ou trois manuscrits en même temps, sauter d’une idée à l’autre. Et si ça m’arrivait un jour, je commencerais aussitôt un nouveau roman sur le désespoir d’un écrivain dont l’inspiration s’est tarie. Mais quand cette improbable éventualité frôle mon esprit, je m’y prépare en échangeant avec Maravelias.

10. Pourquoi avoir créé le Trophée Anonym'us ? Pourquoi l’avoir créé ? 
E.M : Pour le fun, rien de plus au départ.
Ensuite, parce que j’aimais écrire des nouvelles, que je côtoyais beaucoup d’auteurs reconnus sur les salons et des non édités à côté. Aussi à cause des prix littéraires truqués, biaisés, affaire d’influences, d’accointances, de convenances, de mode … bref, tout sauf l’essentiel. Non pas seulement en ce qui concerne les gagnants, mais aussi par rapport aux sélections.
L’anonymat et le mélange entre édités et non édités me semblait une bonne idée non exploitée, également. Une prise de risque pour les confirmés, et un beau challenge pour les petits poucets. Dans ce sens, j'ai sollicité Ian Manook. Pour qu'il se prenne une gamelle et cesse de me faire de l'ombre.
C'est une manière de montrer aussi qu’il existe de belles plumes ignorées des éditeurs. Ce que tout le monde sait, certes. Dans ce sens, le Trophée et son aura auront permis à une demi douzaine d’auteurs de trouver un éditeur. Inutile de dire que cela nous réjouit. Et puis j’aime monter des projets, tisser des liens, communiquer. Et, par-dessus tout, j’aime créer. Une belle sculpture comme un ravissant jardin, un morceau de guitare comme un texte, un poème, que ce soit beau, harmonieux. Trouver le bon ton, la bonne note, le bon geste, la juste attitude. Oui… je m’égare. Disons que ces choses sont à la base de tout ce que j’entreprends. Du Trophée comme du reste.

10. Pourquoi avoir accepté d'être parrain pour ce trophée ?
I.M : J’ai une telle admiration pour Maravelias, son style, son écriture, sa philosophie de la vie. J’aime sa poésie lugubre et désespérée. J’envie ses Adidas de bogoss. Je jalouse son profil de rapace, sa gouaille du neuf deux et sa démarche à la Popeye. Même si je n’avais pas été obligé d’accepter ce parrainage en échange de l’effacement d’une dette de 112,85 euro que je lui devais sur deux barrettes, j’aurais craqué pour ce poste…non, je déconne, en fait, j’ai cru accepter le parrainage des lanceurs d’alertes masqués vengeurs du monde, les Anonymous. J’aurais dû faire attention à l’apostrophe. Je me suis laissé enfumer comme un baltringue par une tête de métèque en survêt. J’aurais dû me méfier. Quand je lui ai parlé oseille, il m’a dit t’auras des nouvelles pas courriel. Depuis j’en reçois une vingtaine par an. Que de la prose, pas de la maille !


11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ?

E.M : C’est l’organisateur du Trophée, qui a pondu ça ? On dirait une tirade de Manook. Franchement, je ne suis ni sociologue, ni psychologue. Nous sommes des voyeurs, d’éternels enfants, cruels et égoïstes, qui aimons nous faire peur, sans doute, blasés, aussi, habitués, rompus à la violence virtuelle que dégueulent tous nos écrans. Pourtant, ailleurs, pour les autres, cette violence est bien réelle, et jamais la fiction ne dépassera la réalité. Peut-être qu’on en veut toujours plus, de surenchères en surenchères, jusqu’au drame.
Prenez Manook, au hasard : Un prix, deux prix, trois prix, 15 prix… ça ne peut que mal finir. Trop, c'est trop, voilà tout.

I.M : Notre monde est maso. Plus notre quotidien est noir, plus le roman noir doit être plus noir pour dépasser la réalité. Donc pour les auteurs, « tant que c’est noir, il y a de l’espoir » comme dit Maravelias.


12. Vos projets, votre actualité littéraire ?

E.M : Mon actualité littéraire n’a pour le moment rien d’officiel. J’ai bon espoir que mon prochain livre voie le jour en 2018, mais rien n’étant signé, il n’y a rien à en dire, sinon que ce sera une fiction, très éloigné de La Faux Soyeuse, dans un Paris et sa banlieue au bord de la rupture. Avec de nombreux personnages que j’espère forts, car ils portent toute l’histoire sur leurs épaules.
Ian Manook ayant lourdement insisté, je pense que je l'autoriserai à en rédiger la préface. Ça lui filera un coup de pouce.

I.M : Le 4 octobre sort Mato Grosso, un roman complètement différent de la trilogie mongole. Une sorte de huis-clos, mais au cœur du Pantanal brésilien qui devient le plus grand marécage du monde à la saison des pluies. C’est à la fois une histoire de vengeance, une réflexion sur l’écriture, et un cri d’amour pour cette région où j’ai passé plus d’un an dans ma jeunesse. J’espère que mes lecteurs me suivront. Il y a deux façons d’aimer lire : aimer les livres pour l’objet qu’ils représentent et l’histoire qu’ils racontent, ou aimer les auteurs et les suivre dans leurs expériences, leurs engagements, leurs chemins de traverse, leurs contre-pieds. C’est ce que Mato Grosso va tester après le succès de la trilogie mongole. Mais bien entendu, mon actualité la plus sensible, c’est l’attente du prochain Maravelias.

13. Le (s) mot(s) de la fin ?

E.M : Abyssus abyssum invocat.
Patriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiick…


I.M : Maravelias


Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse

samedi 9 septembre 2017

Le Trophée, c'est quoi ? Une video pour tout comprendre par Nicolas Duplessier


Vous préférez lire les nouvelles que les trois pages relatives à la façon dont fonctionne 
ce trophée atypique ?

Nicolas Duplessier nous a offert une petite vidéo explicative et ludique. 


Alors, ne boudez pas votre plaisir et cliquez sur la vidéo qui vous dit tout sur le Trophée !