dimanche 25 février 2018

Nouvelle 21 : Article 222-13






Prologue

Article 222-13


Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises :
[…]
4° ter Sur le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe ou sur toute autre personne vivant habituellement au domicile des personnes mentionnées aux 4° et 4° bis, en raison des fonctions exercées par ces dernières ;
[…]
6° Par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ;

*****

     Quand la barrière métallique s’est refermée dans son dos, il a serré les dents et s’est dirigé vers l’accueil de la gendarmerie. Il a adressé un hochement de menton au planton, a présenté sa convocation et a pris, comme on le lui a ordonné, place dans la salle d’attente. Depuis, il s’est muré dans le silence.
     
Son visage est fermé, sa silhouette massive et sombre. Il est vêtu de noir, engoncé dans une veste de cuir qui accentue son aspect monolithique. Il est doté d’une certaine carrure, qui le situe de facto dans la caste des « costauds » – certains diront « épais », d’autres juste « gros » ou « obèse ». La vérité n’est guère loin : il déplace une masse de plus de 100 kilos, entassés sur un mètre quatre-vingt. Visage jeune encore, quoiqu’empâté, juché au sommet d’une morphologie de boxeur à la retraite. De ceux qui, une fois remisés les gants, ont pris plus de poids que de raisonnable.
Il s’est présenté à la convocation l’œil terne.
Affectant de ne pas comprendre pourquoi il est là – mais tous ceux qui sont dans son cas adoptent la même ligne de défense.

 L’officier qui vient le chercher après un long moment d’attente est un grand type athlétique, à la démarche roide. Il conduit la brute à travers les couloirs du bâtiment, jusqu’à une salle étriquée, aux murs aussi las que ses occupants. On les a recouverts d’affichage de service, sans doute pour masquer les peintures pâlies.
L’homme s’est laissé tomber sur la chaise qu’on lui a désignée.
Dans un angle de la pièce, retranchée derrière un bureau minimaliste et un ordinateur ronronnant, une jeune gendarme rive sur la nuque du nouveau venu des yeux encolérés. Elle a lu la plainte, elle sait à qui elle a affaire.
Alors commence la procédure.
Nom, âge, qualité.
Puis vient la litanie des questions.
La brute répond avec calme, sans trop chercher ses mots.
Déstabilisant pour la jeune gendarme qui a jeté un œil à son C.V. du convoqué. Pas de précédent judiciaire – ce qui ne veut rien dire, il a pu faire l’objet d’autres affaires, effacées depuis, car ça n’est plus un gamin. C’est officiellement la première fois qu’il est convoqué, ce qui ne signifie nullement qu’il en est à son coup d’essai.
« Coup d’essai »… Tandis que les mots lui traversent l’esprit, elle devine que ses mâchoires se verrouillent et ne peut contenir un nouveau flot de haine, qui fait naître un flot acide dans sa gorge.
Tassée sur sa chaise inconfortable, la brute répond aux questions que lui pose l’officier.
L’homme en noir n’a pas sourcillé à la lecture des charges d’accusation : « coups et blessures, exercés par conjoint ou ex-conjoint, n’ayant pas entraîné d’ITT ».
La victime ? C’est son ex-épouse – ils étaient à l’époque en instance de divorce – qui a porté plainte.
Elle est beaucoup plus jeune.
Et si fragile, comparée à lui.
Elle a « décidé de dire les choses, de les raconter à tout le monde », pour qu’on sache qui est ce barbare, cette monstruosité ambulante à qui elle a fait un enfant, quelques années auparavant. Elle ne s’en est guère privée, depuis : beaucoup de gens parlent des faits qu’elle a décrits, ils commentent, ils critiquent. La plupart ont d’ailleurs choisi son camp, sans qu’on ait eu besoin de le demander. Certains se sont franchement détournés de lui, d’autres ont préféré prendre leurs distances.
Et l’on ne peut que s’en féliciter.

Les questions s’enchaînent.
En professionnel aguerri, le militaire alterne les interrogations d’ordre général avec des demandes plus précises. Il attend le moment où le boxeur va baisser la garde. Il faudra du temps, mais ce moment arrivera tôt ou tard : elles finissent toutes par craquer, ces ordures qui ont la main lourde sur les femmes. Les sentiments d’impunité et de légitimité sont si forts qu’ils se pensent à l’abri, intouchables. Mais sitôt franchie l’enceinte de la gendarmerie, dans l’intimité étouffante d’un bureau, les choses évoluent.
Les brutes perdent pied.
Elles se laissent aller à quelques confidences.
C’est là que l’enquêteur les saisit, pour ne plus les lâcher.
La jeune gendarme a confiance, son collègue connaît son boulot, il a étudié le dossier. Elle s’en remémore les points essentiels : la brute et son ex-femme travaillent tous les deux dans la même branche. Elle y est influente, et les résultats sont là : les portes se sont refermées devant lui.

À mesure que l’entretien se prolonge, l’atmosphère se plombe.
Le rythme s’est accéléré. À présent, les questions fusent.
Les réponses ne se font pas attendre.
Précises, souvent, hésitantes, parfois, parce que les faits sont anciens (la Justice met parfois longtemps, très longtemps pour se réveiller et les faits remontent à presque trois ans).
Le gendarme prend note. Ses doigts s’agitent sur le clavier de son ordinateur. Il écoute, il jauge, il étudie. Plusieurs fois, sans avoir l’air d’y prêter attention, il revient sur certains points.
Il précise, écoute à nouveau, corrige ses notes.
Il veut être certain de ne pas passer à côté d’un détail.
Devant lui, l’ex-mari répète, inlassablement.
— Non, je ne l’ai pas frappée.
— Non, je ne l’ai pas secouée.
— Non, je ne l’ai pas menacée, c’est elle qui s’est mise à hurler, à faire un scandale, sous les yeux de notre fils. Elle a secoué le petit sur le trottoir, elle hurlait. Elle l’a traîné jusqu’à la voiture, elle l’a jeté à l’intérieur comme un sac. Lui, il suppliait pour qu’elle le libère, il voulait me rejoindre, c’était notre week-end on allait passer du temps ensemble…
Visage lisse, le gendarme accuse réception d’un bref hochement de tête. Il note certains points, en ignore d’autres. Il trie les informations, sans se laisser influencer par les réponses et les descriptions.
On n’est pas là pour parler de l’enfant.
On examine le cas de son père.
Le gendarme relit, il écrit. Il corrige. Il pioche à l’occasion dans un dossier, jette un œil à une feuille, compare les différents points de la plainte.
Soudain, il plonge les yeux dans ceux de la pâle ordure.
— Diriez-vous que vous êtes violent ?
La question est jetée au milieu des autres, sans emphase, comme un détail.
— Non.
L’homme a répondu d’instinct. Il baisse la tête, réfléchit un instant, se mord les lèvres et corrige :
— Ou plutôt, oui, fait-il en relevant la tête. Ça m’arrive.
Le gendarme s’est redressé légèrement. Il écoute avec une acuité décuplée.
On y est, cette fois.
— J’ai fait un peu de boxe, il y a longtemps, poursuit le prévenu. Et du rugby, aussi. Beaucoup de rugby, oui.
Le militaire retient son souffle. À l’évidence, l’homme qu’il est en train d’auditionner n’a pas un physique de danseur étoile. Tous ces mecs fonctionnent de la même façon : quand ils évoquent un passé révolu, ils se laissent aller à des confidences.
C’est là qu’on peut les cueillir.
— Ce sont des sports violents, reconnaît la brute, mais ils se pratiquent entre grands garçons consentants. À armes égales et avec des règles strictes. Si je suis violent, je veux dire « si ça m’arrive », c’est dans ce cadre-là, et seulement dans celui-là.
Il hésite un moment, soutient le regard de l’enquêteur et conclut, presque à regret :
— Et puis si on m’agresse physiquement. Ça m’est arrivé une ou deux fois dans ma vie. Je me défends.
Il s’interrompt, s’offre à l’examen du représentant de l’Ordre et s’autorise une question en retour :
— Vous m’imaginez en train de cogner sur quelqu’un, là, dans la rue ?
— Ça n’est pas mon travail.
— C’est juste une supposition, insiste l’autre. Vous êtes là, sur le trottoir et vous me voyez cogner sur quelqu’un. À votre avis ? Il y aura bien des traces. Visibles. Durables. Non ?
Le gendarme acquiesce en silence. Pas besoin de faire montre d’une très grande imagination. Ce type doit posséder une force de frappe conséquente, on le croit sur parole. Une simple claque laissera des traces.
Un coup de poing, n’en parlons pas.
— Maintenant, insiste l’homme, imaginez que je frappe une femme, sous les yeux de mon fils…
Il a grimacé en prononçant ces mots.
Les souvenirs, probablement.
Le gendarme plisse les paupières, il n’a pas pu s’en empêcher.
Est-ce que le gars serait en train de passer aux aveux ?
— Vous imaginez mes poings frappant une femme, devant vous ? Les coups, les traces ?
Le gendarme ne répond pas. Interdit, il étudie son vis-à-vis, qui conclut :
— La question, la seule question que je voudrais vous poser, c’est : après ce que vous venez d’imaginer, après les images effroyables que vous venez de visualiser… Est-ce que vous me laisseriez repartir avec un gamin de huit ans à la main, ou est-ce que vous interviendriez ?
— Mais enfin ! s’insurge le gendarme. C’est évident que je…
— Parce qu’il y avait un témoin, coupe l’homme. Un policier, je crois. On doit pouvoir retrouver sa trace, non ? Ou alors, elle n’a rien dit et ne l’a pas mentionné en déposant sa plainte.
— Si. Votre ex-épouse a cité ce témoin.
— Et on n’a pas son témoignage ? Personne n’a cherché à le contacter ?
— Calmez-vous. Nous faisons notre travail.
— Que je me calme ? Vous savez de quoi vous m’accusez ?
— Je le sais PARFAITEMENT.
La voix du gendarme a claqué dans le petit bureau.
Parfois, quand il est confronté à des salopards qui tabassent leur compagne, il a du mal à se contrôler.
Il s’oblige à recouvrer son calme.
— Ne vous en faites pas pour la déposition du témoin, élude-t-il dans l’espoir que l’homme s’apaise, elle viendra en temps et en heure. Reprenons. Et ne me coupez plus la parole. Ce n’est pas à moi de tirer les conclusions. Le Procureur de la République s’en chargera.
L’homme ne désarme pas.
— Ce témoin, insiste-t-il, c’était un officier de police judiciaire, si ma mémoire est bonne. Il a calmé tout le monde en présentant sa carte. Il m’a même demandé de produire l’Ordonnance de Non Conciliation pour vérifier que j’avais bien le droit de prendre mon fils ce jour-là.
— C’était un gendarme, corrige l’enquêteur, pas un policier. Un lieutenant de gendarmerie, venu effectuer un stage en banlieue. Il venait chercher un collègue au train, c’est la raison pour laquelle il se trouvait sur les lieux.
— Il était là ! s’emporte la brute. À deux mètres ! Il a tout vu, bordel ! Pourquoi vous ne l’interrogez pas ?
— C’est en cours, tranche l’officier. Nous étudierons sa déposition quand vous aurez été entendu. C’est la procédure.
— Et là, en attendant, vous me traitez en coupable, c’est ça ?
Le gendarme s’est raidi. Il a failli renvoyer une réplique cinglante, parce que le gros, devant lui, a échoué au casting de victime. À l’évidence, il est plus souvent dans les marteaux que dans les clous.
— Pour tout vous dire, élude l’enquêteur, nous l’avons contacté. Il se souvient parfaitement des faits et il a tenu à nous envoyer sa déposition par fax pour gagner du temps et que cette histoire soit réglée au plus vite. Je devrais la recevoir dans la journée.
Il se penche vers l’homme en noir et ajoute :
— On comparera vos deux versions et on tirera les conclusions qui s’imposent. Alors je vous conseille de faire preuve d’honnêteté, maintenant.
La mise en garde est évidente, les épaules de la brute s’affaissent.

L’officier a joué son va-tout. Il sait avoir gagné la partie : l’homme a joint les mains, coudes en appui sur les genoux. Il reprend la description des faits, le lent déroulement de ces moments qu’il aimerait oublier un jour.
Il raconte d’une voix sourde les types de la SNCF, alertés par les cris de son ex-femme hurlant sur le trottoir, qui l’encerclent et se tiennent prêts à prêter main-forte à la malheureuse épouse. Son fils, pleurant dans la voiture où sa mère l’a enfermé, son fils qui supplie qu’on le laisse sortir. Ce vieux, jailli d’on ne sait où, qui l’accuse d’avoir « frappé cette pauvre femme » et qui beugle « appelez la police, il faut l’enfermer ! ». Ses tempes qui bourdonnent, les images qui tournoient, le décor qui valse, tous les bruits qui l’assourdissent, l’envie furtive de tout casser, de tout envoyer promener, de prendre son môme dans les bras et de s’éloigner en les laissant tous se démerder… et soudain ce jeune homme à l’allure sportive et aux cheveux courts, blouson de cuir sur le dos et casque de moto à la main, qui arrive en brandissant une carte barrée de bleu, blanc, rouge, et qui fait taire tout le monde en aboyant « elle est là, la police, alors on se calme ! »
Le gendarme écoute.
Encore raté.
Pas grave, on a tout le temps.
Les questions reviennent, les réponses aussi.
Une heure passe. Puis une autre.
L’homme demande à fumer une cigarette. Permission accordée, le gendarme sort avec lui, il en grille une également.
Ils échangent quelques mots, abordent d’autres sujets.
Derrière la vitre, la gendarme épie les réactions de l’homme en noir.
Il est inquiet. Il a compris que le piège s’est refermé.
Il n’est plus le même depuis un moment. Il n’a plus cette assurance dont il faisait montre en arrivant. On devine, au flou dans ses yeux, qu’il entrevoit un avenir peu enviable.
« Il est mûr, songe l’officier en écrasant son mégot. On y retourne, il va craquer. »
Une fois encore, les questions.
Toujours les mêmes, dans le désordre.
En retour, les mêmes réponses.
Dans une consternante parodie d’échange.

Et puis, comme dans un – mauvais ! – scénario télévisuel, le fax arrive alors que l’interrogatoire va s’achever. Entre temps, l’homme a été photographié, face, profil. On a pris ses empreintes digitales complètes. Première phalange de chaque doigt, puis empreinte des mains dans leur ensemble, le catalogue complet, façon Usual Suspects à la française.
L’officier a parcouru le fax, il repose la feuille.
L’homme devant lui attend un commentaire qui ne viendra pas.
— C’est bien le témoignage de votre collègue ? risque-t-il.
— Oui, monsieur.
— Qu’est-ce qu’il dit ? Il était à deux mètres, je me souviens très bien de lui, rien n’a pu lui échapper…
— Je ne peux pas vous donner les éléments de sa déposition. Ce n’est pas la procédure. Reprenons, si vous le voulez bien. Je vais détailler à nouveau toutes les questions, ainsi que vos réponses, puis vous relirez la déposition et vous la signerez.
Une dernière fois, il égrène ses questions.
Une dernière fois, les réponses tombent.
L’homme en noir est sonné.
Il signe le procès-verbal qu’on lui tend.
Il n’a même pas pris le soin de le lire.
Ses doigts sont encore maculés d’encre, malgré les nettoyages forcenés qu’il s’est infligés. Il en conçoit de la honte.
­— Vous pouvez rentrer chez vous, décrète enfin l’officier. Je vais rédiger mon rapport et le faire suivre au Procureur, qui statuera.
— Quand serai-je fixé ?
— Comptez deux ou trois jours, peut-être plus. Difficile à dire, ça dépend du nombre d’affaires en cours.
L’homme secoue la tête, défait. Inutile de discuter, l’attente va être interminable, c’est ainsi. Il se lève, salue la jeune gendarme qui garde lèvres closes, mais lui décoche en retour un regard meurtrier.
Il n’insiste pas et repart.

Deux jours plus tard, le gendarme appelle la brute.
— Monsieur X ?
— Lui-même.
— Gendarme Y. Je vous appelle comme convenu. Le Procureur a classé sans suite.
— Ce qui signifie ?
— Qu’aucune des accusations formulées à votre encontre n’a été retenue.
Un long silence.
Et puis :
— Vous ne pouvez toujours pas me donner les détails de la déposition de votre collègue témoin des faits ?
Le gendarme hésite, puis il glisse :
— Disons qu’elle corrobore en tous points votre déposition. Pour le reste… Je suis désolé pour vous, mais j’ai suivi la procédure.
— Vous avez fait votre boulot, c’est normal.
Avant de raccrocher, l’homme s’autorise une dernière question, dont il redoute la réponse :
— Et s’il n’y avait pas eu de témoin ? Si le gendarme n’avait pas été là ? Si le vieux sorti de nulle part et décidé à jouer les chevaliers blancs avait pu m’enfoncer ? C’était leur parole contre la mienne, c’est ça ? Je n’avais aucune chance de me défendre. Je risquais de…
L’homme est incapable d’achever.
Pour la première fois, dans cette histoire, il mesure les conséquences tragiques que l’affaire aurait pu avoir. Le rythme de son cœur s’accélère. Il voit la prison, il imagine être privé de son fils, ses idées s’entrechoquent, il ne parvient plus à les mettre dans l’ordre.
Le gendarme tarde à répondre.
— Vous n’auriez pas été le premier, lâche-t-il.
Et il raccroche.

*****

Épilogue
Article 226-10
Modifié par Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 — art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002

La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.


« Having ennemies means… You stood up for something. »
Sir Winston Churchill

jeudi 22 février 2018

Une auteure sur la terrasse : Marie-Alix Thomelin

1 Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
C’était un roman Young Adult, et c’était même le premier que j’ai écrit jusqu’au bout ! J’en ai envoyé plusieurs exemplaires par la poste à des éditeurs, en essayant de prendre contact au préalable avec eux par mail. J’ai eu de la chance, car une éditrice a eu un coup de cœur pour l’histoire.

2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Je revendique le fait d’écrire pour divertir. J’ai envie d’offrir au lecteur un univers où s’immerger, des personnages auxquels s’identifier. Le style est en cela la clé qui ouvre les portes d’un autre monde. 

3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Dans la douleur et très lentement. J’écris un premier jet relativement rapidement, mais j’ai besoin de temps pour réécrire, compléter, corriger.

4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
De moins en moins en fait. Au début, j’avais besoin de musique pour me concentrer, et je m’étais développé des stimulus pavloviens (tel morceau me faisait entrer dans tel roman).
Maintenant, j’écris un peu partout, pendant des sessions plus ou moins longues.

5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Dans un romain, j’aime prendre le temps de faire évoluer des personnages, de créer des univers complexes.
La nouvelle, c’est le plaisir de jouer avec le lecteur, de le surprendre.

6. Votre premier lecteur ?
Des amies grandes lectrices qui m’encouragent à continuer d’écrire, et qui me donnent toujours des conseils judicieux pour améliorer mes textes.

7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Non, je ne pense pas. On se nourrit tout autant du monde qui nous entoure que de textes.

8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Elle est marquée par mes quinze dernières années en Allemagne, j’avais par exemple adoré le thriller Oktoberfest de Christian Scholder, qui se déroule pendant la fête de la bière (et qui a la connaissance n’a malheureusement pas été traduit). En rentrant en France, je crois que l’auteur de polar contemporain qui m’a le plus impressionné, c’est Olivier Norek.

9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
En fait, j’ai déjà traversé une phase difficile où j’avais décidé de ne plus écrire, car c’est une passion qui prend énormément de temps... mais des idées d’histoires, des pistes à creuser, et surtout le besoin vital de coucher ses mots sur le papier, se sont de nouveau imposés à moi. J’ai rechuté…

10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym'us ?
Je trouve très sympa l’idée que le lecteur ne sait pas qui a lu le texte. Un des premiers copains à qui j’ai osé montré mes textes m’avait dit : « je te reconnais bien là. » J’étais verte ! Je voulais savoir si ma nouvelle l’avait ému, ennuyé, intéressé, pas si elle était conforme à l’idée qu’il avait de moi. Ce Trophée donne la chance aux auteurs d’être lus sans idées préconçues.

11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Toutes les littératures noires sont un exécutoire autant à nos peurs qu’à nos pulsions les plus sombres. C’est le plaisir de frissonner tout en étant en sécurité dans son lit douillet, et aussi d’assouvir des désirs interdits par procuration.

12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je travaille à la suite de Fight Girls, mon thriller paru en février 2017 à l’Atelier Mosésu, et je m’essaie à d’autres genres dans le cadre du NaNoWriMo, une sorte de jeu d’écriture où il faut écrire beaucoup et rapidement - tout ce que je ne sais pas faire.

13. Le (s) mot(s) de la fin ?

Bonne lecture à tous et à toutes !

dimanche 18 février 2018

Nouvelle 20 - Quelques heures de civilisation


Le problème est simple : tu veux monter dans le train, mais t’as pas de billet. Départ dans trois minutes. Les contrôleurs se campent devant chaque voiture. Tu t’approches, aimable, conciliante, avec, sur les lèvres, un sourire calculé. « Bonjour. » Le gars te considère d’un œil complètement morne, sans répondre ni sourire. Tu respires. Tu prends ta voix la plus contrite et agréable. « Excusez-moi. Désolée de vous déranger. » La politesse. C’est terrible mais t’y peux rien. L’autre continue d’ignorer ta présence. Tu te lances quand même. Tu racontes les dernières heures passées. Comme quoi t’as un billet pour rentrer à Toulouse demain. T’étais censée dormir chez un copain, le genre instable pour peu que ça veuille dire quelque chose. Manque de chance, le copain en question il a piqué une crise et il t’a foutue dehors. Dommage. (Le contrôleur te dévisage d’un regard de poisson crevé, l’air de dire « elle a pas fini de me gonfler celle-là ? ». Bah non, désolée monsieur, j’ai pas fini).
Bon, donc le copain il t’a jetée dehors. Physiquement. Et t’as nulle part où dormir ici, c’est-à-dire au Mans ; t’es à la rue, et globalement plutôt dégoûtée. À cette heure il n’y a plus de train pour Toulouse. Un hématome s’élargit, gonfle et empire sur ta pommette. La moitié gauche de ton visage mesure le double de ta tête entière. Heureusement t’as des potes pas trop loin, à Nantes, qui pourront t’héberger et te consoler. (Précisément la destination de ce train : ça tombe bien !) À ce moment de l’histoire tu fais une pause. Sourire engageant. Le contrôleur s’en bat les reins, quelque chose de violent. Il lâche trois petits bâillements rapprochés. Tes neurones commencent à chauffer, tu te dis que, si t’avais un objet contondant, tu laisserais tomber la diplomatie-supplication pour en revenir au bon vieux coup dans les gencives. Mais tu respires à fond en essayant de te calmer. Après tout il doit avoir ses propres problèmes, le contrôleur, et peut-être que les tiens font pâle figure à côté. Mais il pourrait au moins faire l’effort de mimer un quelconque intérêt pour ta petite personne à la pommette enflée.
Passons. Tu en viens au nœud du problème. Départ dans une minute. « Donc j’ai un billet pour faire Le Mans-Toulouse (tu exhibes le billet en question), mais demain. C’est un trajet beaucoup plus cher que Le Mans-Nantes. Est-ce que je peux monter dans le train, histoire de pas dormir dehors, et en échange vous prenez le ticket ? » Pleine d’espoir vis-à-vis de l’humanité, tu guettes la réponse. Le contrôleur bâille : « C’est pas du tout le même trajet ». Départ dans trente secondes. T’as envie de répondre sans blague connard. À la place tu mobilises toutes tes forces pour continuer à sourire, et dans ton état, le sourire, ça fait mal (toi au moins t’aurais une bonne excuse). Tu te permets obligeamment d’insister. « Je sais. Mais mon billet coûte beaucoup plus cher que ce trajet-ci, et j’ai pas d’endroit où dormir, et franchement, il fait froid. » Coup de sifflet. « Ça va pas être possible », répond le type. T’as envie de hurler. De lui foutre les doigts dans la bouche pour l’obliger au moins à sourire, et mieux, lui arracher les lèvres. Tu dis : « D’accord, merci », avant de te détourner. Tu te ravises : ça va pas de rester aussi polie avec un enfoiré pareil ? Tu te retournes, les portes sont encore ouvertes, tu dis « merci pour votre compréhension ! » d’une voix coléreuse, mais tu t’aperçois qu’il te tourne déjà le dos, le contrôleur, il discute avec ses collègues, il te calcule plus. Est-ce qu’il t’a jamais calculée ?
Qu’à cela ne tienne. Le dernier train pour Nantes part dans vingt minutes. Tu respires. Tu ravales ton venin. Tu attends. Ton souffle fait de la vapeur. On est début octobre et le froid s’infiltre partout. T’as bien essayé d’aller changer ton billet au guichet, tout à l’heure. Mais ça coûtait plus de trente euros et t’as pas un kopeck en poche.
Douze flics débarquent sur le quai, bombe lacrymo à la main, suivis d’une milice à la solde de la SNCF. Ça nous fait une vingtaine d’uniformes. Vous reprendrez bien un peu de sécurité ? Tu les surveilles du coin de l’œil, pas tranquille. Y a rien à faire ; t’as beau te savoir innocente, après quelques gardes à vue, quelques insultes, quelques claques et menaces de mort en complément, les flics, tu te méfies.
Tu fumes clope sur clope pour faire passer la haine (mais elle passe pas. T’as beau y faire. Elle passe plus). Le dernier train se pointe. Les flics se mettent en mouvement. Tu les suis des yeux. S’ils montent ça va vraiment être la merde. Ils s’adressent à un passager : « Ils sont descendus ? 
– Ouais je crois... j’sais pas. »
Ils fouillent le quai sans monter dans le train. Les contrôleurs ne sont pas aux portes. Soulagée, tu t’engouffres dans le wagon-restaurant. Le train ne démarre pas. Tu surprends une discussion entre un voyageur et la vendeuse du wagon-restaurant. « Pourquoi y a la police ? 
– Deux passagers en fraude, ils ont pas donné leur nom pour l’amende. » 
Nerveuse, tu ris toute seule. Les gens te matent comme si t’étais folle. Vingt flics mobilisés pour deux fraudeurs. C’est mal barré. Le train accuse vingt minutes de retard, bloqué pour cause de descente de police. Tu observes le quai mais tu sais pas s’ils les ont trouvés ou pas. Tu pries que non.
Le train démarre enfin. Les contrôleurs effectuent un premier passage. Y en a un qu’a une tête sympa. Alors tu te dis : pourquoi pas ? Deux connards de suite ça fait mince en probabilités. Bon, tu te dis aussi que, dès qu’il y a de l’uniforme en jeu, la probabilité de mesquinerie grimpe à 90 %. Mais tu essaies quand même. Parce que t’es conne. Parce que t’as envie d’y croire. Parce que tu veux pas rester comme ça, toute pleine de rage tremblante, à cracher dans ta tête, et t’attends qu’une chose, c’est qu’on te détrompe. Malgré les coups que t’as pris. Malgré l’élancement sur ta joue.
Tu te jettes à leur poursuite. Tu en recroises un (celui qu’a une bonne tête) en première classe. Chance : il n’est pas en train de contrôler. Tu lui souris. Deuxième topo, échec et mat. Le type s’en branle à un point pas possible. Il dit : « C’est pas le même trajet » (SANS. BLAGUE.) Même pas il te demande si ça va, même pas il montre un signe quelconque de sollicitude.
« Je vais vous faire un ticket. C’est soixante-sept euros.
Monsieur, vous avez pas écouté. J’ai pas d’argent. 
Alors je vais vous faire une amende. Vous avez une pièce d’identité ? »
Tu le regardes, effarée. Il sourit, lui. Il s’en fout. C’est pas sa pommette. Pas son ami. Pas sa vie.
Tu donnes ta carte d’identité. C’est là qu’elle arrive dans ta tête, l’explosion. T’aimerais tellement avoir une bombe dans ton sac trop lourd, et en plus t’as mal à la joue. En regagnant le wagon-restaurant tu te mets à haïr tous les passagers. Parce qu’ils sont en règle. Parce qu’ils ont un endroit où dormir. Parce qu’ils s’en foutent. Et surtout, surtout, parce que, quand ils sourient au contrôleur, c’est sincère. Pas besoin de calculer.
Les minutes qui suivent, tu fulmines, tu serres les poings, t’as envie de défoncer quelque chose ou quelqu’un. Tout le trajet tu pries qu’une bombe explose. Mais ça marche pas. Les terroristes ils sont jamais là quand t’as besoin d’eux. Eux aussi, ils s’en foutent.
T’as de l’acidité qui suinte de tous tes pores. Avec ton gros pansement, ton gros sac à dos et ton envie de buter le monde entier, tu passes pas inaperçue. En plus tes mains tremblent. Tu croises ton regard dans la vitre : tes cheveux partent en couille, t’es en sueur. Les gens t’observent, de biais, en croyant que tu les vois pas.
T’as pas l’air net, c’est clair. Les passagers se disent : « timbrée ». Bah peut-être. Ce serait même salutaire, en fait, vu le nombre de violences, sous multiples formes, que tu reçois, sans qu’elles te soient forcément destinées, en juste une demi-journée de civilisation. Ne pas péter les plombs, elle est là, la folie, si elle existe. Les gens, t’aimerais bien qu’ils soient morts.
Une fille monte à l’arrêt suivant. Jean, manteau, baskets élégantes, noir et or, Adidas. Elle traverse le wagon-restaurant pour aller vers la seconde classe. Nerveuse, furtive. Les fraudeurs se reconnaissent entre eux : tu lui adresses un sourire qu’elle peut pas voir.
Tu la recroises, dix minutes plus tard, en cherchant des toilettes sans file d’attente, assise sur la banquette entre deux wagons. Sans bagage, les mains crispées derrière ses genoux. Elle a gardé son manteau. Avec toujours cette tête de proie qui se cache. Un renflement bizarre sous le manteau. Enceinte. Ou autre chose. Avec les temps qui courent. Autre chose.
Tu tires la chasse et tu te dis que tu te fais des films, que BFM-TV a pénétré dans ta tête malgré toutes tes précautions. Quand tu repasses dans l’autre sens, elle n’est plus là.
Arrêt suivant. C’est pas ta gare. Mais tu sors. Tu finiras en stop, même s’il fait déjà nuit. Nantes n’est qu’à une heure de voiture. Une intuition. Les fraudeurs se reconnaissent mutuellement. Mais aussi ceux qui ont envie que tout disparaisse autour d’eux.
Tu entends l’explosion, t’es déjà à l’autre bout du quai.


Tu te retournes pas.

jeudi 15 février 2018

Un auteur sur la terrasse : Jean-Luc Bizien

1 – Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
J’ai présenté mon premier manuscrit à un éditeur au salon de la Porte de Versailles en 1988 – le salon du Jeu.
J’avais en tête un projet de jeu de rôles, mais ne pouvais produire que quelques feuillets à peine. J’ai donc tout misé sur la présentation in situ – en parlant essentiellement des principes du jeu, de son univers et en proposant des parties de tests. L’ambiance particulière de ce jeu a remporté un certain succès, elle a séduit Paul Chion, éditeur alors et je suis retourné chez moi pour écrire de nombreux autres feuillets (je travaillais à la main, à cette époque) pour obtenir Hurlements, mon premier jeu de rôle, en 1989.
Voilà pour la première publication.

Pour mon premier roman, c’est différent – mais tout aussi folklorique. J’étais (je suis toujours) grand fan de Serge Brussolo et je rêvais d’adapter son univers en JdR. Je suis donc allé le rencontrer lors d’une séance de dédicaces au salon de la Porte de Versailles – du livre, cette fois.
Il faut croire que pour moi, tout s’est passé Porte de Versailles. J’ai vu Serge Brussolo et je lui ai parlé JdR. Mauvaise pioche : Brussolo détestait le JdR, il se méfiait instinctivement des joueurs un peu trop exaltés qu’il avait croisés jusqu’alors. Je lui ai offert un exemplaire de Hurlements et suis reparti.
Nous nous sommes revus l’année suivante, toujours au salon du livre de la Porte de Versailles.
Le jeu l’avait laissé froid, mais il avait vu quelques pages qui lui laissaient entendre que j’étais capable d’écrire un roman. Il m’y a donc encouragé. Il dirigeait Présence du Futur, la mythique collection de romans chez Denoël. J’étais à la fois tétanisé par l’enjeu et totalement inconscient de la formidable opportunité que Brussolo m’offrait.
J’ai écrit WonderlandZ en quelques jours, en travaillant non stop. Il l’a fait lire à Cathy Ytak (devenue depuis auteure, elle aussi), qui l’a adoré. Serge m’a demandé de retravailler une partie du livre et m’a fait un contrat. Hélas, il a quitté Denoël peu après et… le livre n’est pas sorti – du moins pas chez Denoël, puisque le remplaçant de Brussolo détestait Serge et tout ce qui s’y rapportait.
J’ai suivi Brussolo au Masque, où j’ai publié plusieurs romans sous sa direction, puis j’ai récupéré les droits de WonderlandZ qui a décroché le Prix Fantastic’Art de Gerardmer en 2002.
Mon premier manuscrit a donc paru en quatrième ou cinquième position.
J’ai très vite appris, suite à cette expérience, que l’Édition n’était qu’un vaste cirque un peu grotesque et qu’il fallait accepter les choses avec une certaine distance, à défaut de légèreté.
2 – Écrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
J’essaye de délivrer des textes qui me ressemblent, des romans que j’ai envie de lire.
J’aborde, sous couvert de thrillers et/ou de romans de genre, des sujets qui me sont chers.
Des réflexions sur des thèmes souvent désuets – amitié, loyauté, amour, passion, altruisme – enrobés dans des histoires qui semblent à l’opposé de ces thèmes.
L’Humain est le seul sujet qui vaille vraiment la peine d’être abordé, je crois.

3 – Écrire… Avec ou sans péridurale ?
Mon Dieu, sans ! J’ai trop d’admiration pour les parturientes et leurs souffrances pour ne pas oser comparer les quelques difficultés liées à l’écriture au fait de donner la vie !
Il n’y a pas de souffrance dans l’écriture, il n’y a que des doutes et du travail.
Ils sont trop nombreux, ceux qui rêvent de publier un jour ou se croient obligés d’en passer par l’autoédition pour assouvir leur soif d’exister. J’ai la chance inouïe de vivre de ma plume depuis presque 20 ans avec, certaines années, d’énormes difficultés et depuis trois ans l’aide providentielle de la librairie Le Verbe du Soleil de Porto-vecchio.
Je serai donc malvenu de me plaindre.
En résumé : j’aime raconter des histoires et on me paye pour ça.
La vie est belle.
Je me penche toujours sur mon clavier avec une véritable jubilation, curieux de savoir ce que mes personnages vont inventer…

4 – Écrire… Des rituels, des petites manies ?
J’écris partout – dans l’avion, dans le train, au café, en vacances, en voyage… et dans mon bureau, aussi.
Quand je peux accéder à mon bureau (qui croule sous les livres pas encore rangé, les notes et de vieux scénarios de JdR que je veux retravailler), le rituel est immuable : café/douche (dans le désordre, selon l’humeur) puis choix des CDs qui vont m’accompagner.
J’écris en musique, j’ai besoin de vibration, d’énergie.
Ensuite, enfermement dans ma bulle et c’est parti !
Selon les jours, les séances de travail peuvent être très courtes (deux ou trois heures) ou plus intenses (dix, douze heures d’affilée).

5 – Écrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
La nouvelle ne m’est pas naturelle. Je suis fasciné par ce format court, si court !
La nouvelle, pour moi, c’est aussi étrange qu’un texte de chanson. Cette nécessité de l’essentiel, du vital, cette interdiction de la fioriture et de tout ce qui ne sert pas immédiatement le récit me perturbent.
Je crois être un conteur besogneux, qui a besoin de se chauffer, de mettre en place un décor, des personnages…
La nouvelle, c’est tout le contraire.
J’ai accepté de participer à ce trophée par amitié pour son créateur Eric Maravélias et son parrain Ian Manook. Certes, on ne dit jamais « non » à ces deux-là, mais la vérité…
C’est que je ne suis pas certain d’y arriver.
Je croise donc les doigts !

6 – Votre premier lecteur ?
Votre serviteur, quelques jours après avoir achevé la besogne.
J’écris vite, très vite puis je laisse reposer.
Ensuite, je redécouvre ce texte avec la sensation de lire l’œuvre d’un étranger.
Cette lecture est très critique : je peux tout jeter, ou au contraire décider de peaufiner.

7 – Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Certains le prétendent.
Ne les croyez surtout pas !
Lire est un besoin. C’est un carburant, une source inépuisable d’envie.
Lire est essentiel. C’est un puits au fond duquel nous pouvons découvrir nos rêves, nos aspirations et la raison de nos existences.
Lire, c’est surtout apprendre à écrire.
Et apprendre à vivre, en ayant cette opportunité inouïe de connaître plusieurs existences, plutôt que de n’en avoir qu’une.

8 – Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Mes amis, mes amours… mais encore ?
Essentiellement d’autres écrivains, qui me (re)donnent envie de travailler.
Serge Brussolo, le maître incontesté, celui à qui je dois tout. L’homme qui m’a montré que c’était possible, m’a offert la possibilité d’écrire et m’a accordé de son temps pour m’apprendre les bases de ce métier.
Et puis d’autres, bien sûr, beaucoup d’autres.
Dans des styles divers et variés, de Philippe Djian à Dennis Lehane, en passant par quelques camarades de la LdI – Ian Manook, Bernard Minier, David Khara, Maxime Chattam… – ou d’autres comme Romuald Giulivo, Erik L’Homme, Pascal Dessaint, Franck Bouysse…
Ils sont trop nombreux pour tous les citer, mais je les lis avec passion et leurs livres m’apportent tous quelque chose.
Enfin, les deux auteurs que j’ai éprouvé le besoin de relire à diverses étapes de ma vie : Alain-Fournier et Lewis Carroll.

9 – Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça m’est arrivé, à deux reprises, suites à des cataclysmes personnels qui m’ont laissé sans envie particulière.
Chaque fois, la nécessité d’écrire s’est manifestée sans prévenir. J’ai écrit avec frénésie chaque fois, et livré mes textes les plus personnels, les plus aboutis (« Vienne la nuit, sonne l’heure » dans le premier cas, « Le Berceau des ténèbres » puis « Crotales » dans le second).
Je n’ai donc pas d’angoisse à ce sujet.
Si cela devait être définitif, en revanche…
Je ne sais pas ce que je ferais, parce qu’en vieillissant, je dois bien admettre qu’écrire est la seule chose que je sache faire convenablement.
Sans doute ferais-je n’importe quel métier, pour rester en vie.
Sans être bien certain d’y arriver longtemps.

10 – Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym'us ?
Pour voir, pour le fun, pour le défi… et pour les raisons abordées plus haut.
Je me moque complètement de l’aspect « compétition ».
Je prends cela comme l’opportunité d’essayer autre chose et de pouvoir confronter le résultat avec d’autres démarches, similaires ou non.

11 – Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Sans entrer dans les détails (ni revenir sur cette distinction stérile qui a fait s’opposer deux grandes familles du roman policier pendant des années) on mettra donc sous la même bannière de « polar » les romans noirs et les thrillers. Le polar rencontre effectivement depuis quelques années un véritable succès chez les lecteurs. Le « mauvais genre » s’est imposé, supplantant la littérature dite blanche.
Le livre a toujours occupé une place centrale dans la construction des hommes, en leur offrant la possibilité de réfléchir à des problèmes avec distance et sérénité.
C’était, à l’origine, le rôle de la littérature générale.
C’est aujourd’hui celui des polars : nous donner à réfléchir, sous couvert d’histoires si prenantes que nous tournons les pages sans même nous en rendre compte. Le polar parle de la vie, de l’humain au centre de la société. Des difficultés, des pièges, des hérésies, des aberrations de ce monde moderne.
Sans doute les gens sont-ils plus angoissés, sans doute certains romans leur servent-ils d’exutoires…
Ce qui m’étonne pourtant, c’est la quasi schizophrénie de certain(e)s lect(rice)eurs, qui sont choqué(e)s par le mot « putain » sur une couverture, mais absolument pas par une scène de torture, de viol ou de tuerie.
Je crois que davantage que la noirceur et la violence, ce sont les faux-culs, les bienpensants et leur pensée unique qui font basculer notre monde. Je suis persuadé que là encore, les polars ont un rôle à jouer – ne serait-ce qu’en secouant de temps à autre le cocotier.

12 – Vos projets, votre actualité littéraire ?
Comme toujours, je mène plusieurs chantiers de front – ce qui me permet d’atténuer le syndrome de la page blanche, en passant de l’un à l’autre au gré de mes envies. Je travaille à la suite de Crotales (bien avancée, pour le scénario), à un projet de dystopie pour Actusf, j’ai découpé le quatrième épisode de la série des dragons (toujours pour Actusf), j’ai bien avancé un roman noir contemporain dont l’action se déroule au Mexique, j’ai en tête un roman historique qui donnera probablement naissance à une série et enfin un nouvel épisode des aventures de l’aliéniste.
Comme si cela manquait, j’ai dit « oui » à plusieurs projets de nouvelles, dont Anonym’us.
Les semaines à venir vont être studieuses.

13 – Le (s) mot(s) de la fin ?

Écrivez, si vous voulez.
Écrivez comme ça vous chante.
Lisez, beaucoup, lisez toujours.
Prenez soin de vous et des vôtres.
On se croisera ici ou là, la vie n’a pas fini de nous surprendre.


Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse