jeudi 15 février 2018

Un auteur sur la terrasse : Jean-Luc Bizien

1 – Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
J’ai présenté mon premier manuscrit à un éditeur au salon de la Porte de Versailles en 1988 – le salon du Jeu.
J’avais en tête un projet de jeu de rôles, mais ne pouvais produire que quelques feuillets à peine. J’ai donc tout misé sur la présentation in situ – en parlant essentiellement des principes du jeu, de son univers et en proposant des parties de tests. L’ambiance particulière de ce jeu a remporté un certain succès, elle a séduit Paul Chion, éditeur alors et je suis retourné chez moi pour écrire de nombreux autres feuillets (je travaillais à la main, à cette époque) pour obtenir Hurlements, mon premier jeu de rôle, en 1989.
Voilà pour la première publication.

Pour mon premier roman, c’est différent – mais tout aussi folklorique. J’étais (je suis toujours) grand fan de Serge Brussolo et je rêvais d’adapter son univers en JdR. Je suis donc allé le rencontrer lors d’une séance de dédicaces au salon de la Porte de Versailles – du livre, cette fois.
Il faut croire que pour moi, tout s’est passé Porte de Versailles. J’ai vu Serge Brussolo et je lui ai parlé JdR. Mauvaise pioche : Brussolo détestait le JdR, il se méfiait instinctivement des joueurs un peu trop exaltés qu’il avait croisés jusqu’alors. Je lui ai offert un exemplaire de Hurlements et suis reparti.
Nous nous sommes revus l’année suivante, toujours au salon du livre de la Porte de Versailles.
Le jeu l’avait laissé froid, mais il avait vu quelques pages qui lui laissaient entendre que j’étais capable d’écrire un roman. Il m’y a donc encouragé. Il dirigeait Présence du Futur, la mythique collection de romans chez Denoël. J’étais à la fois tétanisé par l’enjeu et totalement inconscient de la formidable opportunité que Brussolo m’offrait.
J’ai écrit WonderlandZ en quelques jours, en travaillant non stop. Il l’a fait lire à Cathy Ytak (devenue depuis auteure, elle aussi), qui l’a adoré. Serge m’a demandé de retravailler une partie du livre et m’a fait un contrat. Hélas, il a quitté Denoël peu après et… le livre n’est pas sorti – du moins pas chez Denoël, puisque le remplaçant de Brussolo détestait Serge et tout ce qui s’y rapportait.
J’ai suivi Brussolo au Masque, où j’ai publié plusieurs romans sous sa direction, puis j’ai récupéré les droits de WonderlandZ qui a décroché le Prix Fantastic’Art de Gerardmer en 2002.
Mon premier manuscrit a donc paru en quatrième ou cinquième position.
J’ai très vite appris, suite à cette expérience, que l’Édition n’était qu’un vaste cirque un peu grotesque et qu’il fallait accepter les choses avec une certaine distance, à défaut de légèreté.
2 – Écrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
J’essaye de délivrer des textes qui me ressemblent, des romans que j’ai envie de lire.
J’aborde, sous couvert de thrillers et/ou de romans de genre, des sujets qui me sont chers.
Des réflexions sur des thèmes souvent désuets – amitié, loyauté, amour, passion, altruisme – enrobés dans des histoires qui semblent à l’opposé de ces thèmes.
L’Humain est le seul sujet qui vaille vraiment la peine d’être abordé, je crois.

3 – Écrire… Avec ou sans péridurale ?
Mon Dieu, sans ! J’ai trop d’admiration pour les parturientes et leurs souffrances pour ne pas oser comparer les quelques difficultés liées à l’écriture au fait de donner la vie !
Il n’y a pas de souffrance dans l’écriture, il n’y a que des doutes et du travail.
Ils sont trop nombreux, ceux qui rêvent de publier un jour ou se croient obligés d’en passer par l’autoédition pour assouvir leur soif d’exister. J’ai la chance inouïe de vivre de ma plume depuis presque 20 ans avec, certaines années, d’énormes difficultés et depuis trois ans l’aide providentielle de la librairie Le Verbe du Soleil de Porto-vecchio.
Je serai donc malvenu de me plaindre.
En résumé : j’aime raconter des histoires et on me paye pour ça.
La vie est belle.
Je me penche toujours sur mon clavier avec une véritable jubilation, curieux de savoir ce que mes personnages vont inventer…

4 – Écrire… Des rituels, des petites manies ?
J’écris partout – dans l’avion, dans le train, au café, en vacances, en voyage… et dans mon bureau, aussi.
Quand je peux accéder à mon bureau (qui croule sous les livres pas encore rangé, les notes et de vieux scénarios de JdR que je veux retravailler), le rituel est immuable : café/douche (dans le désordre, selon l’humeur) puis choix des CDs qui vont m’accompagner.
J’écris en musique, j’ai besoin de vibration, d’énergie.
Ensuite, enfermement dans ma bulle et c’est parti !
Selon les jours, les séances de travail peuvent être très courtes (deux ou trois heures) ou plus intenses (dix, douze heures d’affilée).

5 – Écrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
La nouvelle ne m’est pas naturelle. Je suis fasciné par ce format court, si court !
La nouvelle, pour moi, c’est aussi étrange qu’un texte de chanson. Cette nécessité de l’essentiel, du vital, cette interdiction de la fioriture et de tout ce qui ne sert pas immédiatement le récit me perturbent.
Je crois être un conteur besogneux, qui a besoin de se chauffer, de mettre en place un décor, des personnages…
La nouvelle, c’est tout le contraire.
J’ai accepté de participer à ce trophée par amitié pour son créateur Eric Maravélias et son parrain Ian Manook. Certes, on ne dit jamais « non » à ces deux-là, mais la vérité…
C’est que je ne suis pas certain d’y arriver.
Je croise donc les doigts !

6 – Votre premier lecteur ?
Votre serviteur, quelques jours après avoir achevé la besogne.
J’écris vite, très vite puis je laisse reposer.
Ensuite, je redécouvre ce texte avec la sensation de lire l’œuvre d’un étranger.
Cette lecture est très critique : je peux tout jeter, ou au contraire décider de peaufiner.

7 – Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Certains le prétendent.
Ne les croyez surtout pas !
Lire est un besoin. C’est un carburant, une source inépuisable d’envie.
Lire est essentiel. C’est un puits au fond duquel nous pouvons découvrir nos rêves, nos aspirations et la raison de nos existences.
Lire, c’est surtout apprendre à écrire.
Et apprendre à vivre, en ayant cette opportunité inouïe de connaître plusieurs existences, plutôt que de n’en avoir qu’une.

8 – Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Mes amis, mes amours… mais encore ?
Essentiellement d’autres écrivains, qui me (re)donnent envie de travailler.
Serge Brussolo, le maître incontesté, celui à qui je dois tout. L’homme qui m’a montré que c’était possible, m’a offert la possibilité d’écrire et m’a accordé de son temps pour m’apprendre les bases de ce métier.
Et puis d’autres, bien sûr, beaucoup d’autres.
Dans des styles divers et variés, de Philippe Djian à Dennis Lehane, en passant par quelques camarades de la LdI – Ian Manook, Bernard Minier, David Khara, Maxime Chattam… – ou d’autres comme Romuald Giulivo, Erik L’Homme, Pascal Dessaint, Franck Bouysse…
Ils sont trop nombreux pour tous les citer, mais je les lis avec passion et leurs livres m’apportent tous quelque chose.
Enfin, les deux auteurs que j’ai éprouvé le besoin de relire à diverses étapes de ma vie : Alain-Fournier et Lewis Carroll.

9 – Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça m’est arrivé, à deux reprises, suites à des cataclysmes personnels qui m’ont laissé sans envie particulière.
Chaque fois, la nécessité d’écrire s’est manifestée sans prévenir. J’ai écrit avec frénésie chaque fois, et livré mes textes les plus personnels, les plus aboutis (« Vienne la nuit, sonne l’heure » dans le premier cas, « Le Berceau des ténèbres » puis « Crotales » dans le second).
Je n’ai donc pas d’angoisse à ce sujet.
Si cela devait être définitif, en revanche…
Je ne sais pas ce que je ferais, parce qu’en vieillissant, je dois bien admettre qu’écrire est la seule chose que je sache faire convenablement.
Sans doute ferais-je n’importe quel métier, pour rester en vie.
Sans être bien certain d’y arriver longtemps.

10 – Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym'us ?
Pour voir, pour le fun, pour le défi… et pour les raisons abordées plus haut.
Je me moque complètement de l’aspect « compétition ».
Je prends cela comme l’opportunité d’essayer autre chose et de pouvoir confronter le résultat avec d’autres démarches, similaires ou non.

11 – Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Sans entrer dans les détails (ni revenir sur cette distinction stérile qui a fait s’opposer deux grandes familles du roman policier pendant des années) on mettra donc sous la même bannière de « polar » les romans noirs et les thrillers. Le polar rencontre effectivement depuis quelques années un véritable succès chez les lecteurs. Le « mauvais genre » s’est imposé, supplantant la littérature dite blanche.
Le livre a toujours occupé une place centrale dans la construction des hommes, en leur offrant la possibilité de réfléchir à des problèmes avec distance et sérénité.
C’était, à l’origine, le rôle de la littérature générale.
C’est aujourd’hui celui des polars : nous donner à réfléchir, sous couvert d’histoires si prenantes que nous tournons les pages sans même nous en rendre compte. Le polar parle de la vie, de l’humain au centre de la société. Des difficultés, des pièges, des hérésies, des aberrations de ce monde moderne.
Sans doute les gens sont-ils plus angoissés, sans doute certains romans leur servent-ils d’exutoires…
Ce qui m’étonne pourtant, c’est la quasi schizophrénie de certain(e)s lect(rice)eurs, qui sont choqué(e)s par le mot « putain » sur une couverture, mais absolument pas par une scène de torture, de viol ou de tuerie.
Je crois que davantage que la noirceur et la violence, ce sont les faux-culs, les bienpensants et leur pensée unique qui font basculer notre monde. Je suis persuadé que là encore, les polars ont un rôle à jouer – ne serait-ce qu’en secouant de temps à autre le cocotier.

12 – Vos projets, votre actualité littéraire ?
Comme toujours, je mène plusieurs chantiers de front – ce qui me permet d’atténuer le syndrome de la page blanche, en passant de l’un à l’autre au gré de mes envies. Je travaille à la suite de Crotales (bien avancée, pour le scénario), à un projet de dystopie pour Actusf, j’ai découpé le quatrième épisode de la série des dragons (toujours pour Actusf), j’ai bien avancé un roman noir contemporain dont l’action se déroule au Mexique, j’ai en tête un roman historique qui donnera probablement naissance à une série et enfin un nouvel épisode des aventures de l’aliéniste.
Comme si cela manquait, j’ai dit « oui » à plusieurs projets de nouvelles, dont Anonym’us.
Les semaines à venir vont être studieuses.

13 – Le (s) mot(s) de la fin ?

Écrivez, si vous voulez.
Écrivez comme ça vous chante.
Lisez, beaucoup, lisez toujours.
Prenez soin de vous et des vôtres.
On se croisera ici ou là, la vie n’a pas fini de nous surprendre.


Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse

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