mardi 29 novembre 2016

Jérémy Bouquin sous le feu des questions


LES QUESTIONS DU BOSS

1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?

  • Il y a des moments dans l'écriture qui, vite, deviennent « fatigant ». Tu sais la vingt-troisième relecture/correction du texte et où tu te dis... c'est terriblement nul !
    Le doute quoi.

2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?

  • Raconter des histoires, raconter des personnages, des situations.

3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?

  • C'est rassurant.
    Une société « du spectacle permanent », des quinze minutes de célébrité.... de l'image « photoshopée », du 150 signes qui gazouillent, du Facebook - Bref notre société de dégénérés qui, malgré tout, souhaite encore écrire

4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?

  • Je lis toujours, que cela soit sur tablette, sur mon téléphone, sur papier. Cela change juste notre rapport à la lecture. Je vais lire plus de nouvelles, je découvre plus de BD, je vais plus facilement lire la presse, je vais devenir curieux. J'aime.

5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative. Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?

  • Je suis un jeune auteur. La promotion est pauvre. Beaucoup de livres sortent, peu font l'objet d'un article. Je crois que l'auteur de 2016 n'est plus l'auteur d'un éditeur, d'un seul journal. Il peut, au travers cette « auto-célébration numérique permanente », décliner son travail, démultiplier ses supports et promouvoir son travail auprès de sa communauté...

6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?

  • Là encore, je crois que l'édition évolue en permanence. Tout est affaire d'économie. Avant, les histoires paraissaient dans les journaux, en feuilleton. Puis il y a eu les livres, les poches, le numérique.... bientôt le livre à la demande, le feuilleton numérique sur smartphone...

7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.

  • L'éditeur, c'est le premier lecteur, celui qui va accepter, accompagner, voire corriger.... un producteur de livres qui va engager des fonds pour imprimer, distribuer bref faire vivre l'objet.
    J'ai plusieurs éditeurs et je tente, à chaque fois, de rester à ma place. Juste savoir dire quand modifier, c'est trahir.

8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

  • Nadine Monfils, Manotti, Loubière, Rendell, Hayder, Vargas... oui il y a et je lis des polars de femmes
Ma compagne lit plus que moi. Elle dévore. Elle bouffe du polar par paquet de 10. Des durs, des violents, des trashs... les lecteurs sont souvent des femmes, on le voit bien dans les salons, lors des dédicaces.
Comme ailleurs (peinture, dessin, musique...) ce qui est étrange dans le polar, c'est la place des femmes, certes importante, mais jamais plus importante que celle des hommes.
Les garçons sont certainement plus paresseux. Ils ont plus de temps, s'occupent pas des mômes, de la maison... Ils n'ont que cela à foutre, d'écrire !

9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?
  • J'aime écrire des nouvelles, l'exercice, le laboratoire stylistique, tester des trucs.
J'aime surtout l'idée d'être confronté aux autres, de lire ce qu'ils ont produit.

LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE.

1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?
  • C'est peut-être ce qui explique pourquoi ce sont plus des hommes que des femmes qui.... (je rigole encore que...)
Après j'ai pas vraiment d'autres passions, je sors pas, peu de cinoche...

2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?
  • C'est un exutoire, un exercice aussi de description de la société, jouer avec nos peurs. Comme raconter des histoires qui font peur, un soir d'hiver entre potes.

3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?
  • A vrai dire, m'en fous.
    Personne, ni même les journalistes les lisent. Je ne crois pas en tout cela. L'idée de vivre de l'écriture me dépasse. Tout le monde à le droit de raconter des histoires, même des merdes. J'en écris tout le temps.

4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.
  • J'écrase 5000 signes par jour en moyenne... presque deux à trois manuscrits par an.
    Il y a de la merde, à 90%. C'est sûr !
    Je suis pas adepte de l'auto-édition.
    Je préfère proposer aux éditeurs. Qu'ils me disent ce qu'ils en pensent (quand ils jouent le jeu...), qu'ils prennent le « risque » de me sortir.
    Écrire est un « sport » auto-centré, il faut un lecteur, un avis critique. Je refuse de payer pour me publier.

5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?
  • Je ne bois pas.... je ne fume pas non plus. Je suis quelqu'un de très chiant dans la vie.

6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.
  • Je préfère les sucreries ;-)
    Oui, écrire c'est donner du poils à gratter, arracher la croûte, saler les cicatrices, infecter les réflexions. Éclairer le plafonnier mental – envisager de voir autrement nos contemporains. Interroger l'idiotie permanente.

7- Lire aide à vivre. Et écrire ?
  • Aussi.
    Écrire ou inventer des histoires, des films, des séries TV, de la musique aide à vivre.

8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?

  • « Bouquin, c'est vot' vrai nom ? Oui ! C'était prédestiné ! »
    Je ne peux plus entendre cette réplique. Et pourtant, j'y réponds toujours. Avec le sourire.
Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.






vendredi 25 novembre 2016

Nouvelle anonyme N°12 : Entonnoir - Un costume à farcir de sa viande


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5 h 20 : débit


Lambert conduit vite et par à-coups. Les pneus crissent sans raison sinon celle de passer le sang, le temps chaud de ce petit con. À la place du mort, le brigadier-chef Terazzi joue les blasés. Il se bricole une gueule mais tu lui flaires un torchis qui résiste mal au feu. La conversation roule comme la 407 banalisée, tressautant sur le foot, le cul, les racailles. La nuit a été calme. Lambert est déçu. Il propose une descente à Clichy. Terazzi regarde son portable. Trop tard. Au bercail, l’agité du brassard. Et puis la radio crachote une dernière broutille. Une viande saoule sème sa zone, rue Maravelias. Un simple crochet, supplie Lambert. Terazzi hésite. Il pleut. C’est vraiment une nuit pourrie qui se tire sans regret. 

Ils ne te consultent pas. Ils font leur popote. Toi, tu viens de débarquer à la Bac 75N. Tu es un bleu dans la nuit parisienne malgré ton passé. D’ailleurs, ce passé t’isole davantage encore. Tu les rends nerveux. Terazzi colle le gyrophare sur le toit et la bagnole file en hurlant sur 2 tons. Tu te crispes. Tu supportes difficilement les décibels qui trempent dans les aigus. Le toubib t’avait dit que cette intolérance s’atténuerait avec le temps. Ça fait un peu plus de 4 ans aujourd’hui. 

4 ans… Dhalk, Afghanistan. Dans ce village, il y a un passage étroit entre 2 murs privés de toute mesure sous la mitraille crachée par les hélicos de combat. C’est là que tu as appris à progresser aussi lentement que tu percutes vite. C’est aussi là que les mots sont morts en toi, brisés sur les cailloux avides. Il faut voir à quelle vitesse disparaissent le sang et l’oraison, pompés par la caillasse en poudre. 

Lambert pile, claquant tes songes au mortier contre le dossier de son fauteuil. Lui et Terazzi sortent de la bagnole dans un même mouvement bien rodé. C’est le balai du caporalisme en fer et en bosses. Tu les suis moins pour faire ton job que pour les empêcher de merder.
« Tes papiers, pétasse ! » hurle Lambert.

La pétasse en question a la vingtaine ivre et les yeux débordant d’éclats dans le désordre de ses traits fins. Son manteau trop grand pour elle ruisselle de pluie, de larmes. Tu te dis qu’elle n’a probablement jamais été aussi belle que dans cet état de fragilité intense. Tu as envie de la serrer contre toi, de lui caresser la joue, comme le faisait ton père lorsque tu étais gamin et qu’un chagrin emportait l’instant. Tu voudrais la ramener chez elle, lui préparer un thé en lui parlant doucement. C’est ici que tu quittes la scène. La parole, tu ne l’as plus. Elle est restée prisonnière des montagnes afghanes. Alors d’instinct, tu te places derrière Lambert. « Tes papiers, putain ! Lambert salive. La faiblesse excite les caniches. 
-- Lâchez-moi, je… 
-- Ferme ta gueule ! 
-- Lâchez-moi ! » 

La jeune fille, complètement défoncée, se débat mollement, trébuche sur les pans de son vaste manteau et tombe au sol. Tu retiens la main de Lambert qui vient de saisir un tonfa. Il te regarde une demi-seconde et baisse les yeux. Pas besoin de métronome pour mater les clébards. Terazzi t’a vu faire. Lui aussi détourne les yeux. Il cherche une solution dans la virgule de ses sneakers. Il gueule soudain comme on se recroqueville avant un choc : « OK, les gars, on ramasse ça et on rentre ».

La petite geint près de toi, sur la banquette de la bagnole qui fend la nuit finissante. À l’avant, Lambert et Terazzi dissimulent leur désarroi sous un carnaval épais de componction policière. Ils savent que tu sais qu’ils savent leur infirmité faite de bassesse, de bêtise et de fanfaronnade. Lorsque tes lèvres se détachent l’une de l’autre, tu entends le craquement du mutisme. « Pourquoi tu pleures ? La petite cesse de renifler. Elle lève les yeux vers toi. Quelque chose bouge dans la brume derrière sa frange. 

-- Je… Je l’ai perdu. Je voulais le revoir. Pour… Y’avait que Ian… Et il m’a tourné le ventre. Il n’aurait pas dû, je… Je vais crever, plus rien à fout’ de rien. 
-- Tu sais, moi aussi j’ai connu ça. Cette espèce de lueur qu’on aperçoit parfois dans la mort quand on est au bout du désespoir. Tu veux que je te raconte ? 
-- … 
-- Tu veux ? 
-- Ou… oui. 

La première fois, ça fait tout drôle d’empoigner les tripes d’un pote pour les rendre à son bide. J’étais terrifié, actif étrangement. J’ai pris le paquet à pleines mains et l’ai fourré un peu au hasard. Ça manque de savoir-vivre mais j’étais au bord et si je n’avais rien fait, j’aurais égaré ma raison. Mon pote, je n’ai même pas remarqué quand il a cessé de gueuler. Les balles sifflaient tout près parce que j’étais à découvert mais, putain, je poussais sur son ventre d’une main et tâtonnais de l’autre dans mes poches pour trouver la morphine. On l’appelait Magnum à cause de sa moustache et de ses grandes guiboles velues. Il avait 22 ans, un mec en or. C’était mon pote. Ils sont venus nombreux pour me dégager de là. À cet instant précis, j’aurais voulu mourir ». 

La bagnole a bien ralenti. Lambert prend le premier et seul virage décent de la nuit pour se garer devant le commissariat. Toi, tu te dis que tu vas rédiger ta lettre de démission, et fermer ta gueule pour de bon. 

5 h : reflux

T’es salement défaite sous la pluie glaçante. Les candélabres parisiens te soudent un profil à endeuiller les morts. Une flaque de pisse serait plus fraîche.

Tu titubes devant la façade de son immeuble, rue Maravelias. Les volets du 2ème étage sont clos. Tu le sais, c’est toi qui les as fermés tout à l’heure, dans un geste absurde dicté par la panique. L’alcool t’aide à ménager des volumes de vide entre 2 marées chagrines. Un truc d’abrutie pour ne pas sombrer. Mais tu es moins une abrutie qu’une rêveuse flippée comme la jugulaire frappant le fil d’une larme. Alors tu reviens et te repasses le film, histoire de reprendre pied. Tous ces bons moments que tu as poissés… Dans le sillage faisandé d’un camion poubelle qui passe, tu entends Catherine Ringer faire grincer ses histoires d’amour. 

Ça a duré 2 ans, sous les draps d’un bonheur hérissé de ce plaisir d’être avec Ian et se savoir heureux ensemble, tout simplement. Or flotter n’est pas dans l’ordre des choses. Le divin n’apparaît que pour mieux se dérober et laisser prisonnier de la pire des chutes, celle du cœur. Pour couronner tes blondeurs, c’est incontestablement toi la tarée. Une tarée qui germa peu à peu sur le sel rance de votre vie commune. Car insidieusement, le souffle de Ian te devint insupportable. Le grain de sa peau, sa façon d’attendre connement, debout devant la cafetière… Et ce bruit qu’il faisait en mastiquant. Un bruit mouillé qui jour après jour, emplissait de charbon tes veines d’estropiée de l’existence. 

On peut dire que tu as bien merdé. 

Il l’a senti vite, ton raidissement d’usure. Il a tout imaginé, tout tenté pour réduire l’ignoble salope que tu étais devenue, irritable, dédaigneuse, mordante par petites touches amères. Il aurait donné beaucoup pour retrouver la fille qu’il aimait. Mais plus il s’acharnait, plus sa présence te bouffait l’humeur. Tu ne voyais dans son regard qu’une incompréhension craintive et ta lassitude, confusément. Une lassitude mal fagotée, inexprimable et venimeuse, qui vous rendait malheureux.

Tu as laissé les choses se dégrader. Et au moment où Ian a choisi de rompre, tu t’es mise à baliser, trop tard. Il t’a jetée. C’est la blonde qui sent le pourri maintenant. Regarde-toi dans ce manteau souillé. Qu’est-ce que tu fais ? Tu vas rester dans la rue ? Tu es dégueulasse, trempée, grelottante. Tu pues la mort. Tu comptes remonter cette pente comme on guérit d’un rhume ? T’as vu la Vierge ? La vie n’est pas tendre avec ceux qui ne prennent que les sentiers de l’instinct. Remue-toi ! Affronte le vide, emboîte-le et passe à autre chose. Qu’est-ce qu’elle fait ? Qu’est-ce… Oh putain elle va sonner à l’interphone. Reviens petite conne ! Ian, il ne te répondra jamais plus. Alors remballe ton courage de poivrote. Reviens, je te dis ! 

-- « Iaaannn ! Ccc’est moi. Je… Égoutte, je… Je sais que tu ne peux plus m’entendre. J’ai été une mmmerde avec toi. J’le sais et j’m’en veux. Teeeeellement… Je ne sais pas comment… zzze te demande de me pardonner… IAAAANNN !». Une fenêtre s’ouvre au 3ème étage : « C’est pas bientôt fini c’bordel ?! 
-- Mon attitude… MON ATTTTITUDE ! C’était pas… JE T’AIME ! De toute façon, zze reste là… Zzze bouze pas… 
-- Mademoiselle, il ne faut pas rester là. Mon mari vient d’appeler la police. Partez… 
-- Zzze bouze pas, CONNNNNASSSE du 3ème ! Jamais pu te blairer, toi. 
-- Mademoiselle… Oh, quelle pitié ! 
-- Ian, ze veux t’esspliquer… pourquoi z’ai… Pourquoi ? Pardonne-moi, Ian. IAN, SAUVE-MOI ! » 
Le gyrophare fait son petit effet dans la nuit urbaine. C’est fascinant de voir tout ce bleu mutin chatouiller le goudron mouillé. Tu es tellement occupée à débiter tes conneries dans l’interphone que tu ne profites pas de ce miracle de la Bac. Ils sont 3, en fin de service et sans doute agacés de devoir se fader une étudiante à la dérive. « Tes papiers, putain ! 
-- Lâchez-moi, je… 
-- Ferme ta gueule ! 
-- Lâchez-moi ! 

OK, les gars, on ramasse ça et on rentre ».




5 h 53 : reprise du débit

La bagnole a bien ralenti. Lambert prend le premier et seul virage décent de la nuit pour se garer devant le commissariat. Point mort pour tout le monde. Ton petit propos sur la tripe de Magnum a fait courant d’air, fixe ! Le cliquetis du trousseau accroché au contact marque les temps de cette étrange suspension des masques. La petite étudiante ne pleure plus et tes collègues tentent de retrouver leurs esprits dans la façade grise du commissariat. Il y a en cet instant une espèce de communion, un pic collectif de lucidité portant chacun hors de son sketch. Terazzi s’ébroue soudain et ouvre la portière d’un violent coup d’épaule, un peu comme on se défait d’une lune incandescente. 

Terazzi et Lambert évacuent le déséquilibre en parlant fort. Ils laissent les flingues tomber de haut dans le tiroir métallique de leur bureau. Ils savent bien qu’ils viennent de vivre un malaise. Mais pour rien au monde ils n’iraient s’enivrer d’une telle eau. Alors ils exagèrent leur poids pour s’embourber à nouveau au fond des certitudes faciles, l’aplomb singé comme Stallone fait son volume à plat sur les murs du commissariat. 

Un jeune flic confisque les effets de la petite. Il ne fait pas de zèle, tant elle paraît épuisée, comme étrangère au monde. Elle serre son grand manteau imbibé contre elle et il n’a pas le cœur de l’emmerder. Elle semble si fragile. Que fait-elle en cellule ? 

Tu la vois s’allonger sur le banc poisseux. Elle s’endort, son corps frêle emmitouflé dans cet immense manteau. Elle se réveillera demain nauséeuse, la nuque endolorie, honteuse électriquement. Nul doute qu’elle saura tirer de cet inconfort quelque chose de l’ordre du sursaut vital, le bon vieux coup de pied au cul du bas-fond, histoire de se refaire la face. Cette fille n’a jamais rien vécu, te dis-tu. Elle a la tête de ceux qui souffrent de ne pas savoir se frotter aux écailles de leurs rêves. Une souffrance comme une autre, absurde et vaine. Car selon toi, peu importe l’intensité supposée de l’expérience, que l’on se fasse trancher la main, que l’on rate le bus ou qu’un chagrin d’amour frappe : il y a en chacun de nous cette réserve enfouie de dégoût et de glace qui piaffe, ravageant à l’unisson les enfants du fossé comme ceux des châteaux. Tu prétends même que ces derniers seraient les moins bien lotis, parce qu’ils n’ont pas de misère concrète sur laquelle appuyer leur désarroi. Ils gèrent le lot commun de l’existence avec des délicatesses de dentellières recluses derrière les vitrines sociétales, la mort fardée pour un soleil en carton sous une pluie d’anxiété. Ils sont éprouvés sans objet ou si peu. Tu mesures la taille de son objet à la petite : une séparation, une sale cuite et une nuit en cellule de dégrisement. Pourtant, son visage est marqué comme si la mort elle-même était venue souffler sur ses paupières. 

Tu sursautes… La mort vient chaque jour souffler sur nos paupières. Ici, les gens se croquent à pleines dents pour l’amadouer. Et puis ils s’arrachent les cheveux pour en mitonner davantage, encore et encore. Ils sont à côté, au bord de la vie, dans une coursive artificielle. Il y a toujours une déco, un rôle à jouer pour déjouer le glas, un costume à farcir de sa viande. 

Et toi, t’es d’où ? Tu rêves d’un paysage figé, un lac sous un ciel gris, le temps aboli dans un instant serein qui se suffit à lui-même et se répète sans esbroufe. Au fond, il n’y a pas d’ici car il n’y a pas d’ailleurs. Toi aussi, tu cherches le bon costume à farcir de ta viande. On en est tous là. 

Tu repasses par le bureau pour déposer ton arme. Lambert s’approche de toi. Il te dit avec un calme inhabituel que les pompiers viennent de découvrir un truc crade, rue Maravelias, la rue où vous avez ramassé la petite. Terazzi confirme que c’est pour vous. Il n’y a pas de relève dans l’immédiat. Vous rempilez. 


5 h 13 : dégorgement

Il te rend nerveux, le vétéran. C’est une mixture qui te corrode le mou quand tu vois sa grande silhouette bouffer tout l’espace. Un affreux brouet fait de honte, de peur et de colère. Il ne regarde pas les gens, cet enfoiré. Il les braque. Il les braque à plonger la tête dans sa propre merde pour fuir ses prunelles brûlantes. Plonger dedans et prier pour que ça passe. Il est là depuis 15 jours et tu sais déjà que c’est mort. Il y a quelques années, tu te serais moins démonté. Aujourd’hui… son silence pèse. Cette nuit, il n’a pas décroché 1 mot. Le commissaire te l’a mis dans les pattes un matin, au débotté. Tu es incapable de gérer ce mec. Dans le fond, tu regrettes ta promo. T’étais peinard comme brigadier. Heureusement, il y a le petit Lambert. Tu l’aimes bien Lambert. Il n’a rien d’obscur. Tout est là, simple, cash. Tu n’as pas à chercher bien loin dans ta mémoire pour te retrouver en lui. Le stade, les filles… Lambert, c’est un territoire connu. Tu lui refiles des tuyaux, genre briscard qui déniaise la bleusaille avec la rudesse des grandes pudeurs, quelque chose de ce tonneau. Ton téléphone vibre. C’est ta femme. Elle est enceinte de 6 mois. Il y a peut-être aussi de ça dans le merdier que tu as en tête. Hier, le banquier t’a appelé pour te dire que ça passait sur 30 ans. C’est un petit T3 à 2 pas du RER. Ça te fait penser que tu as oublié de contacter le plombier. Il faut refaire la cuisine. Rien de bien méchant mais quand on tire sur la corde de son salaire, tout a de l’importance. Ta femme est sur le site de Casto non-stop. On t’avait prévenu que les femmes enceintes réclamaient des fraises. La tienne les veut en acier pour te coller des heures de bricolage. Ton téléphone vibre à nouveau. Elle n’a peut-être pas encore intégré le fait que les horaires d’un flic sont merdiques. Tu te demandes ce qu’elle fout debout à 5 h 30 du mat’. Tu lui textes que tu ne devrais pas tarder. À moins que… Lambert fait chier. Il veut répondre à un dernier appel. Tu l’as déjà privé d’une ultime virée à Clichy-sous-Bois, alors… Putain, c’est une viande saoule, rue Maravelias. Tu allumes le gyro.

Le poivrot est une poivrote. Une gamine, genre étudiante. Lambert s’énerve. C’est un bon gars mais il est sanguin. C’est de son âge. La gamine est à chier, franchement. Elle est enveloppée dans une espèce de grand manteau qui ne ressemble à rien. Elle gueule des conneries d’une voix pâteuse. Elle pue la vinasse. Et puis elle a aussi sur elle une odeur bizarre. Un truc âcre, malsain. Elle se casse la gueule. Tu penses au ventre de ta femme. Tu supplies le Dieu de la chatte de te donner un garçon. D’un coup, ça part un peu… Le vétéran et ses yeux à la merde s’abattent sur Lambert qui a sorti le tonfa, ce con. Lambert recule. Voilà, c’est fini. Tu ramasses la gamine et lui passes les pinces. Rideau. Il est temps que cette nuit s’achève. 



5 h 43 : débit contrarié


Elle ne te revient pas, l’étudiante, avec ses petits airs de Sorbonne trash et son grand manteau qui pue. Ça renifle la picole, et puis il y a aussi ce truc doucereux sous le gaz pochtron. La bagnole en est infestée. Ces putains de bourgeois s’arrangent toujours pour sophistiquer leur débine. C’est pas de la friture, c’est de la sole avariée. Une question de raffinement dans l’approche du caniveau. Mais cette petite radasse, elle te paraît louche au-delà du cahier des charges. Elle te dérange. Terazzi a rien capté, comme d’hab. Ce pauvre mec est sur la touche. C’est une erreur de casting. Il te fait parfois son bad ass à la cool, l’affranchi qui passe son regard bienveillant sur les conneries du petit dernier… Tocard ! Il ne trompe que lui-même. 

Tu entends chouiner la radasse sur la banquette arrière malgré la sirène qui déchire les carrefours. Tu appuies sur l’accélérateur. Tu appuies parce que tu n’arrives pas à mettre le doigt sur le trouble qu’elle provoque en toi. Il y a un truc qui ne colle pas. 

Oh, putain ! Le vétéran lui cause d’une voix douce. Il est resté muet toute la nuit, et c’est bien le genre à se sortir Sœur Emmanuelle du cul au moment où tu t’y attends le moins. Lui non plus, tu ne le sens pas avec ses yeux d’allumé. Tu ne la ramènes pas parce que son gabarit est éloquent, qu’il n’en joue pas, et que cette combinaison annonce à coup sûr une branlée. Mais il a un putain de grain, c’est clair. Cet instinct avec les tarés, tu l’as eu très tôt. C’est le privilège d’avoir grandi dans un putain de quartier quand on s’appelle Lambert, que sa mère fait des ménages, que le daron s’est barré... Tu apprends très vite où tu apprends très vite. L’autre con de vétéran se la raconte avec ses souvenirs de guerre. Il n’est pas venu survivre dans une banlieue pourrie, étranglé entre le mépris des petites classes moyennes qui n’ont qu’une peur - tomber de leur pavillon - et la morgue brutale des Bronzés. T’en ferais bien une thèse de ton parcours, mais tu te rends compte que le vétéran parle depuis un moment. Tu n’as jamais entendu sa voix plus de 2 secondes, et là il bavasse. Sur un ton monotone, monocorde, mono tout ce que tu veux, il parle de tripes… 



Goutte à goutte

6 h 15

Tu ne sais pas pourquoi, mais quand tu as entendu qu’il fallait retourner rue Maravelias, tu as éprouvé le besoin d’appeler ta femme. Elle n’a pas répondu. Alors tu as laissé un message idiot sur le répondeur. Une connerie à propos du plombier, de la cuisine à refaire. Tu avais besoin d’un truc tangible, un truc normal. 


6 h 16

Tu ne sais pas pourquoi, mais quand tu as entendu qu’il fallait retourner rue Maravelias, tu as éprouvé le besoin de revoir l’étudiante. Alors tu t’es éclipsé dans un bureau vide du commissariat, le temps que Terazzi et le vétéran se décident à partir sans toi. Et puis tu as descendu les quelques marches qui mènent aux cellules. 

6 h 36

L’appartement de la rue Maravelias pue la mort. Le jeune type est allongé sur le dos au milieu du salon. Son ventre est noir, ouvert comme sont ouverts les paquets des enfants à Noël. Les rabats de chair retombent de part et d’autre de la plaie monstrueuse. Tu penses à ta femme. Tu ne sens pas tes larmes couler. Tu n’entends pas le vétéran hurler. Tu ne le vois pas s’agiter dans tous les sens. 

6 h 37

Tu les cherches. Tu cherches les boyaux partout dans le salon. Tu ne sortiras pas de cet appartement sans les avoir trouvés et remis à leur place. Terazzi reste planté là comme un con. Tu lui hurles de t’aider. Il faut… Il faut retrouver les intestins de ce pauvre mec, avant que les chacals du désert afghan n’arrivent pour les bouffer. 

Ploc… 

Le menton de l’étudiante retombe sur sa poitrine. Autour de son cou suspendu aux barreaux du soupirail, une espèce de long boudin comprime ses chairs. Tu en vois une bonne longueur ceindre également sa taille entre les pans écartés de son manteau. Elle s’est pendue avec cette chose que tu es incapable de reconnaître. L’odeur est infecte. Ses pieds qui se balancent doucement dessinent sur le sol de la cellule une ombre mouvante en forme d’entonnoir. Tu entends le léger ploc que produit chaque seconde en y tombant pour emplir le monde de ténèbres. 






mardi 22 novembre 2016

Valérie Allam sous le feu des questions

Les questions du Boss.

1- N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?
  • L'écriture est jubilatoire. La souffrance vient surtout du manque de temps et de liberté pour écrire.


2- Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?
  • L'excitation de mener la danse.


3- Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?
  • Pourquoi pas, si les gens sont heureux comme ça ? A chacun d'y trouver son compte.


4- Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?
  • Je suis une lectrice sur papier pour ma part, mais j'écris aussi pour des formats numériques chez Ska. Cette évolution vers le numérique est inéluctable : il y a moins de poussière sur une liseuse que sur une bibliothèque.


5- Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?
  • Assez peu et sûrement pas assez. Mais j'aime bien me tenir informée par ce biais des nouveautés dans le domaine de l'écrit.


6- On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ? 
  • Ne pas attendre les réponses devant la boîte aux lettres, continuer à écrire et cultiver l'auto-dérision.


7- Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.
  • Non, je n'ai pas ce genre de relation. Mais, qu'on se le dise, je serais consentante...


8- J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?

  • Les femmes sont davantage présentes en littérature tout court, comme dans de nombreux domaines dans notre société. Pour ce qui est du polar, homme ou femme, nous baignons tous dans une certaine culture du noir qu'on le veuille ou non, à travers les films, séries ou livres, mais également par le biais d'une actualité où le fait divers est bien plus relayé qu'il y a 15 ans. Les femmes auteurs y apportent sans doute une autre sensibilité, évidente et nécessaire puisque nous constituons la moitié de l'humanité.


9- Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?
  • Je suis joueuse...


Les questions de Mme Louloute.


1- Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?
  • C'est une lutte incessante de se ménager du temps pour l'écriture.


2- A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?
  • Moi, je jubile en général, parce que contrairement à eux, je sais ce qui va leur arriver ensuite.


3- La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?
  • ...au pilon, bien souvent !


4- Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.
  • Il y en a beaucoup trop dans mes placards, c'est le bazar, si je t'en sors un, la seconde suivante, cinquante te dégringolent sur la tête. Respectons l'équilibre précaire des choses, stp...


5- Boire ou écrire, faut-il choisir ?
  • Oui. Je bois après...


6- La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.
  • Le cinéma, les soirées entre amis, le jazz, le rock et le soleil...


7- Lire aide à vivre. Et écrire ?
  • C'est manier les commandes, prendre le pouvoir, être en maîtrise. C'est excitant.


8- Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?
  • Une journaliste se penche vers le père de mes enfants qui attendait en retrait la fin de ma lecture, et lui chuchote « Pas facile d'être le mari de..., hein ? ». Certaines personnes sont restées au siècle dernier.


Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.
  • Merci à vous !






vendredi 18 novembre 2016

Nouvelle anonyme N°11 : Etre lu peut nuire gravement


Laurina a une passion dévorante dans la vie : la lecture. Elle a besoin des livres comme d’autres ont besoin de tabac ou d’alcool. Chaque page qu’elle dévore vaut une bouffée de cigarette ou une gorgée de grand cru. Sauf que ce n’est pas dangereux de lire. En effet, a-t-on déjà entendu parler d’un lecteur mort d’un cancer du roman ou d’une « rupture de livrisme » foudroyante ?
Laurina envie terriblement le talent des auteurs qu’elle lit. À tel point que leurs romans sont devenus ce genre d’obsession qui s’insinue tel un poison dans ses veines et fait d’irrémédiables ravages. Être lu n’est pas dangereux normalement, mais quand c’est par Laurina, c’est une autre histoire.
Plus rien n’est normal. On entre dans une autre dimension…
Pour elle qui, dans sa jeunesse, fréquentait assidûment les établissements de jeux, les écrivains sont comme des croupiers de casino. La différence, c’est que ce ne sont pas des cartes qu’ils distribuent avec dextérité mais des mots, des phrases, des idées brillantes. À chaque lecture, elle retrouve cette fièvre de joueuse invétérée qui, fébrilement, récupérait les cartes, jouait des heures et finissait par tout perdre. Toutes ces histoires, dont elle se délecte, la rage au ventre, lui rappellent invariablement combien la sienne est sans intérêt. Laurina a une quarantaine d’années, un mari, trois enfants et mène une existence normale. Désespérément banale à ses yeux, tout comme son physique d’ailleurs, très commun. Pour son entourage, sa famille, ses amis, c’est une bonne épouse, une mère attentionnée, une amie disponible. Elle admire les chercheurs dont les découvertes marquent à jamais l’histoire ou ces écrivains qui immortalisent leurs inspirations dans des livres mais elle sait que sans un coup de pouce, son destin n’aura rien d’exceptionnel. Elle sera vouée à végéter, comme tous ceux qui mènent des vies silencieuses, discrètes, indignes d’intérêt. Les seules traces qu’elle laissera de son existence couleront dans les veines de sa descendance. En somme, cette femme n’est pas le genre de personne qui inspire l’écriture d’un long roman. Le titre suffirait largement à évoquer sa vie. C’est dans sa tête qu’il faudrait fouiller pour s’apercevoir qu’il y a une existence parallèle grouillante. Si quelqu’un avait pu lire dans ses pensées, deux des auteurs français les plus prometteurs du moment écumeraient encore gaiement les salons du livre à l’heure qu’il est. Au lieu de cela, ils sont portés disparus depuis plusieurs mois et les enquêteurs chargés de les retrouver tournent en rond, sans aucun indice qui puisse leur indiquer s’ils sont morts ou vifs. Même le détective privé mandaté conjointement par les deux maisons d’édition fait systématiquement chou blanc.
Tout a commencé il y a environ deux ans. Après avoir lu leurs livres, en particulier "Assassinat médiatisé" pour l’un et "À neuf doigts de la mort" pour l’autre, Laurina a commencé à échanger avec deux auteurs, Eliane Gymot et Klaus Korni. Elle a admiré la plume d’Éliane trempée sans concession dans les affres de la passion amoureuse et s’est délectée, chez Klaus, d’un style déjanté et satirique. Petit à petit, de nouvelles idées ont germé dans l’esprit torturé de Laurina. Le genre de projets qui n’annoncent rien qui vaille. Elle se dit que le destin ne lui promettant pas des aventures palpitantes, c’est à elle de forcer les choses une fois de plus, de les écrire à sa façon. Ce serait SON œuvre, et pour la ponctuer, elle n’hésiterait pas à troquer la plume contre un couteau et l’encre contre le sang. Son but est de manipuler certaines inspirations littéraires qui exacerbent sa jalousie à longueur de chapitres. Il faut qu’elle y parvienne cette fois, à tout prix. Sa machination en tête, Laurina a pris contact avec ses deux auteurs préférés du moment. Elle s’est immiscée plusieurs mois durant dans leur toile sur le NET, telle une araignée discrète qui devient vite un élément habituel d’un jardin et dont on ne se méfie plus. Elle leur a inspiré de la sympathie et peu à peu, cette sympathie a laissé place à quelque chose de plus sérieux, plus engageant. Un intérêt et un désir mutuel de se rencontrer sont inévitablement nés de leurs échanges. Aussi, quand Éliane et Klaus lui ont annoncé qu’ils participaient ensemble à une séance de dédicaces dans une librairie de la région, ils n’ont pas été étonnés que Laurina leur propose avec enthousiasme le couvert et le gîte.
Le jour J, éreintés par une journée de dédicaces et la tête encore pleine de cette foule de lecteurs enthousiastes venus les rencontrer, ils arrivent à l’heure du repas à Cronisson, un lieu-dit tellement perdu en pleine campagne ardéchoise que même le GPS, dernier cri et mis à jour, a eu des hésitations. Les deux auteurs sont un peu surpris de trouver Laurina sans mari ni enfants mais le premier contact réel est très chaleureux. Elle est seule au logis avec un énorme berger allemand qui inspire à première vue autant de confiance qu’un dentiste avec une curette à la main mais il ne présente aucun signe d’agressivité. Dans le salon, un matou gris insouciant, étalé tout en longueur sur le canapé, ronronne paisiblement.
— Ronald et nos trois enfants sont partis passer le week-end au bord d’un étang que nous louons à l’année à une vingtaine de kilomètres d’ici, pour nous laisser profiter de ce moment ensemble, leur annonce-t-elle avec naturel.
Comme la maison est imprégnée du fumet alléchant d’un plat mijoté et que la faim a pris le dessus sur tout le reste, l’information reste sans importance aux yeux des deux romanciers qui sont surtout venus pour faire plus ample connaissance avec Laurina. Éliane et Klaus sont à peu près tels qu’elle les a imaginés d’après toutes les photos qu’elle a en sa possession. Elle les a récoltées sur le net avant de les imprimer et les punaiser soigneusement aux murs de son bureau. Physiquement, ils sont fidèles aux clichés publiés sur les réseaux sociaux. Ils n’ont visiblement pas cherché à mettre exagérément en valeur des atouts physiques, comme le font beaucoup d’internautes. Laurina constate qu’ils ne sont pas bien grands tous les deux. Un détail qui ne suscite aucun intérêt pour la plupart des gens mais se révèle d’une importance capitale pour quelqu’un qui pourrait envisager l’idée de creuser une fosse. Le seul problème, c’est que la sympathie qu’ils dégageaient déjà travers l’écran est décuplée dans le réel. La tâche s’annonce plus difficile que prévu mais Laurina a bien l’intention de parachever ce projet qui l’a obsédée des nuits entières, jusque dans ses rêves. Dans un premier temps, il faut amadouer les deux invités, les installer dans un bien-être et une confiance absolus. Pour cela, elle sert un repas copieux agrémenté de spécialités du coin et généreusement arrosé d’un vin rouge régional. Klaus, qui ne crache jamais sur un bon arabica pour digérer, n’est pas porté sur l’alcool. C’est dans son expresso que Laurina verse discrètement le tranquillisant pour le rendre plus docile. Pour Éliane, c’est gagné d’avance. Cette épicurienne jouit visiblement de la vie dans les volutes de fumée de cigarettes et les boissons alcoolisées. Le nombre de mégots écrasés au fond du cendrier et les deux bouteilles vidées pendant le repas en témoignent. Le Côte du Vivarais secrètement aromatisé de substances euphorisantes fait rapidement son effet. À table, Laurina évoque un endroit tranquille situé en dehors du village, surnommé « Le creux » dont elle leur narre l’histoire mystérieuse avec verve :
— On y trouve une petite construction perdue au milieu des bois qui fait penser à une sorte de chapelle. C’est Édouard, un ancien administré de Cronisson qui l’a faite bâtir dans les années cinquante. Peu après l’achèvement des travaux, il a subi la disparition tragique de sa femme et de sa fille, un bébé de quelques mois, mortes dans l’incendie accidentel de leur maison. La violence des flammes a effacé toutes traces de leurs corps. Édouard, absent avec son fils de deux ans au moment du drame, est régulièrement venu pendant des mois se recueillir dans sa chapelle devant une statue de la Sainte Vierge et toutes sortes d’autres reliques pieuses. C’est du moins ce qu’on raconte dans le village car on ignore pour quelles raisons, une superstition idiote probablement, personne n’a osé pénétrer dans ce lieu du vivant d’Édouard et pas davantage après sa mort survenue il y a trois ans. Pas même les gosses du coin les plus téméraires en quête de frasques inédites. L’endroit a depuis été condamné par les autorités locales et un panneau dissuade d’y entrer. De toute façon, plus personne n’y attache d’importance depuis bien longtemps maintenant.
Éliane et Klaus écoutent cette histoire d’une oreille attentive et sentent monter en eux cet intérêt commun qui les pousse à écrire des romans. Les stupéfiants ont une incidence sur leurs capacités physiques ; Éliane se sent toute drôle et s’esclaffe pour un rien et Klaus perd au fil des heures cette vivacité qui le caractérise. En revanche, la partie de leur cerveau constamment overdosée de littérature n’est en rien altérée, bien au contraire. Des idées diffuses titillent déjà leur plume si bien qu’ils prient instamment Laurina de les emmener là-bas après le repas. Après quelques hésitations calculées, elle finit par accepter. Bien que cet enthousiasme arrange ses affaires, elle ne comprend pas les motivations soudaines de ses hôtes pour un lieu qui, en dehors de son histoire atypique teintée de drame, ne peut avoir un intérêt géographique que pour elle. Après tout, ce sont des écrivains…
En fin de soirée, les trois amis, Laurina, équipée d’un sac à dos, Éliane et Klaus également avec, à l’intérieur, les calepins et stylos qui ne les quittent jamais, sortent dehors à l’initiative de Laurina. Ils profitent dans un premier temps du silence de la campagne profonde. Le calme est accentué par l’obscurité d’un ciel vespéral sans étoiles et pourrait aussi bien privilégier un état de bien-être que d’angoisse. De surcroît, il n’y a aucun lampadaire dans les environs. Une ambiance à laquelle les deux auteurs citadins ne sont pas accoutumés mais ils sont portés par l’excitation de se rendre sur les lieux. Marcher longtemps, éclairés à la lampe frontale, ne semble pas les déranger. Au contraire, ils sentent comme un parfum épicé d’aventure. Une fois arrivés sur place après une bonne heure de marche dans les bois, Laurina sort une pince de son sac à dos pour venir à bout du cadenas qui condamne l’entrée. Elle a la clé mais se garde bien de le signaler. La porte s’ouvre sur un espace restreint et une odeur singulière. Les reliques évoquées dans le récit sont bien là et l’atmosphère commence rapidement à devenir pesante. Éliane est intriguée par des détails :
— C’est bizarre, murmure-elle à Klaus dans un souffle d’inquiétude manifeste, le cadenas semble plutôt récent et Laurina a affirmé que la pièce n’a pas été visitée depuis des années. Pourtant, c’est plutôt propre ici.
Klaus ne se sent pas apaisé non plus tout à coup. Il n’en veut rien montrer, mais Éliane remarque qu’il prend des notes sur son calepin d’une main légèrement fébrile. Les drogues les empêchent tous deux de réagir tout à fait normalement. Quand Laurina ouvre une deuxième porte et leur propose de prendre l’escalier qui se trouve derrière, ils obéissent sans broncher. Après tout, pourquoi s’inquiéter ? Leur hôte n’est pas du genre à leur faire courir des risques mais avant d’avoir le temps de s’en persuader vraiment et réaliser quoi que ce soit, ils se retrouvent enfermés à double tour dans une pièce sombre. L’odeur passe violemment de singulière à pestilentielle... À tâtons, Klaus longe les murs de pierres à la recherche d’un interrupteur qu’il ne trouve pas. Il finit par sentir une cordelette sur laquelle il tire. Un vieux système d’éclairage se met alors à fonctionner et un faible halo de lumière leur permet de se découvrir mutuellement des yeux épouvantés et ahuris. Ce face-à-face surréaliste dure plusieurs minutes. Leurs regards où se mêlent la peur et l’incompréhension finissent par se détacher l’un de l’autre pour se poser sur l’espace d’une vingtaine de mètres carrés qui les entoure. C’est restreint et sale, contrairement à la pièce du dessus. Sur un côté, un rideau entrouvert laisse voir un vieil évier, une douche et des toilettes sommaires qui semblent avoir beaucoup servi. Plus loin, deux matelas posés à même le sol. Dans le fond de la pièce, de la vaisselle, des boîtes de conserve de toutes sortes, des bouteilles d’eau et tout le nécessaire pour écrire sont entreposés sur des étagères. Juste en dessous, une vieille et grande malle de rangement attire le regard et, instinctivement, inspire des sentiments contradictoires aux deux amis. On ne sait jamais ce que peut renfermer ce genre de meuble ! Pourtant, sans qu’ils aient besoin de se concerter, la curiosité l’emporte sur l’inquiétude. Tous deux se rapprochent pour l’ouvrir à quatre mains et comprennent alors d’où vient l’odeur.
— Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? hurle Éliane avant d’aller se réfugier vers les toilettes, le cœur et surtout le vin bu tout au long du repas au bord des lèvres.
Brusquement, elle se sent douloureusement rattrapée par toutes les atrocités jusqu’ici sorties tout droit de son imagination et couchées sur le papier au calme dans son petit bureau. Klaus est tétanisé devant le contenu du coffre. Il se tient là, le teint blême et les lèvres pincées par l’anxiété. Ses yeux écarquillés et sa main tremblante posée sur son front moite trahissent aussi ouvertement un état d’accablement. L’ancien cancre n’a pas brillé en biologie au collège mais pour ses besoins d’écriture, il a soigneusement étudié la décomposition des cadavres. Même sans cela, il saurait reconnaître des ossements. Or là, entre des lambeaux de tissus, il y a manifestement les restes de trois humains. L’un est beaucoup plus petit que les autres et le troisième, sur le dessus, est encore recouvert de chairs sèches grouillantes de dermestes. Klaus pense reconnaître la septième escouade d’insectes, ce qui lui permet de situer la mort de 1 à 3 ans en arrière sur l’échelle du temps. Pour les deux autres, c’est en décennies que l’on peut compter.
— Il y a le squelette d’un bébé dans ce coffre et un mort récent. Qu’est-ce qui se passe bordel, Éliane ? C’est qui cette cinglée ?
Éliane, prostrée dans son coin, ne répond pas et pense à son paquet de cigarettes oublié sur la table du salon. Laurina se tient justement derrière la porte équipée d’une trappe comme on en trouve dans les prisons pour faire passer les plateaux-repas. Aidée par la vue plongeante dont elle bénéficie sur la pièce grâce aux escaliers, elle ne perd pas une miette des réactions de ses hôtes qui ne calculent plus sa présence, plongés dans l’adversité. Elle jubile. Enfin, son heure de gloire a sonné et le moment est venu de leur annoncer ce qu’elle attend d’eux à l’avenir :
— Écoutez-moi attentivement vous deux, lance-t-elle, le visage soudainement marqué par la méchanceté collé dans l’encadrement de la trappe, vous allez rester ici quelques temps et croyez-moi, personne ne pensera à venir vous chercher dans les parages. Vous avez tout ce qu’il faut pour survivre dans cette pièce. Je viendrai de temps en temps de nuit voir si vous ne manquez de rien.
Klaus l’interrompt pour demander d’une voix blanche qui sont les deux autres squelettes dans le fond de la malle.
— C’est ma grand-mère et ma tante. En fait, Édouard était mon grand-père. Elles ne sont pas mortes dans l’incendie comme tout le monde l’a pensé à l’époque. C’est lui qui les a assassinées.
— Mais pourquoi Bon Dieu ? Comment peut-on tuer sa femme et son bébé ? Et pourquoi avoir épargné le petit garçon ? C’était ton grand-père… Au moins ta personnalité s’explique, s’exclame Éliane, sortie de sa torpeur et abasourdie par ce qu’elle vient d’entendre.
— Le bébé n’était pas le sien poursuit gravement Laurina. C’était un enfant né de l’adultère. Quand il l’a appris, mon grand-père est devenu fou et il a prémédité sa vengeance. Il a fait construire cet endroit dans le but de séquestrer la femme infidèle et le nourrisson. Peu de temps après, il a mis le feu à la maison pour faire croire à leur mort accidentelle. À l’époque, les enquêteurs n’ont pas été très pointilleux, il faut dire que ma famille était très respectée dans la région. En réalité, ma grand-mère et ma tante sont mortes au bout de quelques mois de maltraitances, ici même. Les torturer était l’activité principale d’Édouard avant d’aller prier là-haut, pour excuser ses actes. Mon père, âgé de deux ans à l’époque, a su la vérité dans les derniers mots d’Édouard sur son lit de mort il y a trois ans. Il m’a parlé de ce secret trop lourd à porter seul en me faisant jurer de ne pas en parler à la police. De toute façon, à quoi bon ? Le meurtrier est mort et enterré.
— Quel lien entre cette histoire, Éliane et moi ? Et qu’est-ce que tu attends de nous ? s’inquiète Klaus qui se projette dans un avenir de plus en plus incertain.
— Aucun rapport, si ce n’est cet endroit. Je veux juste qu’à quatre mains, vous m’écriviez le meilleur roman de votre vie. Je sais que vous en êtes capables. Deux talents pour une histoire ne peuvent que frôler la perfection. Quand ce sera fait, je m’arrangerai pour le faire éditer sous mon nom et enfin, je saurai ce qu’est la célébrité en littérature. Peu de temps si tout se passe comme je l’exige car ensuite, je vous libérerai. La vérité éclatera et je finirai ma vie en prison mais réaliser mon rêve vaut largement ma liberté et ma vie de famille. Je laisserai définitivement ma trace dans l’univers des livres puis dans les faits divers.
Klaus et Éliane n’en reviennent pas d’avoir échangé avec une folle pareille pendant des mois sans avoir rien décelé de cette personnalité trouble. Dire qu’ils la trouvaient même attachante ! Voilà qu’ils se retrouvent face à une malade mentale qui n’en finit plus de les stupéfier.


— Vous n’êtes pas les premiers auteurs à finir ici, ajoute-t-elle. J’ai déjà tenté l’expérience il y a environ deux ans mais ce fut une perte de temps. J’ignorais que l’écrivain était gravement malade lorsque je l’ai piégé. Il n’a survécu que deux mois à la séquestration sans avoir terminé le premier chapitre. Je me suis tout particulièrement appliquée à lui faire payer physiquement cet échec avant sa mort.
— Mais tu te rends compte de ce que tu nous demandes ? Tu crois vraiment qu’enfermés ici pendant des semaines ou des mois, nous aurons le cœur à écrire ? Et puis tout le monde va s’inquiéter et nous rechercher…
Laurina éclate d’un rire démoniaque qui suspend le commentaire de Klaus, résonne dans la petite chapelle et terrifie un peu plus les deux malheureux écrivains.
— Mon grand-père a caché un crime pendant près de soixante ans. J’ai ça dans les gènes. Mon caractère et l’existence paisible que je mène me préserveront comme lui de tout soupçon. Si j’étais vous, je m’activerais sans tarder d’écrire mieux que jamais pour espérer retrouver la liberté. Si je n’ai pas mon roman dans quatre mois, votre dernière demeure, à trois mètres sous terre, sera bien plus exiguë et encore moins confortable que celle-ci. J’ai un terrain de plusieurs hectares où je peux creuser deux tombes en chantant…
Pour la première fois de leur carrière, Eliane Gymot et Klaus Korni regrettent amèrement d’avoir été lus. Leur espoir de rester en vie pèse dorénavant le poids d’une plume d’écrivains.


mardi 15 novembre 2016

Ciceron Angledroit – Sous le feu des questions

LES QUESTIONS DU BOSS
N'y a-t-il que du plaisir, dans l'écriture, ou t'est-il déjà arrivé de ressentir une certaine forme de douleur, de souffrance, dans cet exercice ?
  • Je ne parlerais pas de plaisir à proprement parler mais plutôt de besoin d’écrire. Une certaine « souffrance » (relative) apparait au mot « fin »… quand je quitte mes personnages (récurrents)…

Qu'est-ce qui te pousse à écrire, finalement ?
  • J’ai du mal à répondre à cette question…c’est un besoin ancré de longue date que j’analyse mal. Peut-être un moyen de recadrer mes ressentis sur la réalité, d’exprimer des revendications, de m’ouvrir une tribune.

Comme on le constate aujourd'hui, tout le monde écrit ou veut s'y mettre. Sportifs, stars du show biz, présentateurs télé, journalistes, politiques, l'épicier, ta voisine... de plus, des sites proposant des services d'auto-édition pullulent sur le net. Ça t'inspire quoi ?
  • C’est sûrement salutaire mais, en même temps, ça banalise l’acte d’écrire et, trop souvent, favorise une certaine médiocrité qui finit par « abrutir » le lecteur. 
 
Le numérique, le support d'internet, les liseuses, les ebook, les réseaux sociaux, sont une révolution pour les auteurs et bousculent également le monde de l'édition. Que penses-tu de ce changement ?
  • Faut vivre avec son temps même si ça rend, à mon avis, moins lisible le fait d’écrire… une banalisation dans laquelle on se noie.

Il semble que de plus en plus, les auteurs prennent en charge leur communication, font leur publicité, créent leurs propres réseaux, prolongeant ainsi le travail de l'éditeur de façon significative.Te sers tu toi aussi de ce moyen pour communiquer sur ton travail, annoncer ton actualité, discuter avec tes lecteurs ou d'autres auteurs et ainsi, faire vivre tes livres plus longtemps ?
  • J’adore échanger directement et, pour l’heure, je suis bien servi par un éditeur qui ne fait strictement rien. Mais je suis très béotien en la matière et, hormis facebook (dont je ne maîtrise pas tout), j’ai des progrès à faire pour ma communication.

On dit qu'en 25 ans, le nombre de livres publiés a été multiplié par deux, leur tirage ayant baissé de moitié pendant cette même période. Comment sortir le bout de sa plume de cette masse de publications ? Être visible ? N'est-ce pas décourageant pour les jeunes auteurs ? Que leur dirais-tu ?
  • Je n’ai guère ce souci, personnellement, car j’écris plus pour ceux qui me lisent (et pour moi) que pour la postérité…je préfère plaire à peu que vendre à tout le monde…Les choses arrivent souvent quand on ne les attend pas. Je n’ai donc aucune stratégie.

Les relations entre un éditeur, ou un directeur de collection, et un auteur, pourraient faire l'objet d'une psychanalyse, me disait un écrivain, récemment. Qu'en penses-tu ? Comment analyserais-tu cette relation que tu entretiens avec eux.
  • Pas facile à dire. Je quitte un éditeur peu impliqué pour découvrir une « vraie » maison d’édition. Et tout se passe très bien…

J'ai pensé longtemps, et ma bibliothèque s'en ressentait, que le noir, le polar, était une affaire de mecs. Les coups durs, la débine et la débauche, les gangsters, la baston, les armes, les crimes et la violence en général… une histoire de bonshommes. Aujourd'hui, les femmes sont de plus en plus présentes dans l'univers du polar. Grâce au Trophée, j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de nombreux auteurs femmes dans ce genre. Ce n'était pas le cas il y a quelques décennies.
Quelles réflexions cela t'inspire-t-il ? À quoi cela est il dû, selon toi ? En lis-tu et, si oui, Lesquelles ?
  • Je lis peu car je suis pollué par un œil critique. Les femmes constituent l’essentiel du lectorat, il est donc tout naturel de les voir écrire. Le polar est souvent un véhicule pour faire du « sociétal ».

Pourquoi as-tu accepté de participer à ce Trophée ?
  • Je suis peu coutumier des challenges que je trouve, par ailleurs, trop nombreux….Mais comme l’occasion de participer à celui-ci qui se trouve, en outre, être très motivant et de qualité, je fonce… y’a plus qu’à   !

LES QUESTIONS DE MME LOULOUTE
Vie professionnelle, vie de famille, salons et dédicaces, à l'écriture reste-t-il une place ?
  • Faut un peu jongler et compartimenter… j’ai la chance de n’avoir plus d’activité professionnelle depuis peu…et ça libère du temps (et pas que pour écrire).

A-t-on encore les idées claires, quand tous nos héros broient du noir ?
  • Mes héros ne broient pas du noir… Un est spécialisé dans le rose et l’autre dans le jaune…

La rentrée littéraire approche. Un livre, ça va, 560, où est-ce qu'on va ?
  • Mon avis est que les dés sont pipés. Les « beaujolais nouveaux du livre » raflent tout grâce à une communication bien plus marketing que littéraire et un lectorat grégaire qui ne s’en écarte pas.

Le dicton du jour : À la saint Grégoire, sort un livre de ton placard. Je t'écoute.
  • « y’a une vie avant la mort »…

Boire ou écrire, faut-il choisir ?
  • Pour moi, pas de choix ! Je bois du café en écrivant… ça a toujours été comme-ça depuis mes rédactions du collège…

La littérature est le sel de la vie. Passe moi le poivre.
  • Le ciné, l’air léger du printemps dans les narines….

Lire aide à vivre. Et écrire ?
  • à moins mourir …. (je parie qu’on va être nombreux à répondre un truc dans l’genre  )

Une anecdote à nous narrer, sur un salon, lors d'une dédicace, d'une table ronde, un événement touchant, drôle, étrange… ?
  • Les questions rituelles : 
               -- C'est vous qui les écrivez ? » 
               -- « C’est où qu’on les trouve ?
               Et le must (nouveauté de dimanche dernier)

              --  «vous êtes là quand ? » (alors que j’étais devant la dame) 
Nous te remercions d'avoir répondu à nos questions et d'être présent(e) avec nous, pour cette troisième édition du Trophée Anonym'us.
  • C’est moi qui vous remercie…… Bravo !!!!