Télécharger en epub
Télécharger en pdf
Les
rayons éblouissants du soleil envahirent la chambre d’Angèle.
Elle adorait être réveillée par les caresses de l’astre. Elle
esquissa un sourire. La journée allait
être agréable.
Profitant
de l’instant, elle
demeura inerte quelques
secondes.
Le
réveil scandait fièrement 6 h 15.
Elle
haussa les épaules.
« Allez, sors des draps », dit-elle à voix haute en
guise d’encouragement.
Elle se leva, ouvrit la fenêtre,
huma l’air encore frais du matin.
Elle
fit ensuite
son
lit. Une journée ne pouvait décemment pas être entamée si le lit
n’était pas mis en ordre. Comme chaque jour à cette heure
matinale
elle eut une pensée nostalgique pour son époux.
Elle ne s’habituerait jamais à ce grand lit.
Cela faisait plus de cinq ans qu’il avait quitté ce monde.
Elle survivait, depuis, grâce à la présence de Léonie, sa fille
unique, et de Louis, son petit-fils.
Fredonnant
un vieil air, Angèle
descendit l’escalier qui menait au
rez-de-chaussée
avant de s’exiler
dans
la cuisine. Elle ouvrit une fenêtre et salua
sa
voisine qui s’affairait
déjà
dans son jardin avant que la chaleur ne devienne accablante. Angèle
se dirigea vers la cafetière, mais se ravisa. Pas de café, ce
matin. Il faisait trop chaud. À la place, elle sortit une
bouteille de
sirop d’amandes
du réfrigérateur.
Elle versa un doigt
du liquide visqueux et blanc dans
un verre avant de l’arroser d’eau fraîche. En
portant le verre à ses lèvres, Angèle
roula les yeux de plaisir. Cela faisait du bien.
Elle
se dirigea ensuite vers la salle de bains. Une douche tiède finirait
de la
réveiller
pour la journée. Angèle
s’arrêta face au miroir. L'image que lui renvoyait la glace
était celle d’une femme mûre. Cheveux gris, poches sous les
yeux, peau abîmée par le temps. L’expression d’une dame qui
avait passé sa vie à se tuer au travail. L’image d’une personne
qui avait toujours vécu simplement. Juste assez d’argent pour
manger. Une épouse et une maman qui n’avait jamais hésité à
sacrifier sa vie pour ceux qu’elle aimait.
Lorsqu’elle
fut fin prête, elle quitta sa
maison.
Habitat simple, comme elle. Bâtiment fatigué par les années, comme
elle. À
quelques pas de là,
vivait Léonie. Elles n’avaient pas pu s’éloigner l’une de
l’autre ; aussi Angèle s’était-elle débrouillée pour lui
dénicher une maison. Elle n’aimait pas tellement son gendre. Ce
n’était pas grave, car ce dernier était souvent en voyage pour
affaires.
Angèle pouvait profiter un maximum de son enfant. En passant devant
la porte
grande
ouverte de sa fille, Angèle annonça qu’elle allait chez le
boulanger. « Tu as besoin de quelque chose, ma chérie ? »
« Non, maman », hurla Léonie
qui devait se trouver de l’autre côté de la maison. Elles avaient
de la chance. La vie rurale ne forçait personne à se barricader
comme sont obligés de le faire les citadins.
La
boulangerie se trouvait au
bas
de la rue. Chemin faisant, Angèle salua un passant. Bien que ne
connaissant pas tout le monde, les habitants avaient pour coutume de
s’apostropher poliment
lorsqu’ils
se croisaient. À
l’intersection…
Angèle
sursauta avant de s’arrêter net. Un
souffle glacial lui caressa la nuque. Elle
se retourna vers la voix qu’elle venait d’entendre, prête à
répliquer. Ses
poils se hérissèrent
lorsqu’elle s’aperçut que seule la brise lui avait emboîté le
pas. Elle haussa les épaules. « Tu te
fais vieille,
ma belle », déplora-t-elle
les
lèvres mi-closes. Elle s’activa
aussi rapidement que ses jambes le lui permettaient.
Direction
la
bonne odeur de pain chaud qui lui chatouillait
déjà
les narines.
En
sortant de la boulangerie,
elle s’arrêta un bref instant au seuil de la porte. Elle huma
l’air qui commençait à se réchauffer. Elle leva les yeux au
ciel. Il était d’un bleu éblouissant.
Toutes ses pensées les plus douces convergèrent vers son mari. Il
lui manquait tellement. Mais elle savait que de là-haut, il
continuait à veiller sur elle. Elle sourit alors qu’une larme
coulait sur sa joue. Angèle
posa un pied sur le trottoir, s’avançant
vers
le domicile de Léonie.
Elle remontait la chaussée lorsque, soudain, elle s’arrêta
exactement à l’endroit où son ouïe s’était jouée d’elle.
Angèle
ne pouvait se l’expliquer, mais cet événement l’avait
perturbée.
Elle se posta là quelques secondes, espérant que quelque chose se
passerait. Rien. Elle reprit son ascension. Malgré son âge, elle
parvenait encore à gravir l’inclinaison de la
ruelle.
Quelques
minutes plus tard, elle sirotait un verre de sirop d’amandes dans
le jardin de
sa fille. Décidément, elle adorait cette boisson. Rien n’était
plus rafraîchissant. Elles échangèrent quelques mots, s’amusèrent
de voir le petit Louis
courir maladroitement derrière une mouche affolée par le colosse
qui la pourchassait.
La
journée s’annonçait comme toutes les autres. Rien ne laissait
présager la moindre fausse note. Lorsque les verres furent vidés de
leur contenu, Léonie
proposa à sa mère de se rendre au centre-ville faire du
lèche-vitrines.
Angèle accepta avec enthousiasme. Elles adoraient passer du temps
ensemble. Les villageois les avaient surnommées « Les
indivis ». On ne voyait j’aimais l’une sans l’autre.
Certains considéraient leur relation d’un mauvais œil. « Tout
de même, c’est étrange, cette fille est mariée, mais passe tout
son
temps avec sa mère »,
pouvait-on entendre dans la région. Elles n’en avaient cure.
L’époux de
Léonie travaillait
dans une autre région et ne revenait qu’une fois par mois.
Léonie
mit son enfant dans le siège-auto. Il appréciait les balades en
voiture. Il était de nature calme. Elle s’installa
derrière le volant, boucla
sa ceinture et enjoignit sa mère à faire de même. Angèle avait
une fâcheuse tendance à oublier ce détail. Elle décocha un clin
d’œil complice à sa fille. À
l’intersection…
Elle
se figea. Ses mains devinrent moites, son teint exsangue.
— Maman ?
Tout va bien ? Tu es toute pâle.
Silence.
Le
ciel se couvrit soudainement d’épais nuages gris. L’orage prévu
en fin de soirée se préparait lentement.
— Ouh-ouh,
maman ?, l’interpella Léonie.
Angèle
se
retourna
lentement
vers sa
fille
en demandant si elle avait entendu. Entendre quoi, Léonie
ne
le saurait
jamais.
Angèle fixait déjà la route, son esprit absorbé par ses pensées.
Elle
avait
l’impression
que quelque chose n’allait pas. C’était la deuxième fois ce
matin qu’elle entendait cette phrase. La
sénilité l’avait épargnée jusqu’alors. Devenait-elle
folle ?
Quelqu’un tentait-il
de communiquer avec elle ?
Elle
avait une
croyance
inconditionnelle en Dieu et le
paranormal. Elle était persuadée que les défunts
communiquaient
parfois avec
les vivants.
C’était peut-être cela. Il fallait qu’elle tende l’oreille
et entende. Mais
à l’intersection de quoi, bon sang, se dit-elle. Creuse…
Son
cœur se mit à cogner fort dans sa poitrine. Une goutte de sueur
roula le long de sa nuque. Elle
ne prononça pas un mot de tout le trajet.
Prostrée dans ses pensées, les mains crispées. Avant de quitter la
voiture, Léonie s’était assurée qu’Angèle allait bien.
Cette
dernière accusa son âge et la fatigue qu’il engendrait.
La
promenade en ville se déroula sans encombre.
Angèle
avait retrouvé ses esprits et se consacrait
à sa fille et son petit-fils. Elle
n’achetait que très rarement. Sa fille aussi. Elles
n’étaient
pas issues
d’un milieu aisé. Seul le nécessaire méritait que l’on
dépensât des sous. Elles devaient rester
prudentes. Les temps étaient durs. Elles appliquaient donc à la
lettre l’expression « faire du lèche-vitrines ».
Deux ou trois heures s’écoulèrent entre un « léchage »
et l’autre. Les deux femmes ne tardèrent pas à retourner au
village. Dès treize heures, la douceur agréable du matin laisserait
place à une chaleur accablante.
Elles en avaient l’habitude. Elles rebroussèrent donc chemin.
Elles
devaient encore déjeuner. Pas grand-chose.
En cette saison, elles mangeaient léger. Sur
la table de sa cuisine, Léonie déposa quelques
crudités, un peu de charcuterie et du fromage. Faisant mine de
consulter sa montre, Angèle annonça à sa fille qu’il était
l’heure de la sieste. À son âge, on était comme les enfants :
une sieste était essentielle
à
l’organisme.
Arrivée
chez elle, Angèle
fut surprise par l’air frais qui l’enveloppait. Il devait faire
30 degrés à l’extérieur, pourtant des frissons la secouèrent.
Une moue interrogative déforma ses lèvres. Étrange sensation se
dit-elle avant de
se laisser enlacer
par
les bras que lui tendait son sofa. Un sourire retroussa ses lèvres
ravinées par le temps.
Le repos,
un moment privilégié. Cela faisait du bien à son corps. C’était
vital
si elle voulait rester en bonne santé. Elle ferma les yeux pour
glisser dans les méandres du sommeil.
Remonta le plaid jusqu’au menton et se recroquevilla.
À
l’intersection…
À
peine avait-elle senti son corps s’alourdir que la même voix
l’éloignait
de Morphée. Une
voix rocailleuse. Une voix qui la fit frémir. Les
yeux écarquillés et les oreilles aux aguets, elle se contenta de
demander qui était là.
Son cœur battait dans ses tempes. Sa respiration s’accéléra.
Pour
seule réponse, le silence. Angèle soupira. Elle se mit sur son côté
droit et abaissa les paupières.
Creuse…
Prise
d’un soubresaut, la vieille dame se mit en position assise. Elle
scruta la pièce du
regard.
Ses yeux exprimaient la peur, désormais.
« Qui est là, bon sang ? Quelle intersection ?
Creuser quoi ? Parlez, je vous écoute. » Une fois encore,
seul le silence,
tenace,
lui donna la réplique. Décidément, elle ne parviendrait pas à
s’assoupir. Elle était bien trop intriguée par ce qui lui
arrivait. Était-elle encore saine d’esprit ? Peut-être
devrait-elle voir son médecin.
Compte
treize pas…
Angèle
fronça les sourcils et ploya la tête. C’était
décidé, si cette voix continuait à l’accompagner, elle
consulterait.
Elle finit par se lever. Se changer les idées. Elle saisit le livret
de mots croisés sur la table. Penser à autre chose. Durant
le reste de l’après-midi, elle ne fut dérangée par aucune
interférence auditive.
Le
soleil tirait déjà sa révérence en ce début de soirée. Angèle
avait passé une journée plutôt calme,
finalement. La voix n’était plus qu’un vieux souvenir. Elle
quitta son sofa, saisit le téléphone et composa le numéro de sa
fille. Petit
rituel quotidien.
Une
douche et une préparation culinaire plus tard, Angèle et sa fille
étaient attablées. À plusieurs reprises, elle avait tenté
d’entretenir Léonie de son problème. À l’accoutumée, elles se
disaient tout. Angèle n’avait jamais
hésité
à se confier à son enfant. Elle sentit néanmoins la confusion
l’envahir. Elle ne parvenait pas à se laisser aller
aux confidences.
Cela attendrait un autre moment. Elle préféra exprimer sa joie de
voir son petit-fils si alerte. Elle le trouvait si beau. Il
ressemblait tellement
à Léonie au même âge.
Bien que tout le monde affirmât qu’il était le portrait de son
père. « Oh ! On dirait la miniature de ton époux »
s’exclamaient leurs connaissances. Bien entendu, Angèle réprimait
son envie de réagir.
Le
repas englouti, Angèle,
installée sur le bord du lit, racontait
une histoire à Louis
tandis que Léonie
débarrassait
la table. Au bout de la deuxième page, les
paupières de l’enfant devinrent lourdes. Il
pénétrait
lentement
dans le monde enchanté des rêves. À cet âge, ils étaient peuplés
d’anges. Ce n’est que vers cinq ou six ans que les monstres
viennent gâcher la fête céleste. Mère et fille achevèrent la
soirée, lovées dans un fauteuil, livre à la main. Elles ne se
quittèrent qu’à 23 heures.
Chacune chez elle, les deux femmes se mirent au lit.
Angèle savourait ces moments. Ils étaient si précieux. Rien dans
la vie ne comptait plus que sa fille et son petit-fils, rien. Elle
aurait fait n’importe quoi pour eux.
Il
faisait chaleur oppressante. Son matelas était tout humide.
Dehors, une chape anthracite avait couvert le ciel. L’orage
n’allait pas tarder à arroser le village. Le tonnerre grondait
déjà au loin. Soudain, un
bruit sourd se fit entendre.
Un bruit insistant. Un bruit sinistre. Les
sons ressemblaient à des percussions funéraires.
Angèle
se
mit à trembler.
« Que
se passe-t-il,
mon Dieu ? », lâcha-t-elle.
Creuse…
Angèle
se
crispa.
Les
lieux étaient baignés dans
une pénombre troublante.
Angoissante. Menaçante.
Des
gouttes
de sueur perlèrent sur son front. Elle ne bougea
pas.
Sur le qui-vive, elle semblait
attendre la suite. Le regard rivé sur le plafond, elle patientait.
Rien. Elle
n’entendait que son pouls battre dans ses tempes. Soudain,
la sirène d’une ambulance déchira
la quiétude nocturne. Un frisson lui parcourut l’échine. Un jour,
l’ambulance s’arrêterait devant sa porte.
À
l’intersection des chemins…
Elle
tourna
la tête
à gauche, à droite.
Personne.
Elle
tendit
l'oreille pour mieux entendre.
Silence.
Un
rire
nerveux
s’empara d’elle.
Alors
que son corps s’agitait sous les secousses hilares :
Entre
la première et la quatrième rangée…
Elle
s’arrêta net. Angèle
n’avait plus envie de rire. Elle voulait comprendre. Elle somma
l’invisible d’expliciter ses propos.
Compte
treize pas…
« Treize
pas ? La quatrième
rangée ? Mais de quoi, Diable ! Que voulez-vous de moi ? »
hurla-t-elle dans le vide.
Entre
la première et la quatrième rangée de tombeaux…
L’orage
laissa éclater toute sa fureur. Des trombes d’eau s’échappaient
du ciel opaque. Le
sang de la vieille dame se coagula dans ses veines. Sa respiration
s’accéléra. Son cœur se comprima.
Malgré
les trente degrés qui asphyxiaient sa
chambre,
elle grelottait. « Des rangées de tombeaux ? Mon Dieu ! »
pensa-t-elle.
Soudain,
elle fut éblouie par une lumière blanche. Lorsqu’elle regarda du
côté de la garde-robe, son corps tout entier se sclérosa. Une
silhouette diaphane flottait dans l’air. « Que
voulez-vous ? »,
prononça-t-elle avec difficulté.
À
l’intersection des chemins… Entre la première et la quatrième
rangée… Creuse… À la fin du deuxième jour, lorsque le
troisième jour naît… Un trésor t’attend. En échange,
apporte-moi un objet appartenant à
ta fille…
Riche,
tu
deviendras…
Angèle
ouvrit la bouche, mais n’eut pas le temps de poser sa question.
L’entité s’était déjà évaporée. « À la fin du
deuxième jour, lorsque le troisième jour naît ? C’est
demain à minuit ! Un trésor ? Ce serait tellement bien.
Je pourrais enrichir ma fille ! Je ne parviendrai jamais à
aller au cimetière seule, à cette heure-là. » Elle ne se
rendit pas compte qu’elle monologuait. Elle demeura dubitative un
long moment avant de décréter qu’elle irait à cette fameuse
intersection. Léonie
et
elle avaient besoin de ce trésor. Elles avaient toutes les deux tant
manqué d’argent.
Le
lendemain, comme chaque jour, elle rendit visite à
Léonie.
Elles passèrent la journée à bavarder dans le jardin. Angèle tut
l’épisode ésotérique qu’elle avait vécu la veille. Elle ne
raconterait tout à sa fille qu’après avoir suivi les instructions
de l’entité. Avant de quitter la maison de Léonie,
elle fit un discret
détour
par sa chambre. Là, elle saisit la nuisette qui traînait sur le lit
et sortit à pas de loup.
Il
fut rapidement 23 heures.
Morte de fatigue, Angèle
luttait. Surtout,
ne
pas dormir.
23
h
30.
Elle se prépara, mit la nuisette de sa fille ainsi qu’une pelle à
main dans son sac et prit le chemin du cimetière.
La soirée était anormalement fraîche pour la saison. Une
atmosphère oppressante régnait dans les rues désertes. L’angoisse
lui enserrait la gorge
à mesure que ses pas s’approchaient de la nécropole. Un regard
sur sa montre-bracelet
lui indiqua qu’elle devait accélérer la cadence.
Malgré
ses jambes usées
par le temps,
elle parvint à l’entrée à temps. Arrivée
à destination, Angèle leva les yeux vers l’énorme portail de fer
noir. Impressionnant. Effrayant presque. Lorsqu’elle le poussa, les
gonds grincèrent tel le hurlement d’un chacal. Sursaut. Mains
moites. Palpitations. Il
fallait encore qu’elle trouvât l’endroit exact. Se remémorant
les indications de la veille, elle avançait.
Reculait.
Comptait.
Elle fut elle-même étonnée par
son sang-froid.
Quand
elle
estima
être au bon endroit, sa montre affichait 23 h 55.
Angèle s’agenouilla
sur le sol humide.
Au-dessus d’elle, les nuages s’étaient entassés. Il ne pleuvait
pas, mais des éclairs illuminaient la scène par intermittence.
Angèle
posa son sac à même le sol, sortit sa pelle et se mit à creuser à
minuit précis. Elle n’eut pas besoin de fouiller profondément.
Une boîte apparut rapidement. « Mon Dieu, merci ! »
souffla-t-elle
en posant la boîte à côté de son sac. Du
revers d’une main, elle essuya les gouttelettes de sueur sur son
front.
La
nuisette…
Angèle
saisit la nuisette
qu’elle avait
subtilisée
à sa
fille, l’introduisit dans le trou qu’elle avait creusé et le
referma. Hilare, elle ouvrit finalement la boîte. Elle bondit de
joie en apercevant ce qu’elle contenait. Des pierreries, des pièces
d’or, de vieux billets. « Oh ! Merci ! »,
dit-elle à l’attention du vide.
Des
larmes de joie lui ravinèrent le visage. Elle quitta les lieux, non
sans faire un détour par la tombe de l’amour de sa vie. Elle ne
s’attarda pas. Il se faisait tard et cet endroit lui filait la
chair de poule. Impatiente
d’annoncer l’incroyable nouvelle à sa fille, elle rebroussa
chemin aussi vite que son âge le permît. Avec ce que contenait
cette boîte, elles allaient enfin mener la grande
vie.
Arrivée
chez elle, elle décrocha le téléphone et composa le numéro de sa
fille. Il était une heure et
quart
du matin.
Ce n’était pas grave, cette nouvelle ne pouvait pas attendre !
Au bout de dix sonneries, elle raccrocha. Léonie
devait dormir à poings fermés à cette heure de la nuit. Déçue de
devoir attendre le lendemain, Angèle alla se coucher.
Le
jour suivant,
elle
se leva très tôt.
En ouvrant la fenêtre de la cuisine, une chaleur moite s’engouffra
dans la pièce. Le ciel n’avait pas dit son dernier mot. Les nuages
gris laissait présager une journée maussade.
Elle dressait la table pour le petit-déjeuner lorsqu’une voisine
frappa à sa porte. Angèle
saisit
la boîte qui était
sur la table et la dissimula dans le frigo tout en hurlant :
« J’arrive ! » et
alla
ouvrir
la porte.
— Bonjour, dit-elle d’un ton enjoué.
— Bonjour, dit-elle d’un ton enjoué.
— Dis,
que
se
passe-t-il
chez
ta
fille ?
— Que
veux-tu
dire ?
— Le
petit
Louis
n’a pas arrêté de pleurer toute la nuit. J’ai frappé à la
porte, mais ça ne répond pas.
— Bizarre…
J’ai les clefs, j’y vais tout de suite.
La
voisine tourna les talons et continua son chemin.
L’inquiétude s’empara d’Angèle.
Ce
comportement ne ressemblait pas à
son petit-fils.
Il était tellement facile à vivre.
Il était peut-être malade. Elle se dirigea vers la console
qui trônait dans le vestibule,
empoigna le
trousseau de clefs qu’elle y avait déposé la veille. Elle quitta
la
maison et se dirigea vers celle de sa fille. Elle avait une sensation
étrange.
Une oppression inexplicable.
Son corps tremblait comme s’il voulait l’avertir
d’un
malheur. « Pourvu qu’il ne soit rien arrivé au petit »,
pria-t-elle.
Une
fois devant la porte, elle introduisit fébrilement
la
clef dans la serrure et entra. Un
éclair déchira le ciel. Angèle sursauta. La pluie dégoulinait
déjà sur les façades. L’averse était violente. Une bourrasque
emporta les feuilles mortes dans une danse macabre. Personne
ne répondit à ses appels.
Ni
Léonie,
ni Louis.
« Ils doivent être dans la salle de bains »,
dit-elle à voix haute.
Les
larmes que versait le ciel martelaient les vitres des fenêtres.
Angèle
gravit lentement les escaliers menant à l’étage. Personne dans la
salle de bains.
Le silence qui régnait lui sembla soudain menaçant. Sa poitrine se
comprima. Ses mains se crispèrent. Sa respiration s’accéléra.
Vacillante,
Angèle
se dirigea alors vers la chambre de
Louis,
ouvrit la porte et fut soulagée
du
sourire qu’il lui décocha. « Où est maman ? »
questionna-t-elle. Le petit garçon
haussa les épaules. « Reste là, mon petit.
Grand-mère arrive. ».
Elle
quitta la petite chambre. L’oxygène commençait à lui manquer. Sa
tête devint lourde.
Tout se mit
à tourner. Elle
avait du mal à respirer. « Reprends-toi ! »,
s’encouragea-t-elle.
Pas de crise d'angoisse maintenant. « Reste
calme. »
Ses
pas la menèrent mollement dans la chambre de
Léonie.
Celle-ci tournait le dos à sa mère. « Bonjour » dit
Angèle d’une
voix fluette. « Réveille-toi, ma chérie. » Aucune
réaction. Angèle fit le tour du lit pour lui faire face.
Lorsqu’elle
découvrit le
visage
de Léonie,
elle mit une main sur la bouche. La mine de Léonie
était lactescente
et sans vie. Angèle
secoua le corps déjà froid de toutes ses forces. Rien n’y fit.
Elle s’écroula.
Les larmes se mirent à couler. Sa détresse était plus profonde que
tous les océans de la Terre.
À
l’intersection des chemins…
En
échange, apporte-moi un objet appartenant à
ta fille…
À
ce moment précis, elle comprit : elle avait échangé la
richesse contre la
vie de sa
propre fille.
Son
sang se glaça instantanément lorsqu’un rire venu d’outre-tombe
fit vibrer la pièce de sa malveillance.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire