Le vibreur de son
portable la tira d’un rêve aux couleurs vitreuses. Elle avait dormi d’un seul
tenant, comme une souche, sans déplacer les draps.
L’arme reposait sur
sa table de nuit. Bien. Théoriquement, il s’agissait d’un contrat facile...
Avec les ans, on ne lui confiait plus que des plans pourris. Si ça n’avait tenu
qu’à elle, elle aurait jeté l’éponge depuis longtemps. Mais voilà, il y avait Bérénice.
5 h. Le type
devait arriver gare d’Austerlitz entre 8 h et 8 h 30.
Parfaitement réveillée, elle se glissa dans la cabine de douche. Dix minutes
plus tard, elle était opérationnelle. En passant devant la chambre de Bérénice,
elle ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil.
Sa fille ne lui
ressemblait pas. Petite, avec une tête de faune, elle n’avait rien foutu à
l’école et bullait dans la vie, sous perfusion cybernétique. Assurément, elle
avait manqué d’une autorité paternelle. Le pauvre Sam, du fond de ses centrales
successives, avait pourtant fait son possible pour lui inculquer des valeurs
solides avant que les ERIS lui fassent la peau lors d’une émeute. Depuis sa
mort, elle ne décollait plus le nez de son écran. Gameuse...
— M’man, chuis en
train de devenir une grande, lui avait-elle dit récemment, et Soledad avait
levé les yeux au ciel.
— Plus t’es grande,
mon cœur, plus tu bouffes...
— T’en fais pas
M’man, bientôt j’aurai mes contrats à moi.
Ben voyons.
Bérénice dormait, son
ordinateur portable en veille sur le bide. Le cœur serré, Soledad referma la
porte sans bruit.
Le guignol arriva sur
la voie M à 8 h 42. La foule était si dense que Soledad faillit le
louper. Au moment crucial, son pétard s’enraya et il passa comme une fleur.
Elle traça pour le doubler et l’attendre à la station de taxis. Cet abruti fit
mine de descendre dans le métro. Elle défourailla au jugé et le pouchka, cette
fois, se mit tout seul en mode automatique, fauchant quatre personnes et en
blessant huit.
Dans l’indescriptible
cohue qui s’ensuivit, Soledad le fourra, bouillant et lourd comme une cafetière
italienne, dans son sac à main. Alors qu’elle allait être piétinée par un
reflux de la foule en panique, un monsieur bien mis la releva énergiquement et
lui permit de sortir de la gare.
— Ne craignez rien,
la rassura-t-il d’un ton viril. C’est un attentat islamiste. Vous êtes hors de
danger à présent.
Il lui paya un marc
dans une brasserie voisine. Quelle tasse, pensait-elle, ça m’étonnerait que je
touche quelque chose sur ce fiasco.
La première chose
qu’elle fit après lui avoir faussé compagnie fut de jeter le rigolo dans la
Seine. Quelques minutes plus tard, un régiment de schmidts faisait descendre
tous les passagers du bus où elle venait de monter et une fliquette qui avait
dû manger un hérisson au petit déjeuner fouilla son sac. Elle la laissa faire,
l’esprit ailleurs. Après ce coup fumant, comment allait-elle nourrir sa fille ?
— Je t’invite, M’man !
S’écria Bérénice dès qu’elle ouvrit la porte d’entrée.
— Ah j’ai pas trop le
cœur, soupira Soledad.
— Ça s’est mal passé ?
— J’ai dessoudé tout
le monde sauf le bon. C’est la fin des haricots, mon trésor...
Et elle fondit en
larmes. Sa fille lui fit alors froufrouter sous le nez une opulente liasse de
bifetons.
— Je prends la relève,
M’man ! Mon premier contrat !
Soledad se laissa
entraîner jusqu’à la salle à manger, où la table était mise pour un repas de
fête : seau à champagne empli de glaçons où un jéroboam se les gelait,
caviar à la louche et foie gras poêlé.
— Mais... bafouilla-t-elle,
à onze heures ?
Bérénice ne portait
qu’une nuisette minimaliste. Des effluves fauves d’enfant en bonne santé qui a
trop dormi émanaient de sa crinière hirsute. Elle était pieds-nus. Comment
gagne-t-on son pain sans sortir de chez soi et sans s’habiller ?
— Assieds-toi !
lui intima la jeune fille en la plantant dans le canapé d’une adroite
pirouette. Ne bouge plus !
Faisant sauter le col
du jéroboam d’un adroit coup de sabre, elle éclata de rire en lui tendant une
coupe débordante de mousse dorée.
— Chérie, pardon,
mais... Comment t’as mis la main sur toute cette maille ?
— Bois !
— Ok, ok...
Soledad but. Des larmes lui
remplissaient les yeux : pendant qu’elle ne gagnait pas leur croûte et se
couvrait de honte, Bérénice avait dérouillé, allumé la lanterne rouge, fait la
carrée. Et elle était ficelle, comme en tout ! La somme brandie
ressemblait plus aux gains d’un Julot prospère qu’à ceux d’un tapin débutant.
— À notre fortune !
s’écria la gosse.
— Je veux pas que tu
fasses la bagasse, mon amour. Je préfère encore être caissière.
— Maman !
s’écria Bérénice, choquée. Tu me prends pour un salami ? Il est pas né
celui qui me brossera à froid !
Elle ne veut rien me
dire, comprit la mère épouvantée. Aussitôt grandit dans son esprit la
résolution ferme de trouver du boulot à tout prix.
— Mange, dit
Bérénice, t’as rien mangé.
— Promets-moi de plus
pêcher à la ligne.
— Tu dis n’importe
quoi !
— Mais comment tu les
as eus, ces lovés ?
— Un contrat, je te
dis ! Comme toi !
Soledad ouvrit des
yeux ronds.
— Mais comment ça...
Fumer quelqu’un ?
— Oui !
Elle ne voulut pas en
dire davantage. Renonçant à la cuisiner, Soledad s’empiffra de façon à faire
honneur au repas de sa fille. À trois heures, il n’en restait que des assiettes
en carton, le jéroboam vide et des cure-dents. Embrassant sa mère, la gosse
retourna à son ordinateur.
Soledad ouvrit le
traitement de texte de son vieux tromblon. Elle tapa :
HéloïseVignolles (c’était le nom de sa défunte mère)
Conséillère-Psycologue
Règle tout vos problèmes relacionels.
Vous aver des raports dificilles avec quelqu’un de proche que vous
dever voir tout les jours. Votre vie est un enfer. Grasse à ma métode éprouvé,
vous conaitrer de nouvau le bonheur.
Un coup de téléfone n’engaje à rien !
06 54 45 86 18
Ce téléphone lui
avait été refilé par un truand de ses amis, c’était celui d’un gosse qui
s’était pendu en prison et fonctionnait à la mobicarte. Intraçable. Il lui
sembla qu’une centaine d’exemplaires devraient suffire à lui assurer ses
premiers contrats. Elle prendrait la précaution d’aller les distribuer à
l’autre bout de Paris, dans les quartiers petits-bourgeois.
L’imprimante faisait
un bouzin prodigieux, couvrant le bruit d’hélices du vieux S. Heureusement,
Bérénice jouait toujours avec son casque sur les oreilles.
Le premier appel ne
fut pas concluant : la personne cherchait réellement à s’entendre avec son
beau-fils, et considérait la psychologie comme une forme d’exorcisme. Elle
était prête à dépenser la totalité de ses économies pour que la paix revienne
dans son cœur. Soledad la bloqua sur son téléphone. Elle bloqua ainsi une
trentaine de personnes avant de tomber sur un vrai plan. La femme, à l’autre
bout du fil, était hésitante. Elle ne s’entendait pas bien avec son fils. Soledad
comprit que le bambin, âgé d’une quarantaine d’années, n’avait pas encore
déployé ses ailes. Il buvait la retraite de sa mère, ne craignait pas de lui
allonger une torgnole à l’occasion et faisait défiler dans le petit appartement
des radeuses squelettiques qui laissaient traîner des seringues partout. Au
quatrième coup de téléphone et sans qu’il fût besoin de la moindre rencontre,
le marché était conclu.
Soledad opta pour un
engin incendiaire. Elle arriva sur les lieux vers dix heures et quart. Le chérubin
cuvant en général jusqu’à l’heure de la sieste, elle disposait de tout le temps
nécessaire.
Elle ouvrit
tranquillement la porte de l’appartement. L’entrée était sombre, une odeur
d’encaustique se dégageait du perroquet en bois où pendait un blouson croûteux
de vomissures. Ce mélange olfactif résumait la situation mieux que ne l’aurait
fait un long discours. Sur le canapé fuchsia était répandu le contenu d’un
cubitainer mal revissé. Un peu plus loin, un gros chien ou un homme avait
déposé au mitan de la carpette un imposant colombin.
Soledad se rendit
compte qu’elle était une mère comblée. Un frisson la parcourut quand elle
essaya d’imaginer ce que ça pouvait être de donner le jour à un pourceau.
Tandis qu’elle se faisait ces réflexions en amorçant l’engin, qu’elle vissait
soigneusement à l’arrivée de gaz, un froissement lui fit lever le nez.
Une sorte de sanglier
d’un mètre cube, vêtu d’un marcel à résille, se grattait les couilles en la
regardant. Il avait l’air de n’y pas croire. Le puissant fumet de vinasse qui
se mêlait aux effluves lourds de toutes les protubérances velues encombrant son
entrejambe donnait une idée de son état de conscience. Il se demandait si la
petite femme fluette en train de bidouiller dans la cuisine de sa mère faisait
partie de son délirium. Soledad se leva d’un bond, amorçant la mise à feu de
l’engin au moment où le porc aviné tentait de se faire une idée en la touchant.
Il y eut un déluge de flammèches sifflantes du sol au plafond. Soledad reçut en
plein visage le baiser d’une langue de feu qui lui bouffa les sourcils, les
cils et la frange. Le visage à vif, elle recula d’un bond et vit le gros
ivrogne poilu exploser en torche titubante. Il brûlait comme de la cire, en
crachotant des étincelles liquides. Déjà les rideaux prenaient feu. Elle se
tortilla comme un ver pour atteindre la porte en évitant Roger, pas pressé de
défuncter tant il tenait le rôle de sa vie en se mettant, barrière de lave, en
travers de son chemin. Elle parvint à le franchir en un steeple-chase qui l’envoya
rouler jusqu’au seuil de l’appartement. Quand elle ouvrit, l’appel d’air donna
toute sa mesure à l’incendie. À présent Soledad n’avait plus qu’une idée :
mettre deux cents mètres entre elle et l’immeuble infernal. Elle ne perdait pas
de vue que le tuyau de gaz était ouvert et que ça allait chier dans des délais
assez brefs.
— Chaud devant !
s’écria-t-elle en fusant du bâtiment.
L’explosion la fit
tomber cul par-dessus tête alors qu’elle arrivait au coude de la rue. En
s’engouffrant dans le métro, elle entendit bramer la sirène des pompiers.
Mission accomplie. Plus jamais Irène ne s’endormirait la peur au ventre pour se
réveiller les larmes aux yeux.
Lorsqu’elle arriva à
la maison, une heure plus tard, sa fille lui ouvrit à poil, le corps encore
tiède et moite d’une douche récente. Toutes ses inquiétudes se ravivèrent.
Pourquoi cette gosse se lavait-elle ? Elle s’était donc salie ?
Bérénice poussa un cri perçant.
— Mais qu’est-ce qui
t’est arrivé ?
Elle la souleva de
terre pour l’emporter à la salle de bains. Se voyant dans la glace, Soledad
glapit de terreur. Son visage sang de bœuf, horriblement boursouflé, était
encadré de crin noir goudron.
— Je... C’est un
contrat... Mais j’ai réussi, cette fois.
— Maman ! hurla
Bérénice d’une voix à rayer le verre. Bordel de dieu, je t’ai dit que je
prenais l’affaire en main. Tiens, aujourd’hui, je me suis fait un bâton !!
T’as plus besoin d’aller au charbon, faut te le dire en quelle langue ?
— Je veux pas que
tous ces salopards te tripotent avec leurs gros doigts sales... J’ai pas dit
mon dernier mot, je suis vieille mais je peux encore gagner ma vie...
Bérénice la rinçait
précautionneusement. Elle avait sur le corps de grandes plaques brunes qui
commençaient à froncer comme la peau du lait.
— Tu t’es cramée à
mort, mais qu’est-ce que t’as fait ? Et tes cheveux... j’te dis que je
gagne mon beurre sans me mouiller, faut que je te montre ?
Les yeux de Soledad
s’écarquillèrent d’horreur.
— Quand même !
— J’ai gagné une
patate aujourd’hui, la même chose demain. Je vais te montrer. En attendant, va
te pager, tu ressembles à rien !
Soledad tituba vers
sa chambre.
— Je pourrai pas
fermer l’œil de toute façon...
Elle en écrasa quinze
heures de rang après toutes ces émotions.
Lorsqu’elle se réveilla,
le soleil inondait la carrée et Bérénice était sortie. Un petit mot flanquait
un solide breakfast. Soledad le lut en diagonale. La petite rentrerait
peut-être tard, et sans doute avec des collègues. Des collègues ? Soledad
n’avait certes rien contre les putes : sa mère avait été en carte dans les
années 60 et sa sœur, entre deux carrières de radeuse, s’était mariée
quatre fois à des notables. Profondément attachée aux plaisirs de la vie, elle
trouvait cependant qu’aucune somme ne vaut le déplaisir de faire reluire un
blaireau. Jusqu’à ces derniers temps, sa fille avait partagé ses points de vue.
Mais puisqu’enfin il fallait se résoudre à y aller...
Elle s’étudia dans le
miroir. Certes elle ne pourrait concurrencer sa fille sur le chapitre de la
fraîcheur, mais sanglée, grimée et munie d’une bonne perruque, elle pouvait
faire illusion. Elle opta pour une robe en plastique noir que sa mère avait
usée aux bons endroits, des pompes de tango, une rivière de strass qui mettait
en valeur son balcon d’opéra.
Elle prit le bus pour
se rendre aux Champs-Elysée. Lorsqu’elle commença à arpenter l’immense avenue
d’un pas nonchalant, le roulis de ses hanches faillit l’endormir debout, comme
un cheval. Un petit con à l’air sournois lui emboîta le pas. Elle se retint de
froncer le nez et extirpa de son visage un sourire avenant qui lui fit mal aux
glandes salivaires. Le rictus par lequel il lui répondit lui permit de
constater qu’il ne savait pas se servir d’une brosse à dents.
— C’est combien ?
demanda-t-il.
Elle s’appuya sur la
devanture d’un magasin de jeux vidéo pour lui répondre. Oui au fait, combien ?
Il attendait, bouche ouverte. Pour toi ça va douiller, pensa-t-elle.
-500 pour l’amour.
— Et pour le reste ?
— Pour le baiser sur
la bouche, 800.
Il ricana. Ah le
salaud, songea-t-elle, il a bouffé la benne à linges d’un hospice... Elle
s’aperçut alors qu’un autre jeune homme les regardait d’un air amusé. Sans
hésiter, elle marcha sur lui, les seins en avant.
— Un petit moment de
détente ? proposa-t-elle.
— Vous avez un
endroit ? demanda le jeune homme.
Je savais bien que
j’avais oublié quelque chose, se dit Soledad. Le jeune homme lui susurra :
— L’immeuble de mes
parents a un très grand hall plein de petits recoins...
Sortant 5 billets de
100 de son portefeuille, il le lui tendit entre deux doigts avec un charmant
sourire.
— Si je puis me
permettre...
Soledad escamota le
talbin si vite que les doigts de l’éphèbe produisirent un petit bruit de
clapet. Elle le suivit, pas trop mécontente du tour que prenait ce jour
d’inauguration. Il la fit entrer dans un hall d’immeuble tapissé de verre où on
aurait pu garer une abatteuse-écorceuse. Elle passa une grille factice et se
retrouva dans un deuxième hall. Le jeune homme, languissant, s’appuya contre un
miroir.
— Regardez comme
c’est joli, dit-il en désignant quelque chose derrière elle.
Elle se retourna et
se trouva aussitôt la tête bloquée dans le pilori de ses bras verrouillés. Il
appuyait sur sa trachée et elle eut le vertige. Dans le miroir, elle voyait son
visage se violacer sous un sourire séraphique. Le jeune homme qui sentait les
sous-vêtements moisis poussa la grille.
— Déloque-la,
entendit-elle.
Elle ne voyait plus
rien. Elle sentit sa robe glisser et des mains froides lui empoignèrent les
hanches. Quelle abrutie je fais, se maudit-elle, ces deux tarés vont me
découper en rondelles et Bérénice va mourir de faim.
Il y eut un choc
sourd et un jet de sang lui fusa entre les cuisses. Elle respira de nouveau.
Elle entendit un cri assourdi, puis le bruit de vidange d’un homme qui essaie
de vomir, et deux dents tombèrent sur ses chaussures de tango. Elle fut tirée
en avant et le plastique noir se déchira.
— On peut pas te
laisser seule cinq minutes ! glapit Bérénice. T’as jamais entendu parler
des putes étranglées et violées dans le 8ème arrondissement ? Tu lis pas
les journaux ?
Soledad se releva.
Devant elle, sa fille, en jogging informe marqué TYLER WHO’S GUILTY et baskets,
laissait sortir la vapeur. Elle était accompagnée de deux jeunes gens vêtus
pareillement, et tous trois avaient des casques acoustiques sur la tête.
— Je t’ai dit et
redit que c’était mon tour de faire bouillir la marmite ! J’ai tellement
de contrats que j’embauche ! Je te présente Zig et Puce.
Soledad enjamba la
forme sanguinolente du premier jeune homme pour tendre la main à Zig, puis à
Puce. Elle rajusta sa robe déchirée et essuya une traînée de bave rose sur sa
cuisse. Par terre, le deuxième jeune homme faisait le bruit d’un siphon bouché.
— Enchantée.
— Babou nous a
beaucoup parlé de vous, dit le sautillant Zig en tressautant sur place.
Un petit bond en
arrière le fit retomber sur le visage de l’un des tueurs en série.
— C’est un honneur,
renchérit Puce.
— Mais qu’est-ce que
tu fais dans le quartier, mon cœur ? demanda Soledad. Je te croyais du
côté de la Chapelle...
— Je bosse.
Heureusement pour toi que je bossais dans le coin, sinon je serais orpheline à
l’heure qu’il est. Mais quand tu t’es appuyée sur la vitrine du magasin, j’ai
reconnu la petite robe noire de Mamie...
Les trois jeunes gens
sortirent de l’immeuble, non sans avoir sauté à pieds joints une dernière fois
sur la cage thoracique des deux trucideurs de putes. Ils entraînèrent Soledad
éberluée, un sein à l’air et la perruque de traviole, vers le magasin de jeux
vidéos. Dans un capharnaüm de science-fiction, trois sièges faisaient face à
trois écrans. Bérénice cala sa mère à côté d’elle.
— Tiens, tu vas voir
ce que c’est, un contrat sans bavure.
Avec la parfaite
coordination de danseurs de claquettes, les trois jeunes gens s’assirent et
branchèrent leurs casques. La même image apparut sur les trois écrans. Soledad
n’y comprenait rien. Un coléoptère hérissé de viseurs et de canons fit son
apparition. Les épaules de Bérénice, Zig et Puces s’affaissèrent comme celles
de Jake la Motta et ils manœuvrèrent simultanément les manettes qu’ils avaient
en main. Le cloporte futuriste éclata en une vingtaine de morceaux qui se
muèrent en petits combattants. L’action était si rapide que Soledad n’arrivait
pas à suivre. Dans divers coins s’affichaient des nombres, des vies, des
alertes clignotantes. Au bout de dix minutes le Coléoptère s’évanouit et Zig
éclata de rire. Soledad se tortillait sur son siège.
— Mais c’est ça tes
contrats ?
— Va nous chercher
des falafels, Puce, dit Bérénice, dégainant un biffeton de 100 euros. Et à
boire.
Elle expliqua alors à
Soledad, qui avait les yeux comme des boules de pétanque :
— Tu sais, le jeu en
ligne où j’ai gagné, là... J’étais championne du monde, devant les Coréens !
Bref, un Chinois, me tombe en larmes sur le plastron et m’explique que son fils
ne mange plus, ne boit plus, n’étudie plus, ne dort plus, parce qu’il est sur
ce jeu 24 h sur 24. Un no-live, quoi. J’allais lui répondre que j’y
pouvais rien, mais il me sort une liasse comme l’annuaire de Paris et me
supplie de le zigouiller chaque fois qu’il se pointe sur l’écran. C’était le
PDG de China Smart ! Et il me file son personnage, son pseudo, tout.
C’était mon premier contrat. Je l’ai fumé en dix secondes la première fois, et
la vingt-troisième en quinze. Il n’était pas mauvais, mais je suis championne
du monde !
Puce arrivait avec
les falafels et les boissons.
— Les autres jeux en
ligne ne le tentaient pas, il a repris ses études. Mais mon histoire a fait son
chemin, et aujourd’hui j’ai trois propositions de contrat par semaine ! Tu
te rends compte ! je gagne dix fois plus que toi, sans le moindre risque !
Elle ouvrit
joyeusement une boîte de bière et la mousse se répandit sur son jogging.
Soledad avait les larmes aux yeux.
— Mon bébé ! Je vais enfin pouvoir me la
couler douce ! Je savais bien qu’un jour tu réussirais dans la vie !
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