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Alain la Masse Massia est seul au premier rang, juste derrière le chauffeur, il a besoin des deux sièges. Derrière les vitres rectangulaires, il tire sur sa médaille de baptême, le seul rappel de là-bas, maintenant qu’Albert est mort.
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Alain la Masse Massia est seul au premier rang, juste derrière le chauffeur, il a besoin des deux sièges. Derrière les vitres rectangulaires, il tire sur sa médaille de baptême, le seul rappel de là-bas, maintenant qu’Albert est mort.
La Provence file, déjà pelée.
La Masse l’appelait Albert. Et il continue, même quand il
pense, aujourd’hui encore. C’est dans ces moments qu’il lui
manque. Son père savait toujours quoi faire. C’était déjà le
plus gaillard à la rivière. Avec ses peaux salées gros, ses bidons
bleus aux couvercles noirs, des bouffeurs de bronches à faire pâlir
les Gitanes, et ses chariots qui empestaient les menstrues, et les
foulons qui s’ébrouaient sous le hangar en pissant la trempe au
chrome, et les rats obèses gavés de chair pourrie, et les gars, et
les vapeurs d’Oran. Et puis l’immense fabrique à souvenirs pour
ceux qui restent, Albert, entre quatre planches de sapin.
Albert.
Les vingt-deux gosses chougnent comme un seul homme dans son dos. Les
cinq du dernier rang sont liés, bras dessus bras dessous. Ils
chialent depuis le coup de sifflet final. La douche y a rien changé.
C’est Hicham, le pilier droit, qui pleure le plus. S’il y avait
une justice, la digue du cul sortirait de leurs poitrines en
feu, ils chanteraient leur gloire.
La Masse se sèche le crâne avec la serviette Crédit Mutuel que
Myriam repasse le vendredi, en même temps qu’elle repasse les
maillots noirs et blancs de la génération 2003 de l’US, la
meilleure génération que la Masse a jamais entraînée depuis qu’il
a commencé avec les gosses au club, c’était vers la fin de
l’été 89. Myriam le fait le vendredi. Elle garde que Gaëlle
et Meyel ce jour-là, la maman de Gaëtan bosse pas, ils l’ont mise
aux quatre-vingts pour cent au centre de tri postal, sans rien
qu’elle demande, elle a plus besoin d’Ass-mat. Le rituel, c’est
poisson le midi, maillots après.
Myriam met moitié moins de temps depuis Noël, depuis qu’Alain lui
a offert la centrale vapeur, la grosse Auto-control de chez Calor,
celle avec le réservoir rouge. Jamais elle met plus de deux heures,
lavage compris, même l’hiver quand les terrains sont boueux. Elle
se fait ses petits records, Myriam, et quand c’est vent du Nord,
les maillots sentent le colin.
La Masse s’éponge sans trop se frotter les yeux. Le reflet du
micro sur le pare-brise attrape son regard, traverse ses larmes
chaudes qui lui font gonfler les paupières au lieu de lui couler sur
les joues.
C’était écrit.
Il en dort plus depuis le dimanche soir. Nîmes est peut-être plus
près que de Toulon, mais le stade Kaufmann, sur le symbole, c’est
la Méditerranée. Et on se fait toujours baiser par le comité, ou
par la fédé, ou par les deux, et le match à 15 h, avec la
fermeture des bureaux de vote à 18, c’est juste pour emmerder les
gens comme lui. La Masse a quand même glissé son bulletin dans
l’urne à l’ouverture des bureaux. Il a rempli son devoir, un peu
comme s’il montait au front pour sauver l’honneur de la patrie,
avec son sang d’Algérie. Parce que Flanby ou Marine, c’est plus
de la politique, c’est de l’histoire, et que la France, c’est
la France.
C’était la quatre-vingt-troisième. Sur le champ de bataille, les
gosses mènent 11 à 6 contre le Toulon de Mourad Boudjellal.
L’arbitre siffle la quatrième pénalité d’affilée pour les
sangs chauds de la rade. Ils sont allés le dégoter dans les
Midi-Pyrénées, cet enculé d’arbitre. La tribune est garnie de
parents, d’amis, de dirigeants, de frangins, de frangines des
autres générations. Sur la braille, Toulon, c’est plus ce que
c’était. La tribune beugle.
On est chez nous !
On est chez nous !
On est chez nous !
Le ballon arrive dans les mains du grand black, l’ailier du RCT, il
est face au Titou, le fils à Bernard Mazetier, un gosse de poche qui
n’a peur de rien, même pas de son prof de mécanique au Grand
Tech.
En un contre un.
Les hou-hou-hou-hou dégringolent de la tribune. Quelques cris
de singes sourdent de la huée. C’est pas tous les jours que l’US
dispute une demi-finale de championnat de France ! Le dernier
sacre en cadets remonte à 89, justement. Et le black crochète
Titou, et il galope vingt-cinq mètres, et il aplatit entre les
poteaux.
L’arbitre attend pas la transformation puis il retrouve quand même
ses esprits. C’est la foire de partout pendant que le ballon passe
facile entre les perches. Ça se marave en tribune, ses gosses ne
tiennent pas leur finale.
Vingt-deux morts de faim, les rois du déblayage en planche,
peut-être moins talentueux seuls, mais tellement plus solidaires,
qu’ils mettent la tête où personne mettrait jamais le petit
doigt, juste pour aller au soutien d’un copain, juste parce qu’ils
crèveraient pour honorer leurs maillots, et tous ceux qui ont revêtu
la tunique, pour rendre sa fierté à tout le patelin.
Et la putain de roulette en bois qui virevolte dans son nid de métal
et détraque les cœurs. Et ce putain de destin.
Les fines guibolles de la Masse soulèvent sa carcasse et son quintal
quand le car dépasse le péage et sort de l’autoroute. José, le
soigneur, a les yeux tout bouffis, rouges. Il a glavioté sur
l’arbitre. Si la Masse s’était pas interposé, il l’aurait
tabassé. Y aura rapport, sûr. La Masse fait glisser sa paluche
droite sur l’épaule de José, celle avec le majeur montagnes
russes, mais l’autre a encore le regard méchant et trop de rage
dans la tête. La Masse se cale dans l’allée centrale. Il se racle
la gorge, allume le micro, débite que les victoires sont peut-être
plus belles que les défaites, mais que le temps de la fête. Il se
calme, inspire à fond, martèle que le match servira toute la vie,
que la mémoire les réveillera quand ils auront son âge, qu’elle
leur fera oublier le mal de dos. Ça fait sourire Toto. Sur le pré,
il porte le numéro 6, il est rarement à distance du cuir, mais
il est pas là pour le toucher. C’est un pourrisseur né, sa mère
a mis quarante et une heures pour l’expulser. Toujours à la
limite, à ralentir le mouvement, à casser les pénétrations, à
plaquer stratosphérique, à gratter minimum cinq, six ballons par
match. Le micro étouffe la voix de la Masse qui a l’air de sortir
du paquet de cotons planqué dans la boîte à gants.
—
On avait prévu d’aller manger les saucisses chez moi, et boire
un coup. Si vous voulez pas, je comprends, mais l’invitation tient
toujours.
—
On vient tous, y’a pas de raisons qu’on vienne pas, rétorque
Matéo, il est vers le fond. C’est toujours lui qui parle. C’est
pour ça qu’il est capitaine.
—
Alors on change rien !
La morve remonte dans les cloisons nasales, coule dans les gorges.
Les sanglots d’Hicham font bruisser la rancœur dans le silence,
cognent les vitres, rebondissent dans le car comme des boules de
billard qui se cherchent une destination.
—
Aujourd’hui, je vous le dis, vous êtes des hommes !
Personne ne vous le volera jamais, ça, jamais, putain.
Les gosses acquiescent à retardement. Ils sont d’accord avec
Matéo, pas avec le laïus du coach. Le monde a tué leur rêve.
C’est à cause du fric, de Mourad le millionnaire, du grand Noir de
Massy, que la famille a touché du blé pour qu’il intègre le
centre de formation du RCT, tout le monde le sait, même que son père
a muté à la mairie de Toulon, comme par hasard…
La Masse se rassoit. Cette fois, il pleure.
Le car finit par entrer dans la ville, il a mis trop de temps pour
arriver là, puis il remonte le boulevard au ralenti jusqu’à
passer entre le Mac Do et la cité, là où ils vivent. Le car a déjà
pris des jets de cailloux, mais pas cette fois. Une troupe de gamins
tout en sueur est occupée à taquiner le ballon rond, devant la
pharmacie, sur le parking du centre commercial. Le numéro 10
floqué Zlatan fait des siennes, roulettes et tout. Juste avant le
rond-point, un jeune barbu en djellaba se déhanche sous le soleil,
ses espadrilles semblent coller au bitume ramolli du trottoir. Ça
fait sortir la Masse du brouillard et il discerne un Porsche Cayenne
garé sur le parking, devant la façade du dernier bâtiment, le
vitré, celui que la mairie vient de refaire.
Le car fend la zone industrielle, il passe le Gifi et le centre
Leclerc, tous les grands entrepôts en tôle ondulée, puis il
contourne le village où vit la Masse par la déviation, celle
construite par le Conseil général au grand dam des commerçants,
mais ça devenait dangereux la traverse du bourg, surtout avec les
mongoles du tuning, et les barlus, même que les gendarmes allongés
servaient surtout de piste de décollage aux scooters. Le lotissement
Les coquelicots est planté tout contre la déviation.
Quarante lots timbre-poste alignés sur un ancien champ de maïs, le
terrain qui appartenait au neveu de la cousine du premier adjoint. La
maison d’Alain et Myriam dénote : c’est la seule avec les
moellons du muret de clôture crépis. Les autres proprios ont
préféré investir dans la piscine hors-sol, le barbecue à gaz et
aux roches volcaniques, se payer un peintre plutôt que de tapisser
eux-mêmes le salon.
Les gosses récupèrent leurs sacs de sport dans les soutes à
bagages, la Masse les précède et file par-derrière. Il entre dans
la cuisine par la baie vitrée entrouverte. Myriam citronne le
taboulé dans le grand saladier vert, elle est de dos, le four
ventile avec la quiche au thon dedans. La Masse lui pose un baiser
entre deux bourrelets de cou. Myriam fait une moue embêtée, elle
hausse les épaules. Il dit que c’est la vie et jette le sac à
maillots dans le cellier. Elle fait toujours ça quand ils perdent.
Lui aussi, même quand ils gagnent.
Dans le salon, la Samsung LED 3D de cent-vingt et un centimètres est
allumée. La Masse a déjà payé les deux premières échéances du
trois fois sans frais de chez Darty. Julien Dray livre son
commentaire sur le taux de participation, le plus faible de toute
l’histoire de la cinquième république pour un second tour de
présidentielles. 61,9 %, pire qu’en 1969. Gilbert Collard est
goguenard. Quand Dray dit que sur les 12 % de Mélenchon, il n’y
a aucun problème, Collard l’interrompt :
— Il n’y a pas que des intellectuels surdiplômés, des
anarcho-communistes ou des bobos qui ont voté Front de gauche,
monsieur. Les quelques ouvriers se sont massivement reportés sur
Marine Le Pen, vous verrez bien.
Dray continue comme si de rien n’était, genre papotage du salon de
thé. Il dit que la clé du scrutin, c’est pas les 14 % de
Juppé au premier tour, majoritairement des citoyens attachés à la
démocratie et à la république, mais bien les 18 % de Sarkozy. Dray explique qu’il y a un fossé entre les électorats des deux
droites, un abysse qui s’est d’autant plus creusé depuis le vote
des primaires, quand tous les instituts de sondage annonçaient Juppé
vainqueur à 60 % et qu’à l’arrivée c’est Sarko qui a
gagné à 51 à 49. Collard marmonne :
— Le cirque des primaires est à l’image du pays : c’est
bonnet blanc et blanc bonnet, corruption à tous les étages, mises
en examen et compagnie. Avant ils ne volaient que les honnêtes gens,
maintenant ils se volent aussi entre eux. La justice est saisie, mais
la majorité des gens pensent qu’il y a eu vol, un vol massif. Les
Français n’en peuvent plus de ce système, le système dont vous
êtes d’ailleurs l’un des représentants les plus inaltérables,
monsieur Dray.
Quand il dit « inaltérable », Julien Dray a un sourire
sur le côté, comme s’il se sentait flatté. Collard lui met un
dernier tacle et se marre. Bernard Mazetier se lève du canapé
pendant que Dray affirme qu’avec les 22 % du premier tour,
Hollande devrait en théorie gagner avec plus de 60 %, mais que
le drame de la démocratie, c’est les 40 % d’électeurs qui
pourraient avoir voté Marine Le Pen et les 40 % de gens qui ne
se sont pas déplacés aux urnes. Les carrelages en gré lui
refroidissent la voûte plantaire. Dray dit que l’heure est grave,
que l’alerte du 21 avril 2002 n’a pas été entendue et qu’il
faut désormais prendre le taureau par les cornes, régler
durablement la question du chômage, celle des quartiers, que ça
passe forcément par l’Europe. Collard réplique :
— Vous êtes l’incarnation de l’Europe islamophile de la
finance, celles des carnassiers et des technocrates, des assassinats
salafistes, l’Europe des Kamikazes d’Allah, les équarrisseurs
de curés, l’Europe des hordes de migrants, l’Europe qui n’aime
pas ni son histoire, ni les frontières, ni le peuple, qui
l’opprime, ce peuple qui n’en veut pas, qui n’en a jamais
voulu, et qui l’a dit à chaque fois qu’on lui a demandé, en
Irlande, en France, au Danemark, en Grèce…
Dray le coupe en souriant :
—
C’est inexact Monsieur Collard, vous le savez très bien. Les
Irlandais (…)
Bernard baisse le son et se taille dehors, pieds nus, en lâchant :
—
Ils disent ça depuis 30 ans. Putain de voleur qui nous explique
la vie…
La voix de Myriam arrive de la cuisine :
—
Tu peux débarrasser la table du salon, Biquet ? Je voulais
pas brasser tes papiers.
La Masse fait un tas des commandes de la semaine. Il glisse la liasse
dans son cartable en cuir pendant que Bernard sort sur la terrasse.
La semaine a pas été terrible. Le directeur des ventes va encore
lui casser les noix dès le lendemain matin. C’est un blanc-bec
bardé de diplômes qui vient de chez Saunier-Duval, les gars
l’appellent la Chaudière, ils le soupçonnent d’être
pédé. Il l’a toujours sur le râble. Ça a commencé avec le
logiciel, ça a continué avec les frais de resto, puis les
remboursements kilométriques. La Masse fait dans la fourniture de
bureau, pour une boîte de Clermont-Ferrand, Kalipro. Son secteur,
c’est trois départements, dont le 84. Il se sort 2 100 €
mensuels en moyenne, variable inclus. C’était mieux quand c’était
le père Arthaud, mais le vieux a vendu la boîte aux Hollandais et
les Hollandais ont renouvelé les commerciaux, et tous ceux qui
avaient plus de quarante-cinq ans sont restés sur le carreau. La
Masse a peut-être qu’un fixe de 1 350 €, mais il est pas au
chômedu, alors que Thierry, son ancien collègue, celui de
Montpellier, ça dure depuis bientôt deux ans. Il arrive à gratter
200 € sur les frais, mais c’est de plus en plus compliqué,
à cause de l’informatique et de la Chaudière. Mais la Masse paie
ses impôts, plus d’un mois et demi de salaire avec ce que ramène
Myriam. Ça le fait râler, surtout avec tout ce gaspillage, et tous
les profiteurs, mais ça le rend fier, il en a dans les tripes, c’est
pas une serpillère, il peut se regarder dans la glace. La Masse
pense comme Albert. La solidarité, c’est ce qu’y avait de
meilleur, mais il aurait fallu que tout le monde soit recta, sinon,
ça part toujours en cacahuète vite fait, et c’est donc parti en
cacahuète, sans parler des autres. La Masse se marmonne à
lui-même :
—
Plus qu’un quart d’heure et on saura.
Ses claquettes traînent devant lui et l’emmènent dans le jardin.
Les parents sont tous là. Le père d’Hicham se met à pleurer
quand les gosses pénètrent sur la pelouse au compte-goutte et sous
les applaudissements. Il applaudit plus fort que tout le monde, et
plus longtemps. Il est Marocain, c’est un type bien, il élève ses
quatre filles et Hicham à la dure. Il travaille chez Metro et sa
femme fait des ménages. Il est passé à la télé pour les premiers
attentats, ceux de janvier 2015, sur la Une, vingt-et-une secondes.
La Masse et Bernard alignent trois séries de gobelets chacun. C’est
boisson unique, mais Myriam a prévu du jus d’orange pour les
femmes qui aiment pas le Ricard, et du Coca pour les mineurs. Ici, on
est majeur à quatorze ans question jaune. La Masse et Bernard
fourrent leurs paluches dans la glacière préparée de la veille.
Les gestes sont sûrs, ils savent faire. Les glaçons giclent comme
les marrons qu’ils distribuaient quand ils étaient deuxièmes
lignes de l’équipe première au début des années 80.
C’était l’époque où l’US était en première division, quand
les tanneries et les usines de chaussures n’avaient pas encore
fermé. Aujourd’hui, il y a un musée international de la godasse
en ville, principalement visité par les écoliers du coin, histoire
que les gamins s’interpellent de ce qu’étaient leurs ouvriers de
pères et leurs piqueuses à la machine de mères. Avec l’équipe 1
en Fédérale, même les tribunes du stade font trop grandes. Surtout
depuis qu’ils ont fusionné le club avec l’ennemi, le VS. Les
usines sont restées là, on sait pas trop pourquoi, parce qu’elles
sont vides. Ils ont fait des appartements dedans, des fois. Et il
reste qu’une seule tannerie, celle où bossait Albert, elle fait
dans le luxe, Hermès, Vuitton, des sacs à quatre ou cinq chiffres
que les gens peuvent pas acheter, sauf les Japonais et les riches.
Les gens disent que tout ça c’est à cause des Chinois, mais les
patrons ont délocalisé les usines au Portugal ou en Espagne avant
de les couler. Les niaquoués ont bon dos comme dit Bernard.
Pas un glaçon rate la cible et les doses de Ricard de Bernard sont
finalement servies avant celles de la Masse. La Masse a aussi pensé
à congeler des bouteilles de Cristaline remplies à moitié d’eau
du robinet. La flotte glacée se trouble en même temps qu’elle
cascade dans les gobelets. Ça y est, les soixante jaunes tremblotent
sur la planche en bois, entre deux tréteaux, et chacun son gobelet.
Myriam débarque avec des grands plateaux de pizzas. Les gosses
bâfrent les chips. Les mères filent dans la cuisine, long chapelet
de bonnes femmes qui adorent se voir pour mieux poudrer celle qui
manque, et il en manque toujours une, et c’est jamais la même.
Jojo est d’astreinte barbecue. On change pas une équipe qui gagne,
même si, aujourd’hui, ils ont perdu. La fumée des merguez et des
chipolatas lui remet bizarrement les idées à l’endroit.
C’est à la quatrième tournée que Bernard fait signe à la Masse.
Quand ils entrent dans le salon, c’est la gueule de Pujadas qui
irradie sur l’écran et la Masse appuie sur la touche 1 de la
télécommande Freebox. Les autres s’en foutent, ils s’envoient
un cinquième Ricard, c’est plus important que tout ce cirque, ça
a une influence positive sur leur vie.
Laurent Delahousse annonce qu’on saura le nom du futur ou de la
future Présidente de la République dans moins d’une minute. La
Masse l’aime pas trop. Il aimait bien Claire Chazal, elle était
blonde, comme Myriam. Et ça avait pas l’air d’être vrai, comme
Myriam aussi. Puis c’est le décompte.
Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro.
La tête d’abruti de Hollande, avec son sourire Averell qui a
réussi à être premier de la classe.
Myriam se tient derrière, vers la porte du couloir qui distribue les
chambres et la salle d’eau. La Masse l’a pas vue.
—
François Hollande est réélu Président de la République.
Bernard dit :
—
Regarde-moi ça comment il est content, l’autre, non, mais
regarde ça.
Bernard ajoute :
—
56,2 %. C’est pas possible ! Pays de merde. Dans dix
ans, on sera plus chez nous !
La Masse dit :
—
Ça fait longtemps qu’on y est plus, de toute façon. On a
perdu dans la tête. Ils commencent par là, pis les ventres et ils
finissent par la terre.
La Masse souffle :
— Des fois, je suis content qu’elle soit morte.
Il se tourne et Myriam s’est rapprochée. Elle le gifle. Un
réflexe. Elle sait pas trop si c’est à cause de ce qu’Alain a
dit ou des 56,2 % qui ont préféré avoir bonne conscience. La
mort subite du nourrisson remonte à fin 88, elle avait pas
trois mois. Séverine s’est pas réveillée dans son sommeil.
Pourtant, Myriam avait ligoté un gros réveil à un barreau du lit.
Tic. Tac.
Myriam pense pareil que La Masse, mais elle sera mère toute la vie.
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