jeudi 15 octobre 2015

Interview d'une auteur(e) : Laurence Biberfeld

LES QUESTIONS DU BOSS... 


1- Es-tu écrivain, romancier, auteur ? Vois-tu une nuance entre ces termes ? Qu'est-ce que ces mots représentent, pour toi ?

Je suis écrivaine. Un romancier, c'est quelqu'un qui fait des romans, et moi je ne fais pas que ça : j'écris aussi des nouvelles, des poèmes, des pièces, des essais. J'écris quoi, ma matière c'est l'écriture. Auteur meuh, chais pas. Je nous vois plutôt comme des espèces de médiums qui s'emparent de tas de choses dont finalement beaucoup ne leur appartiennent pas pour les mettre en mots et en forme, et du coup c'est juste une capacité d'éponge, on fait partie de notre propre matériau au même titre que les autres et que le reste, ni plus ni moins. Donc auteur ça fait un peu démiurge, ça fait comme si on avait la main, ce que je ne crois pas. Il y a beaucoup de contemplation et de passivité dans le fait d'écrire.

2- Écrivain/Carrière. Ces deux mots sont-ils compatibles ? Y penses-tu ? Anticipes-tu cet éventuel avenir ?
Ces deux mots sont certainement compatibles, mais pas forcément apparentés. Il s'agit de deux choses différentes. L'écriture est un parcours plus ou moins initiatique, comme tout parcours qui nous conduit à nous colleter avec la matière des choses, ou une sorte particulière de matériau très habité. C'est à la fois une recherche et un métier, un ensemble de savoirs techniques et une esthétique globale au sens de morale personnelle : ce qui est laid, ce qui est beau, ce qui nous offusque et nous ravit, les choses et la façon de les dire, de les mettre en scène. C'est un engagement profond. La carrière relève plus de notre parcours social, de notre place dans la société. Non, c'est pas incompatible sans doute, mais ça n'a pas grand chose à voir. Quand on se pose cette question de la carrière, on ne se pose plus des questions d'ordre esthétique ou technique, on est sur un autre plan. Je me suis bien sûr posé la question avec une certaine frayeur, car j'ai beaucoup de problèmes avec la socialité. J'aimerais que mes bouquins soient un peu plus lus qu'ils ne le sont, mais pas forcément avoir un grand succès.

3- Combien de temps, de tentatives, de refus, avant de décrocher un contrat à compte d'éditeur ?
Ho là là ! avant la Série Noire, une trentaine d'envois je crois, et ensuite, après la Série Noire, quatre ans de trou, jusqu'à ce que Pouy me remette le pied à l'étrier en me proposant de faire une Suite Noire. Après c'est allé bon an mal an, en brinquebalant, de propositions en ruptures et de ruptures en rencontres, avec toujours des refus mais aussi des commandes. Ma dernière bonne rencontre, ça roule toujours, c'est mon éditrice Véronique Ducros, chez Au-delà du raisonnable, mais j'ai fait d'autres choses aussi, chez Ska, aux Editions Libertaires, bientôt chez in8...
 
4- Pourquoi as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?
Aucune idée, ça remonte à l'enfance. Ça fait partie de mon identité d'écrire.

5- Que penses-tu de la place de l'auteur dans le monde du livre et de l'édition ?
La quarante-neuvième roue du carrosse.

6- Comment serait l'éditeur de tes rêves ? Quelles qualités essentielles devrait-il posséder ?
Alors, il ou elle serait un vrai lecteur, avec des goûts très affirmés, il aimerait ce que j'écris et me ferait entièrement confiance de ce point de vue, il n'hésiterait pas cependant à me dire là tu tapes dans les boîtes, ton truc ne tient pas debout, il ne me prendrait pas pour ce que je ne suis pas, c'est-à-dire un commercial, parce que cette partie du contrat c'est plutôt lui ou elle que moi, ça serait un humain avec qui je m'entends humainement, un partenaire avec qui je me trouve dans un rapport égalitaire, franc et transparent. Et surtout ça serait quelqu'un qui comprend comment je fonctionne et qui n'attend pas de moi ce que je ne peux pas fournir, et qui me laisse aussi la liberté de vivre d'autres trucs. La princesse charmante ou le prince charmant quoi. Je suis pas mal lotie en ce moment, pourvu que ça dure !
Pas mal lotie en ce moment, pourvu que ça dure !

7- Que penses-tu du Trophée Anonym'us ?
Au poil, je ne vais évidemment pas le déglinguer sinon je n'y participerais pas. L'important surtout c'est tous ces endroits où on dissocie le fait d'être édité de la valeur littéraire, parce qu'il est évident d'une qu'il y a énormément de vrais écrivains qui ne seront jamais édités, le monde de l'édition ayant une logique de marché plus qu'une logique d'ordre esthétique, et de deux qu'il y a aussi, pour les mêmes raisons, énormément d'œuvres sans intérêt particulier qui sont publiées. La valeur d'un bouquin est souvent indexée dans le monde éditorial à son chiffre de vente. Tout ce qui mélange les écrivains sans se soucier de leur statut social, qu'ils soient reconnus ou pas, est donc bienvenu. Et puis j'aime bien l'idéal d'anonymat. Je caresse à mes moments perdus un projet qui serait de ne publier que les hétéronymes de gens qui soient des écrivains reconnus ou pas, sur le modèle des hétéronymes de Fernando Pessoa (qui eut aussi une soixantaine de pseudos). Je trouve ça chiant, au fond, que notre nom social soit collé à ce qu'on fait, car finalement la seule chose vraiment intéressante c'est ce qu'on écrit, pas qui on est ni où on se place. Après le jeu kifékoi, ça peut être marrant aussi, dans le genre papous...

LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE...

1- Ton dernier livre, c'est plutôt : Une intrigue aux petits oignons ? Des personnages croqués avec gourmandise ? Une alchimie de saveurs ?
Mon dernier livre c'est tout ça ! avec autant de saveurs ou de sensations que de sensorialités différentes, puisque les animaux y parlent et qu'ils n'entendent pas forcément, ne sentent pas, ne goûtent pas et ne voient pas comme nous.

2- Tu nous conseilles de le lire : Sur un canapé au coin du feu ? À l'ombre d'un parasol ? Dans le bruit et la fureur d'une ville surpeuplée ?
Comme ça se passe dans la campagne profonde, dans une ville surpeuplée, des fois qu'urbain on aurait l'idée irrationnelle qu'à la campagne ça se passe mieux...

3- Ce livre, c'est plutôt : Divertir le lecteur ? Le faire frissonner d'angoisse ? Inviter à la réflexion ? Apporter un témoignage ?
De toute façon rien ne peut se faire sans intéresser le lecteur, sinon le divertir. Mais oui ça apporte un témoignage, là sur l'élevage industriel et l'agriculture du même nom en général, le rapport de l'humain à la nature et à sa nature, et ça invite évidemment à la réflexion, j'espère, comme tout bouquin qui se respecte. Mais c'est arrimé à une intrigue fignolée avec soin.
 
4- Ton écriture : Elle est comme Pénélope, qui fait, défait, et refait chaque phrase jusqu'à ce qu'elle sonne juste ou bien un premier jet juste retouché pour enlever quelques aspérités ?
Heuu... Un premier jet fait, défait, et refait jusqu'à ce que ça sonne juste...

5- Ton roman, comme un voyage, est-il : Un chemin au hasard qui t'emporte et t'oblige à t'adapter aux obstacles imprévus qui le parsèment ? Un périple longuement planifié, aux escales anticipées ? Un voyage « théoriquement » organisé, mais qui ne se déroule jamais comme prévu ?
Oh bin plutôt le dernier, car j'ai toujours des idées assez arrêtées au départ sur la façon dont ça doit se dérouler, mais évidemment les personnages et les situations développant leur propre logique, il faut réadapter la trame au fur et à mesure...

6- Si celui-ci était une boisson, ce serait  ?
Un truc organique. Du sang, de la salive, des larmes, de la sueur... Je m'arrête là. 

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