mardi 6 octobre 2015

Interview d'une auteure : Anne Bourrel


LES QUESTIONS DU BOSS... 
1- Es-tu écrivain, romancier, auteur ? Vois-tu une nuance entre ces termes ? Qu'est-ce que ces mots représentent, pour toi ?

J’imagine la romancière composant ses livres pour dames à l’ombre des saules pleureurs centenaires, dans sa maison de campagne silencieuse… Ça ne colle pas avec qui je suis…

Auteur, auteure sont des mots modestes et tranquilles, passe-partout et confortables. Des mots-chaises pour les jours de fatigue et de doute. Ils permettent aussi de spécifier le type d’écriture que l’on pratique. Je dis que je suis auteur de roman noir et auteur de théâtre.

Je dis auteur et pas auteurE. Je n’ai pas besoin d’ajouter un E pour affirmer ma féminité et mon féminisme, je préfère les mettre en action autrement ; dans les sujets que j’aborde dans mes livres, dans le simple fait d’être une femme libre du vingt-et-unième siècle. Ceci dit, je ne refuse ni ne réfute la féminisation des noms de métiers. J’aime que l’on puisse avoir le choix.
Quant à l’écrivain, c’est l’aventurier qui, arme au point, entre dans la langue par effraction. Il enfonce les portes des évidences d’un coup de pied sec et précis, il a du muscle et de la bave aux lèvres et aussi l’élégance racée du danseur. Il pirouette, il glisse, il fait son cinéma. Il n’est ni homme ni femme. Il est écriture. Dans les rares moments de grâce et de duende, j’imagine que je suis ça : un écrivain.

2- Ecrivain/Carrière. Ces deux mots sont-ils compatibles ? Y penses-tu ? Anticipes-tu cet éventuel avenir ?
J’essaye de garder la ligne. Pour un auteur rien de plus important. Bien écrire, bien composer, prendre le temps, rester libre et concentrée, voilà mon seul projet de carrière. Après pour le reste…c’est un jeu de dé et les écrivains sont des joueurs de casino. Tout est possible, repartir en jag’ ou à pied.

3- Combien de temps, de tentatives, de refus, avant de décrocher un contrat à compte d'éditeur ? 
J’ai eu de la chance, je n’ai jamais trop galéré pour être éditée. Par contre, ça a été long avant de trouver un vrai bon éditeur.

4- Pourquoi as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?
J’ai commencé à écrire quand j’ai vu la mort roder autour de moi, vers onze, douze ans. Des proches partaient et avec leur décès, le sentiment de l’inéluctable me prenait à la gorge. Ecrire, marquer tous les jours sur le papier quelque chose qui pourrait retenir, ou au mieux étirer le temps, a été mon premier geste d’écriture.
Le journal et les textes autobiographiques ont constitué un premier entrainement, comme un brouillon, mais je savais dès cette époque que j’en viendrai à écrire mes propres histoires. Elles ont commencé à émerger lorsque j’avais 15 ou 16 ans.
Ecrire ? Pourquoi continuer ?... Je tiens à écrire. L’écrire me tient. Je n’ai pas de réponse plus précise que celle-là.

5- Que penses-tu de la place de l'auteur dans le monde du livre et de l'édition ?
Lorsqu’on entre dans une librairie, on voit sur les tables et les étagères, le résultat du travail de centaines de personnes, connues ou pas, médiatisées ou pas, qui ne touche que 8 à 12%, 10% en moyenne, du prix de leur labeur. Tu achètes mon livre 15 euros, je gagne 1 euro 50… A côté de cela, il suffit d’annoncer qu’on est écrivain pour que tout le monde se pâme et trouve que c’est tellement génial, tellement extraordinaire. Comme si on était les rois du pétrole… Quelques secondes de silence, et aussitôt arrive la question piège : et vous gagnez votre vie avec les livres ?
Penserait-on à poser cette même question à une autre profession que la nôtre ?
Quand on est auteur, même un auteur bien publié, il faut continuer à avoir un autre métier pour bouffer (prof ou traducteur en grande majorité), épouser son banquier ou bien prier pour recevoir un héritage.
Il y a quelques petits à-côtés, genre ateliers d’écriture ou rencontres payées, mais tout cela reste un revenu d’appoint.
Car vraiment, si l’industrie de l’édition existe, ni l’auteur non médiatisé ni l’éditeur de moyenne taille n’en sont les principaux bénéficiaires. Pourtant, des footballeurs seulement connus des amateurs de ce sport touchent un revenu confortable et n’ont pas besoin d’enseigner le français ou les mathématiques pour vivre !
Et je ne parle même pas de tous les métiers rémunérés que notre activité engendre : libraire bien sûr mais aussi bibliothécaire, maquettiste, correcteur, imprimeur, attaché de presse, directeur/directrice de centre régional ou national des lettres ainsi que toutes les petites mains qui sont rattachées à ces administrations...
Je trouve tout cela brutalement inadmissible. Cet état de fait me met très, très en colère.
Il faut inventer autre chose.

6- Comment serait l'éditeur de tes rêves ? Quelles qualités essentielles devrait-il posséder ?
J’ai rencontré l’éditeur de mes rêves.
7- Que penses-tu du Trophée Anonym'us ?
Je le découvre….et je n’aurais que du bien à en dire…

LES QUESTIONS DE MADAME LOULOUTE...
1- Ton dernier livre, c'est plutôt : Une intrigue aux petits oignons ? Des personnages croqués avec gourmandise ? Une alchimie de saveurs ?
Impossible de savoir comment le lecteur percevra Gran Madam’s, s’il salivera ou s’il aura la nausée…

2- Tu nous conseilles de le lire : Sur un canapé au coin du feu ? À l'ombre d'un parasol ? Dans le bruit et la fureur d'une ville surpeuplée ?
Une lectrice m’a dit qu’elle l’avait lu en partie dans un embouteillage sur le chemin des vacances, un lecteur en deux nuit d’insomnie, un autre m’a écrit pour me dire qu’il avait pris du retard dans un dossier parce qu’il lisait mon roman au bureau, en cachette…alors, bon, tout est possible avec Gran Madam’s…

3- Ce livre, c'est plutôt : Divertir le lecteur ? Le faire frissonner d'angoisse ? Inviter à la réflexion ? Apporter un témoignage ?
Je n’en sais rien, je ne me pose pas ce genre de questions…je n’ai en tête que de faire tenir une histoire, la composer, la faire belle et plausible, que l’architecture tienne. Pour le reste, c’est au lecteur de voir comment il prendra les choses.

4- Ton écriture : Elle est comme Pénélope, qui fait, défait, et refait chaque phrase jusqu'à ce qu'elle sonne juste ou bien un premier jet juste retouché pour enlever quelques aspérités ?
Je suis Pénélope ; sans nul doute.

5- Ton roman, comme un voyage, est-il : Un chemin au hasard qui t'emporte et t'oblige à t'adapter aux obstacles imprévus qui le parsèment ? Un périple longuement planifié, aux escales anticipées ? Un voyage « théoriquement » organisé, mais qui ne se déroule jamais comme prévu ?
Gran Madam’s, c’est un voyage plein d’obstacles imprévus, entre un début secoué et une fin sur la langue…tu me suis, lecteur ?

6- Si celui-ci était une boisson, ce serait laquelle ?
Un rosé de Comigne, bien frais mais qui aurait les mêmes effets que l’absinthe d’autrefois.

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