vendredi 2 décembre 2016

Deux courses, un sprint final

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 Pour gagner une course de fond, il ne s’agit pas de caracoler en tête sur les trois quarts du parcours. Seule compte l’arrivée, où l’on doit tout faire pour être le premier à la franchir.

Pierre Doyel le savait comme personne. Des mois de travail acharné pour se maintenir au sommet, et qu’il devrait peut-être balayer d’ici quelques instants. À l’abri de la foule, dans son bureau aux murs lambrissés, il n’avait accepté que la présence de ses plus proches collaborateurs. La pression et les enjeux étaient énormes. Stéphanie, qui partageait sa vie depuis plus de vingt ans, tenait sa main en posant sur lui un regard inquiet. En dehors d’elle, personne ne savait à quel point les minutes à venir seraient décisives. Une vraie question de vie ou de mort.

Tout allait se jouer dans les minutes à venir. Décisives au point d’aboutir à la vie comme à la mort. Phares éteints et moteur arrêté, Luc laissa la voiture glisser sur la pente douce du chemin. Sur leur passage, les pneus arrachaient les graviers figés par le gel, produisant un crissement qui paraissait assourdissant aux trois autres passagers. Tous devaient être prêts à tous les sacrifices. Sauf celui d’échouer dans leur mission. À bonne distance d’une bâtisse dont les contours sombres se découpaient dans la nuit, ils sortirent de l’habitacle en prenant soin d’éteindre le plafonnier et sans refermer les portières. Luc couvrit son visage avec la cagoule qu’il avait relevée sur son front et sortit son arme du coffre, dont il ôta la sécurité.
— Il faut y aller, dit l’un des hommes.
Le corps courbé vers le sol, Luc opina du chef et ouvrit la marche vers la maison.


— Il faut y aller, Pierre. On est déjà en retard.
Les yeux rivés dans les siens, Marc Langin attendait qu’il bouge enfin. Doyel soupira, opina du chef et se leva, quittant à regret les bras de sa femme. Comme un automate, il ajusta sa cravate, enfila une veste sombre et se jaugea dans un miroir. Sans sévérité, ni complaisance, il examina avec une objectivité nouvelle chaque détail de son visage. 52 ans depuis trois mois. Il semblait ce soir en avoir dix de plus. De l’index, il étira avec amertume les rides qui s’accumulaient au coin de ses yeux. Mais cette fois-ci, l’âge avait peu de prise sur lui, comparé à ce qui le tourmentait. En quelques semaines, le fringant quinquagénaire qu’il se targuait de présenter au monde avait laissé la place à un vieux surmené et sous pression. D’un signe muet, il interrogea Stéphanie, qui consulta leurs deux téléphones avant de secouer la tête.
In petto, il enragea. Ce silence n’était pas normal. Il devait gagner un peu de temps avant d’engager la suite. Sur une console, un plateau contenait plusieurs boissons. Il s’empara d’un soda qu’il secoua discrètement. Une liasse de papiers dans les mains, Marc s’approcha de lui au pas de course. Pierre attendit qu’il soit assez proche pour décapsuler la cannette, qui projeta son contenu autant sur les feuilles, que sur son costume. Assez pour rendre les premières inutilisables et le second bon à jeter dans un panier de linge sale.
— C’est pas vrai ! pesta Pierre en reposant la cannette sur le bord du plateau, d’où elle ne tarda pas à tomber sur le sol en tapissant sa paire d’Armani des quelques centilitres restants à l’intérieur.
— Et merde ! Il fallait que ça arrive au pire moment. Va te changer, je vais faire imprimer une autre copie de tout ça, siffla Marc en jetant dans une corbeille les feuilles dégoulinantes.
— Je suis sur les nerfs, désolé.
— On l’est tous. Allez, file ! Et accélère un peu ! Notre retard est abyssal. Et tu sais combien je n’aime pas les imprévus.


— Bon sang que je déteste les imprévus et découvrir des éléments sur le terrain, murmura Éric, le second de Luc. Regarde-moi ça, dit-il en lui tendant ses jumelles à vision nocturne.
Luc s’en empara et jura lui aussi :
— Il y a au moins trois hommes qui montent la garde dehors ! Et vise-moi ces Kalachnikovs... J’ai l’impression aussi que l’un d’eux a des grenades à sa ceinture. Je vais dire un mot en rentrant à celui qui s’est occupé de la reconnaissance. Tout le contraire de ce qui nous a été présenté. Cette baraque est mieux défendue que la Banque Centrale. On ne sait même pas combien ils sont derrière la porte.
— On fait quoi ? On annule ?
— Impossible. Tout doit être terminé ce soir. On va faire ce pour quoi on est si bien payés : s’adapter, et agir en conséquence. C’est tout.
Luc se retourna vers les autres membres de leur équipée :
— Changement de programme : on neutralise d’abord les trois types dehors avant de s’engager à l’intérieur. Neutralisation silencieuse et simultanée, il va sans dire. Si l’un d’entre eux alerte les copains de la maison, on est cuits. Éric, le gars sur la terrasse est pour toi. JP, tu t’occupes de celui placé près du portail et le dernier est pour Phil. Pendant ce temps, on couvre vos arrières avec Séb. Arrivés devant l’entrée, on ne change rien au plan initial : JP coupe le jus, Éric fait péter la porte et les autres font le ménage, pièce par pièce. Jusqu’à trouver la cible.
Tous acquiescèrent en silence, mirent en place leurs lunettes à vision nocturne et se dispersèrent dans le noir. Luc attendit quelques secondes avec Séb avant de les suivre. Leurs silhouettes se diluaient dans la nuit et glissaient le long du chemin, en direction de la propriété. Quelques dizaines de mètres encore et les trois hommes disparurent à travers les haies ou les frondaisons du bosquet qui bordait les alentours. Luc n’eut pas besoin de les voir pour savoir comment ils allaient fondre sur leurs proies respectives. Cela faisait des années que l’équipe avait été constituée, sans grand changement majeur. À chaque fois pourtant, ils ne se laissaient pas déborder par les dangers de l’habitude. Luc était saisi par la même angoisse dans les instants qui précédaient une opération. Parce que rien n’est jamais écrit d’avance. Parce que le moindre grain de sable peut venir gripper la mécanique la mieux huilée.


En finissant de nouer sa cravate, Pierre Doyel maudissait le grain de sable qui venait détruire à lui seul sa vie entière. Il serra les dents pour ne pas exploser lorsque des coups impatients furent frappés à la porte de son bureau.
— Ouais ?! siffla-t-il d’un ton sec. J’arrive !
— Prends ton temps, surtout. Ce n’est pas comme si tu jouais un mandat, entendit-il de l’autre côté de la porte.
— Et toi ton poste de directeur de campagne ! cria-t-il pour toute réponse.
Des pas furibards, surmontés de jurons inintelligibles, se firent entendre decrescendo dans le couloir. Marc était un collaborateur dévoué et efficace, mais si pénible parfois.
— Il n’a pas tort, renchérit Stéphanie avec calme en ajustant son col. Je sais que c’est difficile, dans notre condition, mais tu ne pourras pas repousser le moment d’y aller. Ils attendent tous, dehors.
— Et si on nous appelle ?
— Je répondrais à ta place et je m’arrangerais pour te faire signe. Ou tu profites de l’intervention des autres pour venir aux nouvelles. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix.
Elle le devança jusqu’à la porte, dont elle ouvrit les deux battants pour le laisser passer. Dans le couloir, sa garde rapprochée était postée de part et d’autre des murs lambrissés, comme pour une haie d’honneur. Au passage, et malgré la tension intérieure qui le tenait, il offrit à chacun un sourire, que beaucoup lui rendirent. Bon dernier sur la file, Langin lui tendit une nouvelle copie du discours qu’il lui avait préparé, et dont Doyel connaissait les moindres paragraphes par cœur.
Il se remémora les mois écoulés. Porté aux nues à son arrivée comme ministre des Finances, la foule l’avait conspué ensuite. Il se croyait plus fort que tout le soir de sa nomination, comme mû par une force nouvelle qui lui ferait accomplir des miracles. Lors de la passation de pouvoir, il avait toisé avec condescendance le vieil homme usé qui le précédait.
Pourtant, dès le début, deux réformes mal acceptées avaient eu raison de sa foi en lui, massacrée sous les insultes des masses populaires descendues dans les rues. L’appareil législatif lui avait permis de passer en force ces textes. Après cela, sa côte d’impopularité battait des records sans précédent. Son poste n’avait d’ailleurs pas résisté au premier remaniement venu.
Opposé à un gouvernement plus isolé encore, le temps avait fait son œuvre et il regagnait peu à peu les faveurs de la population. En face, une ou deux voix commençaient tout de même à se faire entendre. Et d’un murmure de quelques lignes dans des canards sans importance, on était arrivé à un vacarme insupportable dans les plus grands quotidiens du pays. Jean-Philippe Girard était le plus virulent contre sa campagne. Le plus séduisant pour les masses, aussi. L’ancien médecin de province, amateur de grimpe, avait peu à peu gravi les échelons de la montagne politique du pays pour espérer aujourd’hui en chatouiller le sommet. Les sondages les donnaient au coude à coude pour le premier tour des présidentielles. Ce qui avait été le terreau propice à l’enlèvement, pensa-t-il avec amertume en poussant la porte ouvrant sur la meute de journalistes de sa conférence de presse. Il se força à sourire avec difficulté, en montant sur l’estrade.
— Bonjour à tous. C’est moi que vous attendiez ? Je le dis tout de suite : il ne fallait pas croire les ragots. Madonna ne viendra pas chanter à la fin…
Les éclats de rire du public ne firent pas baisser sa tension interne. Il croisa le regard de Stéphanie, de l’autre côté de la salle. Inquiète, elle gardait les mains crispées sur son téléphone portable. Oui, pensa-t-il encore avant de commencer son discours, personne ici ne peut imaginer qu’une vie est en jeu, à cause de ce cinquante/cinquante.


— Je dirai fifty/fifty, selon moi. Nos chances sont minces, sans renseignements fiables.
— Éric… On n’a plus le choix, dit Luc en désignant les gardes à terre d’un geste circulaire. D’ici quelques minutes l’alerte sera donnée. Alors, on ouvre cette porte et on fonce.
Un sourire dévoila les dents d’Éric, sous les pâles rayons de lune qui frappaient la campagne.
— T’inquiète, ma poule. C’était purement rhétorique. Je te suivrai même dans une mission suicide.
Luc lui tapota l’épaule et lança le signal convenu pour faire couper le courant. L’assaut démarra après l’extinction. Dans la seconde, Éric ouvrit la porte et lança à l’intérieur une grenade flash dont l’explosion fut suivie de cris de stupeur. Profitant de la confusion, les hommes massés de part et d’autre de l’entrée s’engouffrèrent en file indienne. L’écran de leurs lunettes renvoyait une image blafarde des lieux, balayés par les mires laser de leurs fusils d’assaut. Une silhouette menaçante apparut à l’angle du couloir qui leur faisait face. Une balle vint le terrasser avant qu’il ne puisse tirer dans leur direction. Les renseignements étaient au moins bons sur la disposition des pièces. Sur la gauche, une cuisine, dans laquelle Luc pénétra en neutralisant rapidement les deux hommes qui prenaient un café une minute auparavant. Un troisième, caché derrière le réfrigérateur, ouvrit le feu au jugé. Le projectile éclata les verres posés sur une étagère à un mètre de Luc. Son adversaire n’eut pas le temps d’ajuster le tir suivant. Séb lui avait déjà envoyé une salve qui le cueillit en pleine poitrine. Les deux hommes sortirent de la pièce pour reprendre leur progression à travers la maison obscure.
— RAS dans le séjour, lança Éric en les rejoignant.
— RAS dans la chambre, dit Phil à son tour.
— Il reste l’étage. On y va.
JP resta à l’arrière pour les couvrir. Les autres montèrent l’escalier avec prudence, leurs armes braquées. À l’angle de la dernière volée, Luc observa le palier : trois portes. Il savait que celle sur la droite ouvrait sur une petite salle de bains et les deux autres sur deux chambres. Malgré l’absence d’alimentation électrique, une lumière filtrait sous le seuil de l’une d’elles. Il s’en approcha à pas de loup. Pas de bruit de l’autre côté du battant. Il inspira, releva ses lunettes à visée nocturne et ouvrit la porte avec une lenteur calculée. Il ne put s’empêcher de frémir en découvrant la scène, éclairée par un projecteur de chantier autonome.


La scène le fit frémir. Après son discours enflammé, alors qu’il était sous le feu roulant des questions des journalistes, aveuglé par les projecteurs et les flashs, il répondait comme un automate, ses pensées à mille lieues de son programme pour les élections. Quoi qu’il en soit, Langin et son équipe avaient fait un super boulot d’anticipation. Aucune des questions posées ne le prenait par surprise. Même celles sur son aventure d’un soir avec une journaliste stagiaire ou des soupçons anciens de conflit d’intérêts dans l’attribution de marchés publics avaient été prévues. Comparé à ce qui se jouait à des kilomètres de là, dans une maison de campagne, ce petit jeu ne parvenait pas à la cheville de ses soucis. Le marché était clair, il l’entendait encore claquer comme une sentence : « soit vous retirez votre candidature, soit la petite y passe ». Encore quelques minutes et il laisserait la parole à un vieux parlementaire. Depuis son pupitre, l’estomac noué, il regarda Stéphanie avec intensité. Sa femme lui fit un signe de dénégation en montrant son portable. Ses yeux suaient d’angoisse.

L’angoisse pétrifiait les traits de la gamine. Luc lui fit un clin d’œil, assorti d’un sourire qui se voulait rassurant :
— Maëlis ? Tout va bien. On est là.
La petite avait les joues inondées de larmes. La main calleuse plaquée sur sa bouche l’empêchait de répondre. Quand bien même elle aurait pu parler que le flingue collé sur sa tempe l’en aurait probablement dissuadée. L’homme qui la tenait en joue était le seul que le service de Luc avait réussi à identifier : Andrija Lukic, un mercenaire d’origine serbe qui vendait ses services de tueur au plus offrant, souvent fortuné. L’homme avait la réputation d’être impitoyable.
— Lâche-la, lança Luc. Nous sommes trop nombreux pour toi.
— Partez, répondit-il avec un accent prononcé des Balkans. Sinon, elle meurt.
— Tu ne peux pas t’en sortir. N’aggrave pas ton cas, ce n’est qu’une gosse.
Le doigt de l’homme se crispa sur la queue de détente de son arme. Un coup de feu éclata près de l’oreille de Luc, lui arrachant une grimace de douleur. Lukic, touché en plein front, s’écroula sur le sol. Aussitôt, Phil s’élança à l’intérieur pour prendre Maëlis dans ses bras et l’évacuer. Luc se retourna vers Éric dont le Sig Sauer fumait encore.
— Quand tu prends un otage, fais en sorte qu’il soit de ta taille ou de ta corpulence. Là, c’était trop facile… Il allait tirer, ajouta-t-il d’un ton plus grave.
— Je sais… L’essentiel est que la petite soit saine et sauve. On fait le brief et on la ramène à ses parents.


Doyel était au bord de l’implosion. La tension accumulée ces derniers jours ne demandait qu’à se déverser en vagues puissantes qui emporteraient tout sur leur passage. Il profita de l’intervention d’un jeune loup du parti pour se rapprocher de sa femme, qui l’entraina à l’écart.
— Alors ?
— Toujours pas.
— Ce n’est pas normal. File-moi le portable, que je leur demande.
— Tu ne crois pas que l’on devrait attendre encore un peu ? Ils ont dit que nous ne devions pas les contacter et attendre qu’ils le fassent.
— Je m’en fous ! Je dois savoir, je ne vais pas tenir le rôle de l’homme apaisé encore longtemps, trancha-t-il sèchement en lui prenant le téléphone des mains.


La pression était redescendue. Et Luc était soulagé d’annoncer la bonne nouvelle au père de la petite, même si le protocole était un peu bousculé.
— Oui, monsieur. L’opération s’est déroulée pour le mieux : les ravisseurs sont neutralisés et Maëlis va bien. Elle est un peu choquée, ce qui est normal. La cellule psychologique va s’occuper d’elle.
Derrière lui, ses hommes faisaient des va-et-vient pour fouiller et sécuriser la maison. Le portable collé à l’oreille, il retourna dans la chambre, contemplant avec gravité le corps de Lukic.
— Oui, nous avons tous eu de la chance. Ce Lukic n’était pas un enfant de chœur. Vous pouvez poursuivre votre campagne plus sereinement. Bientôt, tout ça ne sera qu’un mauvais souvenir. Non, en effet, on ne sait pas avec certitude quel candidat est derrière tout ça, monsieur… Je comprends. Soyez assurés avec votre épouse que nous allons le trouver et le traduire en justice. Au moment où je vous parle, des OPJ suivent de près chacun de vos concurrents et le procureur n’attend qu’un nom pour nous signer le mandat d’arrêt… Oui, je sais. L’un d’eux est en effet le suspect idéal. Ou tout au moins, celui à qui tout ceci profite le plus.
Soudain, le corps de Lukic sembla tressauter légèrement, sous la poche de poitrine de sa chemise. Les sourcils froncés, Luc s’en approcha pour palper le tissu et découvrir un portable qui vibrait.
— Monsieur ? Je dois vous laisser. Une urgence.
Il raccrocha, appela Éric et regarda l’écran du téléphone qu’il venait de trouver : numéro inconnu. Il décrocha et écouta, sans mot dire.
— Lukic, entendit-il, vous avez des nouvelles du père ? L’ultimatum est dépassé depuis une heure maintenant.
Luc écarquilla les yeux de stupeur. Même si les soupçons étaient fondés, il n’aurait jamais cru que l’homme soit assez inconscient pour contacter lui-même le ravisseur. Il prit un carnet et un stylo. Quand il eut fini d’écrire le nom de son interlocuteur, Éric haussa lui aussi les sourcils et articula « sûr ? » sur ses lèvres. Luc acquiesça d’un mouvement de tête. Il n’en fallut pas plus pour que ses collègues agissent et donnent l’info par radio. Encore quelques secondes et ils toucheraient au but. L’autre s’impatientait au bout du fil.
— Allo ? Vous m’entendez ?
— Oui, vous avez toute mon attention.


Doyel réprima une bouffée de panique. La voix qui lui répondit enfin n’avait rien à voir avec celle du mercenaire, teintée d’un fort accent serbe.
— Qui êtes-vous ? Où est Lukic ?
— Il est mort, monsieur Doyel. Je suis le Commandant Zernac, en tête du groupe qui a sauvé la petite Maëlis Girard.
Les flics. Doyel suffoquait. Cette fois, il était fichu. Il chercha une issue dans cette salle bondée de journalistes. Peut-être pourrait-il s’échapper avec Stéphanie et refaire sa vie en Argentine ou au Mexique.
— Monsieur Doyel, intervint Luc Zernac, comme s’il devinait ses pensées. Je vous conseille de vous rendre afin de vous expliquer sur cet enlèvement.
Tenté de lui dire d’aller se faire voir avant de filer, il remarqua trois hommes qui fendaient la foule pour se diriger vers lui. L’un d’eux glissait déjà la main sous son blouson pour attraper son arme. Trop tard pour fuir. Ses gardes du corps n’intervenaient pas, à coup sûr briefés par ce type qui le désignait du doigt.
— Monsieur Pierre Doyel, lui dit le premier, Police Judiciaire. Veuillez nous accompagner. À compter de ce moment, nous vous plaçons en garde à vue pour des faits de séquestration de mineure de moins de quinze ans, chantage, crime en bande organisée, pour commencer.
Sentant de l’agitation derrière eux, les journalistes s’étaient retournés et commençaient à comprendre ce qui se jouait. Les premiers flashs crépitèrent alors que l’on passait les menottes au candidat le plus prometteur de cette élection. Sa femme protestait avec la plus vive énergie, telle une tigresse, mais on la ceintura et l’emmena sans tarder. L’un des flics récupéra le téléphone à terre et fit le point avec Zernac. Ce dernier lui demanda d’approcher l’appareil de leur suspect et de brancher le haut-parleur.
— Monsieur Doyel, je tenais à ajouter une dernière chose. Celle que je me suis dite, juste avant l’opération de sauvetage. Vous savez, pour gagner une course de fond, il ne s’agit pas de caracoler en tête sur les trois quarts du parcours. Seule compte l’arrivée, où l’on doit tout faire pour être le premier à la franchir. Sauf peut-être à employer les moyens les plus abjects, comme enlever une gosse pour forcer son père à abandonner.

La réponse de Doyel se perdit dans le flot de questions qui coulait sur lui. Prélude au tsunami que ce scoop allait provoquer dans les rédactions du monde entier.

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